Le carnet du CFC
Decauville, l'inventeur des chemins de fer de loisir
Marc André Dubout
Dans son ouvrage : Paul Decauville et le tourisme ferroviaire : un « modèle Decauville »,
publié dans La Revue d’histoire des chemins de fer, le Dr Jean-Jacques
Marchi propose de démonter comment Paul Decauville, inventeur du
"porteur" éponyme, était aussi par son esprit d'entreprise
l'inventeur du chemin de fer touristique.
Dans cette approche, le chemin de fer n'apparaît plus comme un vecteur de
modernité : vitesse, puissance, capacité, image que nous laisse percevoir ce
XIXème S. du progrès de la science et des techniques mais comme le
moyen de la découverte des paysages, l'attrait de la lenteur qui laisse le
temps d'apprécier ce qui nous entoure. Dans cette vision, le voyage n'est plus un moyen de se
déplacer mais la motivation de ce déplacement, la découverte qu'il procure.
Le premier chemin de fer touristique dans la propriété de Petit-Bourg
Dès
1875, Paul Decauville essaye plusieurs moyens de transport dans l'enceinte même
de son exploitation. Parmi ceux-ci se trouve le « Système H. Corbin »
vite abandonné1.
C'est sans conteste, à la suite de son voyage au Pays de Galles sur le
Ffestiniog Railway (1832) qui descend non seulement des ardoises de Ffestiniog
à Portmadoc mais encore transporte des voyageurs qui profitent du voyage sur
les 23 kilomètres de la ligne, que l'idée vint à l'esprit de notre inventeur
de développer ce système dans sa propriété de Seine & Oise.
Le Concours
régional de Compiègne en 1877
Paul Decauville était à cette époque un grand animateur des principales
manifestations agricoles et contribua à ce titre à la fondation de la
Société des Agriculteurs de France. Il en resta l'un des membres les
plus influents. C'est tout naturellement qu'il participa aux divers concours
régionaux dont celui de Compiègne en 1877.
Cette application singulière de la voie de 50 alors inconnue, Paul Decauville la fit se produire en 1877
au "Concours régional de Compiègne" où une voie de 50 de cinq kilomètres,
armée de rail de 4,5 kg fut installée. Une petite locomotive de 1,175 tonne
remorquait 6 voitures de type 68, où pouvait prendre place environ 60
personnes pour en desservir l'exposition.
Ce fut un des premiers chemins de fer à voie
étroite en France destiné au transport de passagers.
Une petite locomotive à vapeur à voie de 50 cm, y promène 60 personnes à la fois d’un bout à l’autre du
concours à la vitesse de 15 Km/h.
Elle est ensuite envoyée à Rotterdam.
Le nom de Decauville n'apparaît cependant pas au titre du matériel agricole,
alors que la ferme de Petit-Bourg était contemporaine du labourage et du
hersage à vapeur (1867), des appareils de distillerie et de l'agriculture
moderne, innovante et... devenue industrielle.
Decauville reçu malgré tout le premier prix, médaille d'o pour le chemin de
fer agricole.
Par ailleurs, les noms de Hermann-Lachapelle et Albaret y figurent en premiers
rangs des récompenses.
L'Exposition Universelle de 1878
En 1878 a lieu à Paris, l’Exposition Universelle. Elle
a lieu du 1er mai au 31 octobre 1878 et couvre 75 hectares entre le Champ-de-Mars et la butte de Chaillot.
C'est l'exposition des nouvelles technologies grâce à l'énergie électrique.
52 835 exposants dont 25 872 Français, 16 156 626 visiteurs, elle s'étend du Champ de Mars, colline de Chaillot,
au quai d'Orsay et esplanade des Invalides.
Les pavillons des 53 000 exposants s’étendent sur les deux rives de la Seine,
et deux nouveaux palais sont construits, ceux du Champ de Mars et du Trocadéro
marquent les esprits.
Pour l'occasion la gare de Champ de Mars, construite en 1867, est réactivée. À la demande de l'État, la Compagnie de l'Ouest accepte, de rétablir l'embranchement de Grenelle-Ceinture au Champ-de-Mars, à la fois pour permettre le transport de fret permettant la construction des infrastructures de l'Exposition et pour assurer l'accès des voyageurs, à une époque où les transports en commun parisiens se résument aux omnibus de la Compagnie Générale des Omnibus (CGO) et aux fiacres. Le raccordement est achevé le 25 novembre 1877, et le trafic marchandises débute en décembre 1877. Un bâtiment voyageurs est commandé à l'architecte Juste Lisch ; celui-ci conçoit un vaste édifice, composé d'un bâtiment central de 1000 m2, encadré de deux pavillons, construit en structure métallique, avec remplissage de briques polychromes, reposant sur un soubassement en pierre de taille. La gare dispose de deux quais de 180 m. de longueur pouvant accueillir quatre trains ; s'y ajoutent, derrière le bâtiment du buffet de la gare, sept voies de manœuvre ou de garage (dont cinq pour les marchandises), et une voie pénétrant dans le Champ-de-Mars pour assurer la livraison de marchandises à pied d'œuvre.
À l'intérieur de l'exposition, une voie de Decauville de 50 cm de deux
kilomètres de longueur est retenue pour l’acheminement
des colis des exposants. Mais Decauville voit plus loin. Comme l'année
précédente à Compiègne, il propose un service interne pour les visiteurs. «
Installer, à ses risques et
périls, un petit tramway entre le Trocadéro et l’École Militaire », mais
le commissaire de l'exposition M. Krantz refuse.
Son intervention lui valut une médaille d'or à l'Exposition universelle de
1878.
Le jardin d'Acclimatation
Suite au refus de transporter les visiteurs à l'exposition universelle de 1878,
Paul Decauville se tourne alors vers le Jardin d’Acclimatation du Bois
de Boulogne qui accepte son petit train en voie de 50.
La ligne est construite en boucle entre l'entrée du jardin. Elle est ouverte en 1878 et elle relie aujourd'hui la porte Maillot au jardin
d'acclimatation, distants de 800 mètres. C'est la première ligne de France à
voie étroite à avoir transporté des voyageurs.
Le petit train du Jardin d’Acclimatation se présente sous la forme de wagonnets
découverts dans lesquels les voyageurs s’installent longitudinalement sur des banquettes placées dos à dos. Chaque train est tiré par un cheval
ou des poneys au pas. La ligne s’étend sur 1 500 mètres dans des conditions parfaites
de sécurité (« aucun déraillement ne s’est jamais produit »).
Le chemin de fer transporte un nombre considérable de voyageurs : en moyenne
de 10 000 à à 15 000 voyageurs par mois, avec des pointes à 3 000 certains dimanches
après-midi. Ainsi, en 1878, le premier chemin de fer touristique
à caractère de loisir est créé.
Le succès du petit train du Jardin d’Acclimatation suggère l’idée de promouvoir d’autres chemins de fer de ce type dans des
expositions, des concours ou... dans les stations balnéaires naissantes.
Le wagonnet type 28 dit de "promenade" est très économique pour
les jardins publics, usines, plantations. Il a été créé pour le jardin
d'acclimatation en 1878. et a été aussi appliqué au casino d'Arcachon
et dans certain nombre d'exposition. Sa capacité est de deux fois quatre
personnes installées sur une banquette dos à dos. Il est, en outre, muni d'une
plate-forme pour le conducteur avec un frein à manivelle pour réduire sa
vitesse dans les pentes.
Le type 28 C est le même mais muni de suspension.
Son prix est de 350
francs en voie de 50 et 375 francs en voie de 60.
La Gravure est signée de Victor Rose comme souvent sur les
illustrations Decauville.
En 1880, une nouvelle ligne, au tracé modifié, relie le jardin à la porte Maillot. Elle est posée par une autre entreprise et exploitée comme une ligne de tramway américain avec des véhicules tractés par des poneys. Ceux-ci laissent place à des tracteurs vers 1910. Vers 1930, la ligne est raccourcie à chacune de ses extrémités. Depuis, elle continue à relier la porte Maillot au jardin, sans avoir connu d'évolution importante.
En 1879, dans sa propriété de Petit Bourg
En
1879, dans les établissements de Petit-Bourg, Paul Decauville avait
construit un
petit chemin de fer en voie de 50 d'environ 5 kilomètres pour transporter des voyageurs de nulle part
à nulle part, simplement pour le seul attrait de la balade.
Cette vitrine insolite avait aussi pour but de faire connaître ses réalisations
jusqu'ici inconnues de par leur nouveauté.
Le chemin de fer de loisir était créé.
Dans son catalogue de 1890, cinq pays : France, Russie, Brésil, Java Porto-Rico sont mentionnés comme "Pays où le Decauville fonctionne comme service de promenade".
Une petite locomotive à vapeur Lilliput tire ses "wagons de
promenade, légers" à travers les huit hectares de l’établissement
agricole et industriel de Petit-Bourg..
Cette promenade permet ainsi de faire connaître, l'exploitation agricole, la distillerie d'alcool de betterave, les carrières de meulières
et les ateliers de construction mécanique et chaudronnerie.
En 1881, le tramway dans le parc du Casino d'Arcachon
Sur la Côte d'Argent, l'ancien casino Mauresque d'Arcachon fut édifié en
1863 par l'architecte Paul Régnauld. Emblématique du projet immobilier des frères
Pereire débuté en 1862, il fut un haut lieu de la bourgeoisie du début du XXème Siècle.
Paul Decauville y installa un petit chemin de fer de loisir dans les jardins.
Notons au passage que la Compagnie des Chemins de fer du Midi était
dirigée par les frères Pereire.
Le casino fut vendu à la ville d'Arcachon en 1879 et disparaît dans un
incendie en janvier 1977.
La consécration, l’Exposition Universelle de 1889
Nous ne reviendrons pas sur le petit train de l'Exposition universelle de 1889 qui a donné au chemin de fer Decauville ses lettres de noblesse. En effet depuis la circulaire ministérielle du 12 janvier 1888, l'emploi de la voie de 60 était proscrit pour le transport des voyageurs. Cette interdiction fut levée suite à l'exposition de 89.La voie de 60 était dès lors autorisée à transporter des voyageurs.
Les petits trains balnéaires
À la fin du XIXème S., la mode des bains de mer et à la croissance du tourisme estival
et/ou dominical, voit apparaître de nombreuses stations balnéaires dont
quelques-unes sont desservies par un tramway de loisir. Si cette mode apparaît
d'abord en Angleterre, elle se développe en France avec la révolution
industrielle qui favorise l'intensification des loisirs et des voyages, et les
classes aisées effectuent des migrations saisonnières vers la côte et la mer
qui n'est plus redoutée mais désormais vue comme attrayante et excitante. De
plus des lignes de chemin de fer sont créées pour en favoriser l'accès et
par conséquent la fréquentation.
Paul Decauville n'est pas insensible à cette opportunité nouvelle et prend une part active dans
l'émergence des "petits trains de plages", généralement à voie de 60 cm,
établis dans les stations balnéaires. Ainsi, plusieurs chemin de fer devaient commencer à faire parler d’eux et connaître en général un succès facile
qui allait durer jusqu’au premier conflit mondial.
Les chemins de fer des Expositions et concours
En cette fin de siècle, la Russie agricole et paysanne, comme d'autres contrées en Europe, se métamorphose en pays industriel, de l'agronomie, des beaux-arts, de l'horticulture.
La diversité des pavillons de l'exposition, l'émancipation des recherches, l'infinité des articles du grand luxe au bas prix fait passer la Russie d'en bas, attardée dans le passé à celle d'en haut avancée dans le présent parfois même dans l'avenir.
La Russie a fait des pas de géant dans le domaine de l'industrie comme dans tous les autres.
C'est ce que reflète cette exposition de 1882.
Vous franchissez l’enceinte de l’exposition ; où est le recueillement de la vieille Moscou, attentive aux pieux appels de ses clochers ? Ici domine la rude voix de ce siècle, la respiration haletante et le cri rauque de la chaudière à vapeur, le râle précipité des pistons, le sifflement des courroies de transmission, le battement des métiers. Partout l’esclave moderne étend ses longs bras d’acier et accomplit, impeccable, les plus formidables comme les plus délicates besognes. Mille machines vous livrent leurs secrets ingénieux ; l’électricité multiplie ses miracles et meut un chemin de fer qui serpente autour des bâtiments. Près des instruments du travail, une travée nous en montre les aliments, la houille, le fer, les échantillons du trésor russe, gardés dans les entrailles de l’Oural, les sables d’or, les métaux rares, les pierres précieuses. Puis, le long de ces vitrines, toutes les conquêtes des sciences nées d’hier, tous les produits d’une industrie raffinée, toutes les recherches du luxe et du bien-être.
Eugène-Melchior de Vogüé.
Revue des Deux
Mondes, 3ème période, tome 54, 1882 (p. 27-61).
Dans une lettre du 26 juillet 1882 de Monsieur A. Hoffmann destinée à un ami, celui-ci décrit quelques tableaux de l'exposition universelle placée sous la présidence de S.A.I. le Grand-Duc Wladimir Alexandrowitsch.
Cette exposition dépasse de beaucoup toutes les précédentes célébrant la fête de tout un peuple.
"Je ne saurais dire combien sont considérables les progrès faits en Russie, dans les diverses industries. Actuellement certaines branches de l'industrie sont dignes de rivaliser avec celles des autres nations qui marchent à la tête du progrès. L'exposition embrasse les sections de la mécanique, de la grande et petite industrie, de la guerre, de la marine, etc. ".
Dans cette lettre nul chemin de fer de loisir n'est évoqué mais il y joint un plan de l'exposition sur lequel le tracé est bien clairement mentionné.
En bleu la voie étroite, en rouge la voie normale.
Courrier de l'Ain n° 56 du mardi 8 mai 1883 - article de Jarrin
www.archives.ain.fr
Courrier de l'Ain n° 58 du samedi 12 mai 1883 - article de F. Convert
www.archives.ain.fr
Tracé présumé entre la place Jaubert et la gare de Bourg-en-Bresse.s
En 1885, la société de tir sportif de Lyon, la société des tireurs du Rhône et la société de tir de l’armée territoriale se lient pour organiser un grand concours régional.
La ville de Laon est construite sur un éperon rocheux à près de 100 mètres d'altitude. C'est une place forte fortifiée qui domine la plaine depuis des siècles dont la population résidant sur le plateau est estimée à 9 000 habitants au début du XIXème siècle
En 1857, le train arrive à Laon et la gare située en plaine, la ville se développe autour de celle-ci.
Se pose alors le problème re réunir les deux parties de la ville haute et de la ville basse. Dès le début des années 80 des ingénieurs et inventeurs sollicitent la ville pour édifier un moyen de transport. Au cours des années 1880, la ville est fortement sollicitée par ingénieurs et inventeurs pour réaliser un moyen de transport public efficace, la topographie atypique attire les ingénieurs souhaitant relever le défi.
Une première expérimentation a lieu à l’occasion du « concours régional de mai 1888 », qui a vu la mise en place d'un tramway à vapeur de type Decauville, mais dont le succès fut mitigé, la machine souffrant de pannes nombreuses et cause des nuisances sonores et olfactives importantes.
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