Le tramway électrique Decauville de 1890 - 4/7

Marc André Dubout

 Les visites aux Établissements Decauville

Établissements Decauville Aîné à Petit-Bourg - J. Turgan - 1878

 


Les visites des Établissements Decauville sont bien antérieures à cette époque puisque déjà jusqu'à l'atelier de Petit-Bourg, un service de transport de la gare d'Évry à Petit-Bourg (1500 m) était organisé et un break5 qui attendait le visiteurs en gare d'Évry et les ramenait après la visite.
Decauville ouvrait les portes de ses ateliers chaque année aux élèves des écoles des Ponts et Chaussées, Centrale, Institut agronomique.

Archives Paul Decauville, Archives départementales de l'Essonne

Sur ce plan (à gauche) montrant la situation des ateliers, de Petit-Bourg près des maisons ouvrières, est tracée la courte ligne (en rouge) partant de la gare d'Évry, suivant la ligne de Paris à Corbeil en direction de Paris puis obliquant dans l'actuelle avenue du Général De Gaule puis au rond-point, s'engage dans la rue Rossini, puis à droite dans la rue Mathilde. Ensuite elle prend la perpendiculaire à gauche vers le boulevard Aguado encadrant les ateliers et maisons ouvrières.
Voir sur le plan à droite. Nous étions à l'époque de l'exposition de 1878

.Archives Paul Decauville, Archives départementales de l'Essonne

C'est à l’Exposition Universelle de 1889 à Paris, que Decauville a pu démontrer son expertise inégalable en matière de chemins de fer à voie portative. En effet, outre son " Chemin de fer de l'Exposition ", l’entreprise a installé une vingtaine de kilomètres de voies pour faciliter la manutention des colis et des matériaux pour les exposants, mettant en avant ses innovations et compétences techniques. Mais la démonstration ne devait pas s'arrêté là, il fallait voir où toutes ces innovations étaient produites et visiter la nouvelle usine de Corbeil, la plus grande en matière de chemin de fer portatif, reliée à la gare P.L.M. par une voie de 0m,60 fixe.
Le choix de Petit-Bourg comme site pour accueillir les visiteurs et leur montrer les avancées technologiques depuis l'exposition de 1878 souligne l'importance des démonstrations pratiques dans le domaine des transports, de la manutention et de l'ingénierie. Cela permettait aux visiteurs de constater de visu les progrès réalisés et l’impact potentiel de ces innovations sur l’industrie et les infrastructures.

Ces démonstrations pratiques permettaient non seulement aux visiteurs de voir les technologies en action, mais aussi de comprendre leur potentiel d'application dans divers secteurs, allant de la construction à l'agriculture. Cette approche était cruciale pour convaincre les industriels et les décideurs de l'époque de l'intérêt de ces " nouvelles technologies ", dirions-nous aujourd'hui.

Les horaires des trains y sont mêmes donnés.

Archives Paul Decauville, Archives départementales de l'Essonne

Aussi un calendrier, indiquant les jours de visite à Petit-Bourg était établi de mai à novembre, pendant toute la durée de cette magistrale Exposition où Decauville put en coïncidence avec les thèmes retenus, faire apparaître les quatre grandes divisions de son organisation :


 

Ce qu'en dit Julien Turgan6 dans Les Grandes Usines. Études industrielles en France et à l'étranger.

Pendant la durée de l'Exposition universelle de 1889 Decauville a reçu en tout 1600 ingénieurs de diverses nationalités représentant les principales sociétés d'ingénieurs du monde.
Montons plutôt dans le train de la gare de Corbeil aux Ateliers Decauville avec J. Turgan et lisons ces vignettes

Archives communales de Corbeil-Essonnes

 

 

 

 

 

Archives communales de Corbeil-Essonnes

Après la visite, les invités remontent dans un train tracté par une locomotive Mallet de 12,5 tonnes. La visite se terminait par celle du laboratoire d'essai des métaux, semblable à celui du Conservatoire des Arts et Métiers et celui des champs d'expériences sur lesquels on essaie toutes les locomotives et les nouveaux types de wagons et voitures à voyageurs, avant de les livrer aux clients.
Le visiteurs montent dans un train préparé avec ses wagons de 1ère et 2ème classe, wagon restaurant, fourgon à bagages et wagons-poste. Le train est remorqué, sur la voie de 0m,60 par une locomotive de 12 tonnes qui va parcourir une véritable ligne de chemin de fer, établie sur un vaste champ qui occupe 15 à 20 hectares. Sur cette voie, les difficultés ont été accumulées et réunies sur le moindre espace. Après être sortis de l'usine et avoir évolué avec rapidité sur un cercle complet formant boucle de 20 mètres de rayon, le train côtoyé un étang que borde une route en remblais ; le passage de la voie a été fait en enlevant le talus à 90° de la route et en soutenant les terres par un mur. C'est donc un chemin de fer logé dans l'emplacement d'un talus de route. Le train s'élève ensuite, par une rampe de 40 %o et en parcourant une courbe de 20 mètres de rayon d'une hauteur de 4 mètres, c'est-à-dire que, sur une longueur de 120 mètres environ, la voie est venue se replier sur elle-même, en forme de tire-bouchon7.
Le train rejoint un premier plateau où se trouvent établis les maisons et le restaurant dont il sera parlé plus loin. Il s'élève alors, par des rampes successives variant de 50o à 90 %o, jusque sur le sommet du deuxième plateau, où se trouve établie la salle de réunion du personnel des usines. Il s'élève encore à flanc de coteau par des voies en lacets qui démontrent la possibilité de desservir très pratiquement les pays de montagne avec des locomotives travaillant par simple adhérence.
Mais il n'est pas toujours possible de décrire les lacets pour escalader les montagnes avec des rampes ne dépassant pas 8 à 9 %o.
La Société Decauville a donc cherché à résoudre le problème de l'ascension directe avec rampes atteignant jusqu'à 20 à 25 %o, comme le fameux ingénieur Riggenbach l'a fait au Righi avec voie de 1 mètre. La difficulté consistait dans la largeur de voie : il fallait construire la locomotive avec engrenages s'emboîtant sur la crémaillère de la voie, et beaucoup d'ingénieurs prétendaient qu'il ne serait pas possible d'y arriver avec une largeur aussi réduite entre les roues : mais à Petit-Bourg le mot " impossible " n'existe pas, et les problèmes de la locomotive à crémaillère pour voie de 0m,60 a été résolu victorieusement. Les visiteurs ont assisté aux premiers essais de la nouvelle locomotive " Hercule "8, qui se comporte admirablement sur les rampes. La crémaillère d'un type analogue à celui du Rjghi, pourra être fixée sur les éléments de voie militaire toutes les fois que l'on en trouvera en pays de montagne.
Les expérience terminées, le train redescend, avec une vitesse de 14 à 16 kilomètres, sans heurt, sans secousses, ces voies à pentes rapides, pour venir jusqu'aux restaurants de la Société coopérative, qui sera décrite plus loin.


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Gravure de Victor Rose9 représentant les installations Decauville d'Évry (Petit-Bourg) dans les années 1880.
On y voit à gauche sur la Seine un chargement de pierres meulières sur une péniche. Au-dessus, se trouve le plan incliné menant aux carrières. et au pied, le four de la briqueterie (construction des maisons ouvrières ou construction de l'usine nouvelle ?)
À droite le radeau de bois de chauffage transporté jusqu'au port par les wagonnets. Derrière diverses utilisations du porteur dans les champs : transport d'épandage de fumier, de marnes, récoltes, labourage à vapeur, etc. Au centre le bâtiment de la distillerie. Au fond la locomobile pour l'exploitation forestière. Tout à fait à l'arrière plan, les ateliers et la ferme de Petit-Bourg.
En bas à droite la signature de (Victor Rose), l'illustrateur de la Société Decauville.

 

Dans l'article de Jean de la Tour du Petit journal illustré " n°9684 du 1er juillet 1889, on apprend que des ingénieurs américains sont venus en nombre visiter les usines de la Société Decauville Aîné. Pour la circonstance Paul Decauville les attendait devant la gare où sa ligne de chemin de fer d'environ deux kilomètres pouvait transporter un si grand nombre de personnes. 
C'est peut-être de là que lui est venue l'idée de son tramway électrique pour transporter les visiteurs de la gare de Corbeil à son usine.

KE-electrique-12.jpg (116152 octets)Dans son article du "Petit journal illustré" n°9691 du 8 juillet 1889, il relate qu'un groupe d'ingénieurs anglais a visité l'exposition, à la suite de quoi ils sont allés à Petit-Bourg. À travers champs, ils ont vu évoluer un canon de fort tonnage sur une petite ligne de chemin de fer.

Nous sommes en 1889 et en 86 à Fontainebleau, le Capitaine P. Péchot avait fait une démonstration de manœuvre de canon de 240 sur deux trucks à trois essieux tirés par 18 chevaux.
L'année précédente à Toul d'autres manœuvres d'artillerie étaient programmées pour montrer entre autres le portage des charges indivisibles et les essais de chargement et déchargement.

Quelques jours plus tard dans le "Petit journal illustré " n°9768 du 23 septembre 1889, est rapporté qu'une délégation d'ingénieurs étrangers a fait une visite aux ateliers Decauville. C'est le Comité de la Société des ingénieurs civils, qui en organisant cette visite tenait à leur montrer une usine modèle en complément de la visite des ateliers de M. Eiffel. La Société des ingénieurs civils ne pouvait leur "montrer rien de plus parfait que les merveilleux ateliers de Petit-Bourg".
À 9h45, avec la presse, c'est 180 personnes qui embarquaient dans le train spécial, en route pour l'usine. Arrivés à la gare, ce sont deux trains "pareils à ceux qui fonctionnent à l'Exposition" qui les attendaient "pour les conduire aux ateliers de Petit-Bourg".
Pendant deux heures, diverses démonstrations ont étonné les visiteurs émerveillés qui ne purent retenir leurs applaudissements.
Ensuite les visiteurs remontèrent en wagons dans le train miniature qui les emmenait au château des Tourelles où un lunch était organisé. Au dessert, des toasts furent portés par MM. Decauville et Eiffel...
À 3 heures tout le monde remontait dans le train qui les ramenait à la gare de Corbeil où M. Decauville fut à nouveau l'objet d'une "ovation des plus flatteuses".

En fait, c'est à la suite du succès remporté à plusieurs reprises pendant l'Exposition universelle de 1889 que Decauville continua de programmer les visites de son usine à l'intention des élèves ingénieurs et décideurs en terme de chemins de fer afin de promouvoir les vertus de son chemin de fer portatif.
C'était un homme du marketing avant l'heure.

Dans les catalogues il est écrit : ' " Un Tramway Decauville, à voie de 0m,60, attend à la gare de Corbeil, les visiteurs se rendant au Ateliers de Petit-Bourg, les mardis et vendredis, à l'arrivée du train partant de Paris (Gare de Lyon) à 1h30. En fait, il ne s'agit pas exclusivement du tramway.
Ce peut-être, selon l'affluence, un train composé de voitures type KE de 48 places assises plus 8 debout, comme celles de l'Exposition universelle en cours (1889) tracté par une locomotive à vapeur ou à air comprimé ou tout simplement par un cheval.
Le parcours de moins de 2 kilomètres permet d'apprécier la facilité avec laquelle la voie de 0m,60 se plie à toutes les exigences d'un tracé ; tantôt placée sur la chaussée comme on le voit sur deux cartes postales, tantôt sur les trottoirs ou en accotement. Lorsqu'elle arrive en bord de Seine, elle longe le fleuve sur une grande longueur en quittant la Ville de Corbeil.
Dans ce parcours, au moyen de courbes de 20 mètres de rayon, elle s'inscrit dans des rues qui se croisent à angle droit et arrive à l'entrée du bâtiment dit de l'Administration qui comprend le cabinet du directeur général et la salle du Conseil.
L'usine est établie sur une surface de 8 Ha, presque entièrement couverte située entre la Seine et la ligne de chemin de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée. Un port est établi sur la Seine, desservi par  deux grues à vapeur.

 

La réussite et le succès incontestable de Decauville entraîne un partage de fêtes luxueuses données par ce grand Capitaine d'industrie, comme celle du 20 septembre 1889  (page 77)

Le 20 septembre 1889, un groupe de d'ingénieurs, russes, brésiliens, portugais, chiliens, venus au congrès des chemins de fer arrivent en gare de Corbeil par la Compagnie du P.L.M. dans des voitures de première classe à bogies et une voiture salon. Paul Decauville les accueille sur la place de la gare et les invite à prendre place dans ces voitures du type de celle de l'Exposition universelle sur cette ligne de tramway à voie de 0m,60 pour rejoindre l'usine et y faire la visite des ateliers.
Pour le repas un train les attendaient pour les conduire au château des Tourelles par l'une des voies du "champs d'essai" à rampes rapides, à courbes serrées afin qu'ils constatent qu'une Mallet pouvait y circuler aisément.
Sous deux tentes devant le château, un menu copieux leur fut, servi, arrosé de champagne. M. Gustave Eiffel était présent. Dans l'après-midi retour en petit train à la gare de Corbeille, pour emprunter le train spécial les ramenant à Paris.

Cette petite ligne de tramway fut à plusieurs reprises utilisée à l'occasion de festivités, d'invitations

Il semble qu'en 1890, un tramway similaire fut construit à Dieppe sur une voie de 60 armée de rails de 7,5 Kg.

À Corbeil, dix ans plus tard, en 1900, le tramway électrique fonctionnait toujours.

Decauville ce nom qui fit le tour du monde - Bailly - Amattéis - 1989 - Note page 68
Cette même année, le 18 août, alors que le tramway se rendait à la gare de Corbeil, pour le train de 8 heures, celui-ci s'est renversé sur la voie publique à l'intersection des rues Lafayette et Lucotte. L'eau mélangée à l'acide des accumulateurs brûla les vêtements d'un passager (Abeille de Seine-&-Oise du 23 août). Des ouvriers de l'usine vinrent aussitôt le relever.
En 1893, Paul Decauville sollicita son prolongement jusqu'au quai de la Pêcherie sans réalisation.

On en sait pas beaucoup plus sur la courte ligne de Corbeil qui allait de la gare PLM à et l'usine de Corbeil. (Decauville était également maire d'Évry-Petit Bourg et aussi sénateur de Seine & Oise). 

 

En 1914 à l'exposition de Lyon "un petit train électrique Decauville" avait été remarqué par sa locomotive à accumulateurs type "boîte à sel", une remorque de ce train figure dans le catalogue 130 (voir photo).
Il y eut des tramways électriques aux expositions de Bourg et de Toulouse. Decauville a même livré des voies et matériels pour l'O.T.L. (Tramway de Lyon) "Nous avons fourni la voie et les voitures".

Dans le catalogue 106 on peut voir la "Voiture automotrice électrique" des tramways de Tours (ligne Saint Symphorien - Boulevard de Grammont).

Dans le catalogue 130 on y voit la voiture automotrice de 2ème classe des tramways de Cherbourg.

Dans l'ouvrage de Jean Robert "Les tramways parisiens" il y a la motrice type B de la C.G.O. (la plus importante compagnie de tramways avant la S.T.C.R.P.).

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