Le tramway électrique Decauville de 1890 - 3/7

Marc André Dubout

Le Tramway Decauville

Il s'agit du tramway, matériel d'exposition dit " Tramway Decauville du Palais de l'industrie aux Chevaux de Marly".

Ce tramway avait été construit à partir du châssis et de la caisse (raccourcie) d'une voiture KE du type de celles qui avaient été exploitées lors de l'Exposition universelle de 1889. L'appareillage électrique n'étant pas encore au point, en cette fin XIXème S., Decauville qui ne voulait pas décevoir ses clients, ne s'est pas lancé dans la partie électrique proprement dite.
Dans le catalogue de 1884 apparaît la traction électrique bien qu'aux yeux de Paul Decauville, les résultats furent mitigés, en effet les utilisations faites à l'Exposition d'Amsterdam et à Caen ne révélèrent

pas une fiabilité régulière.
Ce petit tramway à voie de 60 était monté sur un châssis croisillonné de type voiture baladeuse (KE) à bogies, premier type des tramways de Royan (1890) et dont les moteurs étaient alimentés par des accumulateurs.

Ce véhicule pouvait transporter 32 passagers assis et 8 debout et avait un poste de conduite à  chaque extrémité.
Notons que les accumulateurs3 découverts en 1859 furent dès la fin du XIXème S. utilisés pour la traction électrique autonome sur les tramways parisiens.
En effet alors que l'alimentation par voie filaire était admise en banlieue, la Ville de Paris ne l'admit que bien plus tard ce qui a entraîné la recherche d'alimentation par accumulateurs pour les tramways intramuros4.
Dès 1890, Decauville profita des grandes expositions pour procéder à des essais de traction électrique autonome (accumulateurs).

D'après sa description, le tramway est montée sur deux bogies actionnés chacun par un moteur électrique de 6 chevaux et alimentés par des accumulateurs dissimilés sous les banquettes, ce qui permet leur remplacement en quelques minutes lorsque ceux-ci sont épuisés. L'autonomie est de 50 Km. et l'alimentation électrique permet une vitesse de 12 Km/h. De plus, les accumulateurs alimentent l'éclairage de la voiture.
Il y a deux batteries d'accumulateur, une en service pendant que l'autre est en charge.
La voiture, d'une conduite très simple, peut être confiée un ouvrier sans spécialité. La voiture est amphidrome et la conduite (vitesse et freinage) se commande à chaque bout.
Decauville a même prévue la charge des batteries (2,5 Watt par kilo d'accumulateur à charger). Aussi propose-t-il, non seulement des machines pour charger une ou deux batteries mais aussi les locomobiles idoines pour actionner ces machines. Il en affiche en outre les prix au catalogue.
Page du catalogue n°84 transmise par Raymond Duton .

Le 28 août 1883, Paul Decauville demande à la Ville de Corbeil l'autorisation d'exploiter une ligne de tramway entre la gare P.L.M. de Corbeil et la limite du territoire d'Éssonne et il envisageait par la suite de la prolonger jusqu'à Évry. "Comme il en espérait un réel succès", il sollicita dès 1884 une concession pour une ligne allant de la gare de Corbeil au quai de la Pêcherie...
Pour les Établissements Decauville, "ce projet avait un double avantage, tout d'abord celui de relier la capitale à l'usine et deuxièmement celui d'ordre social, en favorisant le progrès industriel".
Le 9 novembre suivant, le Conseil municipal de Corbeil approuva les conclusions du rapport d'études qui était favorable à cette autorisation.

Toutefois, le premier projet ne fut pas exécuté par le Conseil municipal de l'Éssonne, commune sur le territoire de laquelle devait aussi passer la ligne et se prononça contre... Le projet ne fut repris que le 20 février 1887, Paul Decauville ayant réitéré sa demande, modifiant le texte, cette fois en ne mentionnant qu'un "service expérimental" entre la gare P.L.M. et ses ateliers...

Le 26 février 1887, le Conseil autorisait le maire à traiter pour un service d'essai de deux ans. La convention fut signée, prévoyant la pose de la voie dans les trois mois et la traction du "tramway électrique" devait être assurée par des chevaux. 
Le 28 novembre 1887, le journal "L'Abeille de Seine-&-Oise" sous le titre "Nos armoiries en voyage" publiait l'article suivant : "On sait que Monsieur Decauville a commencé la construction d'un tramway qui doit relier ses nouveaux ateliers à la gare de Corbeil. Les travaux ont été retardés par de nombreuses formalités administratives mais le matériel est prêt depuis longtemps.

Paul Decauville a fait construire pour cet usage de coquets et luxueux petits wagons, sur les panneaux desquels figuraient les armoiries de Corbeil avec leur devise "Corbello pace que fidum". Mais dans l'attente de les mettre en exploitation, il les a fait transporter à Deauville où il possède une grande et belle propriété."
Paul Decauville a installé dans cette ville un petit chemin de fer reliant la cité balnéaire à sa voisine Trouville. Il s'agissait d'un tramway à traction hippomobile et bien sûr ces petits wagons ont fait merveille. Les habitants ont pris ces armoiries pour celles de leur ville. Une photographie de ces petits véhicules est conservée dans les archives personnelles de Decauville.
La ligne à voie de 60, réalisée en 1885, s'étendait entre les deux villes sur une longueur de 2300 m. depuis le port de Deauville jusqu'à Trouville.

Archives Paul Decauville, Archives départementales de l'Essonne

Decauville ce nom qui fit le tour du monde - Bailly - Amattéis - 1989 - Note page 68

De 1888 à 1890, le tramway fonctionnait normalement et Decauville payait 400 Francs de redevance à la Ville. 

En 1890, à l'occasion d'une exposition au "Palais de l'industrie aux chevaux de Marly" Decauville présente son tramway construit sur le type d'une baladeuse KE " aménagée" .
En effet depuis plusieurs années Paul Decauville s'est intéressé à étude et l'application de la traction électrique sur les voies étroites de 60 et de 50 cm. et il a réalisé cette "voiture électrique" qui a fonctionné à Paris à Exposition internationale des Sciences et Arts industriels (1890), ensuite au Concours régional de Bourg (Ain) et à l'Exposition d'électricité de Toulouse.

Ce tramway électrique, dans l'esprit de Paul Decauville avait un avenir, aussi le proposa-t-il pour le transport des voyageurs sur le chemin de fer de l'Exposition universelle de 1900

J. Turgan " 6 Les Grandes Usines - Établissement Decauville Ainé - page 43

 

 

En 1908, les voies qui reliaient la gare de Corbeil à l'usine furent déposées.

 Archives communales de Corbeil-Essonnes
Le 19 février 1908, M. Decauville accuse réception au Maire de Corbeil de sa lettre du 13 courant et l'informe qu'il prend les dispositions pour procéder à l'enlèvement de sa voie, aussi promptement que possible.

 

 

 

 

La ligne en images

 
Sur ces cartes postales on distingue très visiblement la voie de 60 encastrée dans le pavage de la place, devant la gare de Corbeil des années 1865. C'était le départ du petit train emmenant les visiteurs jusqu'à l'usine Decauville située à moins de deux kilomètres de la gare. La voie se dirige visiblement dans l'avenue Darblay.

Sur ce plan joint à une lettre du 26 avril 1887, on observe deux voies en impasse, côté BV terminus de la courte ligne. La voie s'engage ensuite le long du trottoir de l'avenue Darblay, puis par une courbe de 30 m de rayon dans la rue du Chemin de fer (actuellement rue du Gal Lucotte).
À l'époque cette rue allait jusqu'à la Seine. Elle a été ensuite interceptée par une extension industrielle au niveau de la rue La Fayette ce qui rend difficile de retrouver le tracé, d'autant que dans les relations épistolaires entre M. Decauville et la Mairie de Corbeil on lit que la voie passait par la rue du Chemin de fer (en vert) et dans d'autres échanges on parle de la rue de Seine (en rouge) qui lui est parallèle.

Dans les deux cas, une fois le quai de Seine (quai de l'Apport Paris) atteint, la ligne suivait le fleuve jusqu'à la Ville d'Éssonne2 où se situaient les 8 Hectares de l'usine Nouvelle.

Ce qui est sûr c'est son tracé dans l'avenue d'Arblay, et dans la rue du Chemin de fer, des cartes postales anciennes, le montrent.
En août 1900 un accident se produisit à l'intersection de la rue Lucotte et la rue La Fayette. Par ailleurs dans la littérature, on apprend que le voie était posée le long du quai. Ces points sont attestés.

 
À gauche (rue Lucotte), dans sa version initiale, jusqu'à la Seine. Sur certaines cartes postales, on distingue la voie de 60 au milieu de la rue.


La même rue aujourd'hui interceptée au niveau du bâtiment bleu foncé sur la photo. les rails sont dissimulés par la pluie mais toujours présents.

Document Google
Plan général du quartier. La voie de 60 (en rouge) se tient sur le côté droit dans l'avenue Darblay. Plus à droite la voie mère (en bleu VN) desservant les Grands Moulins de Corbeil est ses six voies intérieures.

 

Archives communales de Corbeil-Essonnes
Terminus de la ligne. Cerclé de rouge les bâtiments de l'Administration, cabinet des directeur et secrétaire général, salle des séances du Conseil, les divers bureaux, et toujours en rouge, le tracé de la voie de 60, le long du quai de l'Apport Paris. En fond la Seine.
Il ne reste rien de ce terminus, une parie de l'usine a été démolie et ce qui en reste ne mérite pas ce triste destin.

Archives Decauville, Archives départementales d'Essonne

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