Historique - la Vigie

 

La Vigie

L'histoire de la Vigie est étroitement liée à celle de la Brigade Fluviale créée en 1900 par le Préfet Louis Jean-Baptiste Lépine. Dotée de deux canots (appelés vedette), la Brigade Fluviale a su rendre de nombreux services à l'activité et aux usagers de la Seine.
La Vigie a été acquise par les Services techniques de la Préfecture de police de la Seine en mars 1904. Avec La Mouette" elle avait été voulue par le Préfet Lépine 1 afin d'intervenir contre des "ravageurs", bandits d'eau douce, à la fois braconniers, pilleurs de bateaux et contrebandiers qui sévissaient la nuit sur la Seine. 
De 1904 à 1985
elle a permis un très grand nombre de sauvetages : personnes tombées dans la Seine, accidents, tentatives de suicide, ainsi que des recherches, des récupérations de noyés et d'objets les plus divers. 

Après l'apparition de La Mouette, l'annonce de la Vigie fait l'objet d'un article de presse.
Suite aux prouesses de la vedette préfectorale La Mouette, qui fait la chasse aux braconniers, son succès étant affirmé, le syndicat des pêcheurs émet le vœu de voir circuler une seconde vedette arborant le pavillon de la Préfecture de Police sur le "Grand fleuve parisien".
Deux semaines après l'annonce d'un second canot "plus puissant et mieux conditionné" l'article mentionne le nom de la Vigie. Ce canot sera "un véritable canot automobile" actionné par un moteur à pétrole d'une force de 16 CV et les dimensions sont données.
Dès sa mise en service, le mode d'exploitation est donné à lire, à savoir "Nuit et jour les deux canots partiront à tour de rôle de deux points extrêmes, Charenton en amont et Suresnes en aval pour se rencontrer en un point déterminé". Cette stratégie permet de balayer le fleuve et ses berges, lesquelles à la tombée de la nuit deviennent le repère des "gens sans aveu".
Pour assurer à bien cette mission, un "personnel d'élite" sera recruté. Déjà neuf pilotes et 6 mécaniciens "tous commissionnés pour bateaux à vapeur de commerce et ayant d'excellents états de service" ont été recrutés sur concours. Des noms sont avancés, noms que l'on retrouvera dans les archives comme le mécanicien Rouzet ou le pilote Lespinasse, des hommes éprouvés.
En intégrant le corps de la Brigade Fluviale, ils sont assimilés aux gardiens de la paix et feront huit heures de service sur leur bateau.
Déjà leurs noms figurent sur un tableau de roulement en attendant l'arrivée de la Vigie

D'après une note de M. Vaillant de la Brigade Fluviale (archives de 1920) le canot la Vigie a été acheté à Monsieur Bezenech à Issy-lès-Moulineaux, l'acte de vente ayant été signé le 5 novembre 1903. Le prix convenu et accepté était de 6 000 Francs. C'est en délibération du Conseil Général du 12 décembre 1903 que fut autorisé cet achat. Sa mise en service date du 2 février 1904.

D'après le permis de navigation délivré le 2 juin 1904, le canot a les caractéristiques suivantes  :

Longueur de tête en tête 8,70 m
Largeur au maître bau 1,80 m
Tirant d'eau à vide  0,60 m
Tirant d'eau en charge 0,70 m
Charge maximum 2 tonnes
Hauteur de flottaison avant 1 m
Hauteur de flottaison arrière et milieu 0,60 m

 
Le permis de navigation établi le 2 juin 1904 d'après le procès verbal de visite du 23 mars 1904 est signé par le Préfet Lépine.

La coque est en tôle d'acier galvanisé (intérieur et extérieur) de 4 mm d'épaisseur dans les oeuvres vives et de 3 mm dans les oeuvres mortes. Le canot a été livré avec un moteur à pétrole Filtz 1 (fabricant 48 rue Poccard à Levallois). 
C'est un moteur silencieux à deux cylindres d'une puissance de 16 CV qui sera remplacé ultérieurement par un moteur Panhard quatre cylindres de 24 CV. La contenance du canot est de 10 à 12  personnes.

Le 23 mars 1904 a lieu une visite de la commission de surveillance et essais en marche dans le Bassin Alma-Auteuil.
Y assistaient : 

En 1910, la Vigie était au secours des des personnes en difficulté. Ici on la voit Quai St Bernard
La Vigie en 1912 à l'écluse de la Monnaie en amont de la Passerelle des Arts. Là où un an plus tard elle coulera par accident.
© Préfecture de Police. Tous droits réservés.
Maraude nocturne sur la Vigie
De gauche à droite, le pilote, le mécanicien et trois gardiens de la paix. Elle a fière allure avec sa cheminée rappelant celle des bateaux à vapeur.
©
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En 1955 en aval de l'île de la Cité. Ce cliché est celui utilisé par la Brigade Fluviale pour l'identification de sa flotte.
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Extrait de "La nature" du 18 juin 1904.

Les banquettes qui servent en même temps de coffres, sont disposées de chaque côté sur toute la longueur du canot; il n'y a pas de cabine, ce qui est avantageux lorsque les nécessités mettent aux prises agents et malfaiteurs ; elle est simplement recouverte d'une tôle destinée à mettre le personnel à l'abri des lapidations dont ils sont fréquemment l'objet pendant la nuit. Dans cette embarcation, la machine à vapeur a été remplacée par un moteur à explosion; c'est plus moderne et beaucoup moins encombrant. Ce moteur sort des ateliers Filtz; il est à deux cylindres et développe 16 chevaux. Il forme avec les organes d'embrayage et le différentiel, un bloc unique calé sur le fond du bateau. La mise en marche s'effectue par une manivelle, placée à la hauteur des cylindres et qui commande l'arbre moteur par l'intermédiaire de deux pignons réunis par une chaîne. Le levier de manœuvre opère, suivant la position qu'il occupe, l'embrayage, l'arrêt (freinage) et la marche arrière. Le bloc pèse approximativement 300 kg et commande l'hélice par un arbre de transmission. Le réservoir d'essence contient 70 litres d'essence qui sont suffisants pour une croisière de 8 à 9 heures. La vitesse est un peu supérieure à celle de la "Mouette"(2).



La revue municipale
p. 1172
article non date mais im
médiatement postérieur au 18 juin puisqu'il fait référence à l'article de la "Nature" paru à cette date.


Le journal de bord jusqu'en 1920

C'est Monsieur Filtz demeurant 13 avenue du Roule à Neuilly qui prendra en charge ces modifications.

Cette note de 1920 mentionne les sorties suivantes :    

1904 93 1910 39 1916 18
1905 150 1911 51 1917 15
1906 94 1912 58 1918 9
1907 106 1913 60 1919 9
1908 67 1914 19 1920 12 au 7 octobre
1009 43 1915 22  

La chronologie de la Vigie s'arrête en 1920. Ensuite plus aucune trace de ses états de services n'a été retrouvée dans les archives.

 


Le tenue vestimentaire des pilote et mécanicien.


Sur les canots automobiles Mouette et Vigie les tenues vestimentaires des pilote et mécanicien sont décrites dans un article du "Petit parisien" du 24 janvier 1904.
En été, le pilote est coiffé d'une casquette en drap bleu-marine et porte une vareuse à boutons d'argent. L'insigne qu'il porte au bras gauche est en aluminium et représente une roue de gouvernail.
Le mécanicien-chauffeur porte un costume ordinaire des marins, béret et blouse avec sur le bras gauche un insigne en aluminium représentant une hélice.
En hiver, les deux porteront une tunique et un chapeau de cuir à bord rabaissé devant et derrière.

À droite la tenue d'hiver, service de la Mouette et de la Vigie.


Le Journal 
du 30 mars 1900

 


On retrouve des traces d'intervention sur la Vigie cinquante ans plus tard, lors du carénage de juillet 1969 mais il ne s'agit que de documents iconographiques.

 
Côté carène
© Préfecture de Police. Tous droits réservés.


et côté pont
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Ce fût certainement la dernière cale sèche pour ce vénérable canot qui aura assuré 79 ans de service.

La Vigie avec sa "cabine téléphonique" comme aimaient à l'appeler les agents.
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Une des dernières photos de la Vigie en service à la Brigade Fluviale en 1981 photographié au ponton.
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La toute dernière photo de la Vigie lors de son désarmement en 1985 au bassin de l'Arsenal (Paris).

 


Ce que l'on apprend par la presse

  • À bord de la Vigie - Les expériences de cette nuit

C'est la première sortie de la Vigie après sa récente acquisition par la Brigade Fluviale. À six heures du soir, Le préfet Lépine, l'inspecteur de la navigation Guillemin, l'inspecteur Dupray, le brigadier Marveu, le pilote Vaudeley et mécanicien Gaudinot quittent le pont St Michel en direction du Vert Galand où les docks sont établis provisoirement.
Les ingénieurs des phares "Alpha" terminent l'installation d'un projecteur à l'avant du canot. Ce nouvel équipement va être testé en terme de puissance d'éclairage et aussi la manipulation à adopter pour surprendre les braconniers habitués à agir dans l'obscurité.

Un projecteur est installé à partir de 1904 pour les opérations nocturnes de surveillance ou le repérage des braconniers. 
La description détaillée du phare est donnée à lire. Il s'agit d'une lanterne, montée sur un pivot renfermant un projecteur à miroirs sphériques et paraboliques, dotée d’une puissante lentille de phare enfermée dans une boîte cylindrique en tôle. Le système pivotant permet d’éclipser la lumière à volonté. Le bec double, d’une intensité de 80 bougies, peut grâce au miroir et à la lentille, atteindre une puissance de 6 000 bougies. L’énergie d’éclairage est produite par un obus en fonte contenant une dissolution d’acétylène dans de l’acétone : 350 litres d’acétylène sont comprimés à 10 kilogrammes. 
Un projecteur de 20 000 bougies est prévu pour les zones larges de la Seine. La Mouette et la Vigie en seront pourvues prochainement.

Au pont de la Tournelle la Vigie tombe en arrêt sur un bachot le long d'une péniche avec trois hommes debout. Ce ne sont pas des braconniers mais des agents camouflés en "ravageurs" qui attendaient que la Vigie les découvrent.
Au Pont d'Austerlitz, même découverte.
L'efficacité du projecteur est concluante, la maraude se termine.

   

Le Journal du 3 février 1904


  • Le coût d'entretien des canots de la brigade fluviale

Bulletin municipal du 1er au 14 février 1904


  • Ce canot devait sauver les naufragés, il n'a pu se sauver lui-même du naufrage

En 1913, le 8 décembre, la Vigie (pilote Aouzet, mécanicien Lirot) a sombré dans la Seine en remontant, vers 14 heures, alors que les agents à son bord s’approchaient d’un convoi de péniches montant à l’écluse de La Monnaie. Suite à une fausse manœuvre, le remous provoqué par les vannes d’échappement de l’écluse ont dévié l’embarcation exactement sous le débit de l’une d’entre-elles. La Vigie sombra rapidement. Le pilote et le mécanicien, qui se sont jetés à l’eau, ont été recueillis par Édouard Rose, mécanicien des Ponts & Chaussées et Eugène Passereau, cantonnier. 

Le matin du 9 octobre 1913


  • La Vigie renflouée

Le lendemain, elle a été renflouée, grâce à un agent scaphandrier qui a réussi à passer des chaînes à l’avant et à l’arrière du canot et à l’amarrer au chaland Tonkin. Le canot a eu son hélice et son gouvernail faussés. Remorquée par La Mouette, la Vigie a été acheminée jusqu’à son garage de l’Île Saint-Louis.

Le Matin du 10 décembre 1913.


  • À la poursuite des braconniers auxquels il arrive parfois de ravitailler sans le vouloir les hôpitaux parisiens

Les prises de poissons, parfois de plusieurs centaines de kilos étaient en général redistribuées aux hôpitaux parisiens. 

Article non daté mais vu que le nom de l'inspecteur Hendschel est mentionné, on peut en déduire que l'article se situe dans les années 1947.


  • Les ruses des "bracos" sont éventées, même la pêche à l'électricité

Maraude nocturne à bord de la Vigie pour faire la chasse aux "bracos", cap au nord vers Notre-Dame. L'article commence par l'ambiance au poste de le Brigade Fluviale où les agents se reposent dans l'attente d'une intervention. 
Puis c'est le départ, cap au nord vers Notre-Dame.
La Vigie s'en va.
Ambiance nocturne de Paris les péniches s'endorment. Les agents connaissent toutes les ruses des "bracos". Ils savent qu'ils préparent des boulettes avec de la "coque du Levant", une graine appréciée des poissons, ensuite la nuit ils lancent l'épervier, un lourd filet qui peut récolter plusieurs dizaines de kilos de poissons. Les braconniers savent où sont cachés les poissons selon les circonstances : temps clair, brumeux, crue, etc.
Et puis il y a la pêche à la bouteille de carbure, à la senne, un filet de 60 à 80 m de long sur 6 m de hauteur. Dans un tel filet il peut y avoir jusqu'à une demi-tonne de poissons : du brochet, de l'ablette, du goujon, de la brème, poissons qui finissent dans les restaurants si les braconniers ne sont pas surpris ou distribués aux hôpitaux par la brigade quand elle les soustrait aux malandrins.
Il y a aussi la pêche à l'électricité, tous les moyens sont bons, il suffit de relier un grillage au courant et le jeter dans la Seine. Le poisson est tué à chaque coup.
La Vigie regagne le ponton.

Libé-soir du 12 septembre 1946


En 1947 on pouvait encore lire

Dans un article sur la recherche d'un corps de noyé au fond de la Seine, on apprend que la Vigie était encore la "meilleure vedette".

Le Pays du 3 août 1947

Dans un rapport, adressé  par l'Officier de Paix principal Boulon au Commissaire de Police chargé de la Brigade Fluviale, on apprend qu'en juin 1955 le moteur fut remplacé par un moteur à essence Couach d'une puissance de 55 Cv, puis en mars 1970 d'un moteur Renault Marine de 55 cv, moteur toujours en place lors de sa cession.
Rapport cité - 9 janvier 1984


La Vigie en 1955, prise non loin du quai Henri IV. Sa livrée est différente de celle qui a terminé sa carrière.
© Préfecture de Police. Tous droits réservés.

 


  • La Vigie cesse son activité

Le 13 novembre 1985, la Vigie est retirée de la circulation après quatre-vingt-un ans de "bons et loyaux services" et remise à l'Association des Amis du Musée de la Mer pour l'Atlantique aujourd'hui AMERAMI 3.


Notes
  • 1 Filtz a construit des moteurs divers (voitures, avions, bateaux, etc.). Il a travaillé avec E. Farcot et Burlat sur des prototypes d'avion. Il a construit entre autre un moteur de 60 ch rotatif à six cylindres possédant un vilebrequin par piston.
    En 1901 il construit un moteur de 30 HP pour le Bonnet-Labranche n°1.
    Il a aussi construit un moteur rotatif à vapeur. 

  • 2
    La Mouette quant à elle était un canot à vapeur de taille similaire.

    La "Mouette"
  • 3 Liaisons n°275, novembre-décembre 1985, p. 42. APP, DB 38. Brigade fluviale.

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