Le carnet du CFC

Le chemin de fer glissant à propulsion hydraulique de 1889

MAD


Cette invention présentée à l'Exposition universelle de 1889 date en fait de 1864. Elle est due à l'ingénieur Louis Dominique Girard (1815-1871) qui expérimentait le "chemin de fer glissant" dans sa propriété de la Jonchère à Rueil-Malmaison en 1865.
Dans son "Mémoire sur les turbines du système hydropneumatique", L.D. Girard et Ch. Callon présentent en 1852 les perfectionnements apportés aux turbines qui ont fait l'objet d'un brevet en 1849 et qui concernent les applications aux barrages en rivière et aux roues hydrauliques à aubes.
Plus tard, Girard conçut un système de chemin de fer glissant sur "coussin d'eau", propulsé par l'énergie hydraulique (voir LVDC n°101).
Le principe de ce système est d'éviter au maximum les frottements en le faisant glisser sur une mince couche d'eau.
Pour ce qui est de la traction le principe consiste à produire le mouvement au moyen de colonnes d'eau horizontales sous pression s'échappant d'ajutages fixes, placés de distance en distance sur la voie, au moment du passage des trains. Une conduite générale placée le long de la voie alimentant ces ajutages.
Une turbine rectiligne placée sous les wagons et sur toute la longueur des trains et peuvent produire la marche en avant et la marche en arrière.

 

 


L'article du "Petit journal illustré " n° 9671 du 18 juin 1889

Un tuyau conducteur faisant partie d'un système de locomotion actionné par l'eau a fait tout à coup explosion hier dans l'après-midi sur l'esplanade des Invalides? Une palissade en planches a été entraînée par les eaux qui se sont en un instant échappées en torrent. Une jeune femme a été atteinte légèrement.


L'article du "Petit journal illustré " n° 9709 du 22 juillet 1889

Hier matin, on a expérimenté pour la première fois à l'esplanade des Invalides, une invention bien étonnante.
Il s'agit d'un chemin de fer glissant sur des patins sans roues, sans locomotive, sur des patins plats. Une mince couche d'eau, interposée entre les rails et les patins, détruit toute espèce de résistance au glissement et, si les dires de l'inventeur sont exacts, le train le plus largement chargé pourrait atteindre une vitesse de 200 kilomètres à l'heure sans que les voyageurs ressentissent la moindre secousse. La propulsion est obtenue à l'aide de colonnes d'eau sous forte pression s'échappant d'ajutages fixes placés sur la voie, de distance en distance, et qui actionnent une turbine rectiligne fixée en dessous du train sur toute sa longueur.
Pas de bruit ni de trépidation, pas de fumée, facilité d'arrêt presque instantané, possibilité de descendre et de gravir des rampes de 450 millimètres par mètre, économie considérable et suppression de tout accident ; tels seraient en résumé, les avantages de de mode de locomotion prodigieux.
M. Le Royer, président du Sénat ; M. Jacques, président du Conseil général ; M. Eiffel et plusieurs autres ingénieurs assistaient aux expériences d'hier qui ont, sur un parcours de 180 mètres, absolument réussi.
Maintenant qu'est-ce que cette invention donnera dans la pratique ?


L'article du "Petit journal illustré " n° 9709 du 26 juillet 1889

Certes, c'est une des curiosités de l'Exposition et ce sera probablement une des curiosité du siècle que ce chemin de fer dont le Petit Journal a été le premier à dire quelques mots il y a quatre jours. Il s'agit de ce chemin de fer à propulsion hydraulique dont les expériences se poursuivent à l'Esplanade des Invalides.
L'homme de génie qui a trouvé cette stupéfiante mécanique est malheureusement mort depuis une vingtaine d'années. Il se nommait Dominique Girard. Nous en reparlerons tout à l'heure.
D'abord quelques explications ; le chemin der fer en question ne ressemble en rien aux trains ordinaires. il n'emporte pas avec lui la force qui l'anime, puis singularité non moins étrange, il n'a pas de roues : il marche sur des patins.
Ces patins longs de 0m,40 c. large de 0m, 25 c. à peu près s'appuient sur des rails plats de largeur identique. L'intérieur en est évidé. Que l'on s'imagine d'épaisses boîtes de fer, carrées et sans couvercle que l'on aurait retournées sur les rails . D'un bout à l'autre du train, tous les patins sont mis en communication, par des tuyaux, avec un réservoir placé dans le wagon de tête, et qui contient de l'eau et de l'air légèrement comprimé.
Pour la marche, le mécanicien ouvre un robinet ; l'eau des réservoirs, sous l'action de l'air qui pèse sur elle, afflue violemment dans les patins qui eux-mêmes sous la pression de l'eau se soulèvent un peu. La couche liquide de quelques millimètres qui s'interpose alors entre le patin et le rail annihile le frottement des deux surfaces métalliques et il suffit, dès lors, d'un effort très modique pour mettre le convoi en mouvement.
Voilà la suppression des roues. Quand à la force motrice, elle se trouve, nous l'avons dit, en dehors du train. C'est encore l'eau qu'on l'emprunte et voici comment :
Chacun des wagons est muni, en dessous, d'une turbine rectiligne ou pour parler plus clair d'une énorme règle de fer qui va dans le sens de sa longueur et qui est creusée de crans larges et profonds.
D'autre part, sous terre, tout le long de la ligne, court une conduite dans laquelle des machines à vapeur établies tous les dix, vingt ou même quarante kilomètres entretiennent de l'eau à une pression relativement faible (20 ou 25 kilogrammes suffisent).
Cette eau arrive par des tuyaux dont les ajutages émergent sur la voie à la hauteur des turbines des wagons. Veut-on marcher ? Le premier ajutage est ouvert ; l'eau vient frapper avec force les crans de la turbine et la met en mouvement en même temps, naturellement, que le train avec lequel elle fait corps.
Le convoi est lancé. Derrière lui, l'ajutage se referme automatiquement. La vitesse acquise porte le train jusqu'au second ajutage, qui s'ouvre à son passage, se referme derrière lui. et ainsi de suite.
Notez que le mécanicien peut, de sa machine, non seulement ouvrir et fermer les ajutages qui se présentent, mais encore en modérer le débit, et par conséquent, ralentir ou précipiter à son gré la vitesse qui, si l'on en croit les intéressés, dépasserait tout ce que nous imaginons.
- Nous commencerons, disent-ils, par 200 kilomètres à l'heure, pour ne vexer personne.
Deux cents kilomètres ! Trois ou quatre fois la rapidité de nos express.
Veut-on stopper ? jeu inverse ; fermeture de ajutages, fermeture du robinet qui distribue l'eau aux patins ; plus de couche liquide sur les rails, frottement énorme, enfin arrêt en l'espace de quelques mètres, sans frein d'aucune sorte, sans secousse, par le seul poids du train.
Pas d'accident possibles, par conséquent. C'est d'une simplicité géniale et l'on se demande, en vérité, quand on se trouve en présence des résultats étonnants obtenus à l'Esplanade, avec une installation sommaire, on se demande comment une invention pareille a pu pendant plus de trente ans rester stérile.
Car cette nouveauté est déjà vieille. le principe du chemin de fer glissant a été découvert, en 1854, par Louis-Dominique Girard, qui est du reste connu par ses inventions ou adaptations hydrauliques ; il a imaginé notamment des pompes et des turbines qui portent son nom.
Grâce à l'obligeance de M. Barre, un ingénieur de grand mérite aussi, qui fut le collaborateur de Girard, qui perfectionna et qui aujourd'hui continue son oeuvre, nous avons eu sous les yeux une petite brochure où l'inventeur explique naïvement comme suit le genèse de son idée.
3 un jour, dit-il en traversant à pied la plaine de Chelles, (je revenais de l'usine de Noisiel où je faisais diverses installations hydrauliques) il me vint à la pensée de chercher si sur terre, tout était bien fini avec les chemins de fer et si l'on ne pouvait pas augmenter leur vitesse".
Girard dit "sur terre" car il était depuis longtemps préoccupé aussi du problème de la navigation aérienne.
"C'est à cet instant de mon rêve, ajoute-t-il, que l'idée me vint de supprimer les roues. C'était facile à dire, mais le moyen de s'en passer sans tomber dans une résistance excessive, avec un convoi devenu traîneau . En effet, un simple calcul de tête m'indiquait de suite que la résistance serait décuplée. Et je voulais marcher cinq fois plus vite que nos chemins de fer ordinaires !
J'étais dans une réflexion profonde et je le sentais le froid au cœur d'avoir eu cette pensée. Tout à coup comme une massue une idée me frappa : un rail très large... un patin... et les deux surfaces constamment séparées par une couche d'air insufflée par une pompe pneumatique placée dans le convoi même. Toute cette installation fut faite dans mon cerveau dans le seul espace de temps que je mettais à passer le pont d'un petit cours d'eau. Je dois dire la vérité : au bout de ce petit pont, je sentis mes jambes fléchir, et je fus obligé de me tenir au garde-fou pour ne pas tomber".
Girard remplaça ensuite l'air par de l'eau. Et voilà.
Girard était un ouvrier illettré qui s'était fait lui-même. Il demeurait à la Jonchère, entre Rueil et Bougival. Il était à la tête d'une usine pour la fabrication de ses turbines et de ses pompes, mais tout ce qu'il gagnait il l'employait au fur et à mesure à de nouvelles recherches. Aussi désintéressé que bon patriote, il refusait une somme considérable que les Anglais lui offraient pour aller à Londres continuer ses travaux sur le chemin de fer glissant. " Mon chemin de fer marchera d'abord en France, disait-il ou il ne marchera pas du tout". En outre, original et très indépendant. L'Empereur qui s'intéressait beaucoup à lui et lui fournissait même des subventions pour ses expériences, fut obligé de lui retirer la carte d'entrée permanente qu'il lui avait donnée pour les Tuileries, parce qu'un jour Girard, qui n'entendait pas qu'on discutât, avait fortement rabroué un des plus grands personnages de la cour.
Puis il avait une marotte, il voulait que son premier chemin de fer allât de Calais à Marseille, pas un kilomètre de moins.
Les essais cependant marchaient bien, et Girard eût certainement abouti. Mais survint la guerre de 1870. Pendant le siège de Paris, un jour que l'inventeur, monté en compagnie de quelques personnes sur un bateau-omnibus, se rendait aux avant-postes, une salve de mousqueterie fut tirée de la rive par une patrouille prussienne. Girard tomba raide mort. Il avait à peine quarante-huit ans.
Ses plans, ses brevets furent vendus. Un grand constructeur de machines agricoles, M.P. Les acheta en bloc. Il tria ce qui pouvait l'intéresser, et remisa le reste au grenier. C'est là que M. Barre, il y a quelques années, a réussi après bien des recherches, à dénicher les précieuses paperasses.
M. Barre a apporté au chemin de fer glissant de notables perfectionnements qui désormais le rende pratique. Il a par exemple modifié complètement la forme des patins de Girard, qui n'étaient pas assez stables. M. Barre est un ancien de l'École centrale, qui a déjà à son actif des oeuvres importantes.
Déjà, lors de l'Exposition de 1878, il avait obtenu une concession pour installer entre le quai de Billy et le point culminant du Trocadéro, un chemin de fer de son système ; malheureusement les fonds lui manquèrent et il lui fallut renoncer à son projet.
Cette fois encore il a dû, pour ses expériences de l'Esplanade, faire appel à la bourse de quelques amis pour de petites sommes. mais la démonstration, toute sommaire, quelle soit, n'en est pas moins concluante et l'on peut, dès aujourd'hui, prévoir le moment où le rêve de Girard sera enfin réalisé.

      


L'article "La Nature" n°844 p. 150, 151 du 3 août  1889 Masson Éditeur - Paris, 1889

LE CHEMIN DE FER GLISSANT A L'ESPLANADE DES INVALIDES, DE PARIS

Tout vient à point à qui sait attendre. Jamais proverbe ne fut plus vrai et ne trouva d'application plus directe qu'à propos du chemin de fer glissant dont on vient d'inaugurer un tronçon à titre expérimental, sur l'Esplanade des Invalides, système dont l'idée remonte à trente-cinq ans.
C'est en effet en 1854 que Louis-Dominique Girard, l'habile hydraulicien dont les turbines sont aujourd'hui universellement répandues, eut l'idée de construire un train sans roues, dans le but de réduire le frottement, et pour pouvoir atteindre de très grandes vitesses jusqu'alors inconnues, de substituer au roulement le glissement sur une mince lame d'eau sous pression. Malheureusement l'inventeur n'est plus là pour assister aux premières expériences un peu importantes de son système dont il avait fait les premiers essais à la Jonchère, entre Rueil et Bougival ; son installation fut détruite pendant la guerre, et lui-même tombait frappé par une balle prussienne, à peine âgé de quarante-huit ans, alors qu'il préparait les projets d'une petite ligne de Paris à Argenteuil, ligne dont il venait d'obtenir la concession.
L'idée de Girard n'est heureusement pas morte avec lui, elle a été reprise par un de ses anciens collaborateurs, qui, aidé de quelques amis, a réussi à établir la ligne de 125 mètres de longueur actuellement en fonction aux Invalides, à titre d'expérience et d'étude.
Nous nous contenterons d'indiquer aujourd'hui le principe de fonctionnement général du système, réservant l'examen des détails pour un article ultérieur. L'idée qui a guidé Girard consiste à supprimer les roues et la locomotive, en remplaçant les unes et l'autre par des actions hydrauliques. Le système de glissement et Ie système de propulsion sont donc absolument distincts.

Suspension et entraînement. - Le train est formé d'un wagon de manœuvre renfermant des réservoirs d'eau et d'air comprimé dont nous allons voir la fonction dans un instant, et d'une série de voitures, au nombre de quatre dans le train d'études exposé aux Invalides, plus spécialement combiné en vue de donner satisfaction aux exigences particulières d'un train de chemin de fer métropolitain. Chacune des voitures du train repose sur six patins de forme rectangulaire, creux au milieu, et portant une série de rainures étroites à l'arrêt : ces six patins reposent sur deux larges rails plats formant la voie. Lorsqu'on veut mettre en route, on fait arriver de l'eau sous pression sous chacun de ces patins. Cette eau sous pression est fournie par des réservoirs disposés dans les wagons de tête, et la pression est maintenue constante à l'aide d'un réservoir à air comprimé qui vient agir sur l'eau par l'intermédiaire d'un détendeur. L'eau ainsi amenée sous le patin ne peut s'échapper qu'en le soulevant, et comme elle arrive sur tous les patins à la fois, il en résulte que tout le train se trouve soulevé en même temps et vient flotter, en quelque sorte, sur une série de coussinets liquides excessivement minces, formant une suspension fort douce, et que l'eau sous pression venant des réservoirs entretient d'une façon continue, réparant les fuites d'eau qui se produisent autour de chaque patin. A cet instant, le train tout entier est assimilable à un bateau qui flotterait sur l'eau sans s'y enfoncer. Le frottement se trouve considérablement réduit, - les chiffres font encore défaut, -. ainsi que l'effort de traction, et, par suite, la puissance mécanique nécessaire pour communiquer, toutes choses égales d'ailleurs, à un train donné une vitesse donnée.

Propulsion. - Pour produire l'entraînement du véhicule ainsi suspendu hydrauliquement, chacune des voitures porte une sorte de turbine rectiligne formant une véritable crémaillère régnant sur toute la longueur du train. Sur la voie, de distance en distance sont disposés des ajutages fixes portant un certain nombre de directrices par lesquelles l'eau sous pression peut, à un moment donné, s'échapper. L'admission de l'eau dans ces ajutages fixes est commandée par un levier que peut manœuvrer le mécanicien placé dans la voiture de tête : l'ensemble est assimilable à une turbine sans fin dont la partie mobile se déplacerait suivant l'axe de la voie et viendrait rencontrer successivement tous les ajutages. Le propulseur est donc entièrement fixe, et la force motrice est cueillie sur la voie par le train lui-même, en chaque point du parcours. A cet effet, une conduite maîtresse d'eau sous pression règne tout le long de la voie, sous les rails, et communique successivement avec tous les ajutages, chacun d'eux se refermant automatiquement dès que le train est passé. Deux séries d'ajutages agissant sur deux crémaillères-turbines disposées parallèlement l'une au-dessus de l'autre, permettent de marcher à volonté en avant ou en arrière. Telles sont les grandes lignes du fonctionnement du système Girard, auquel son continuateur, M. Barre, a su apporter une série de perfectionnements qu'il est impossible de signaler dans une description aussi sommaire, sans figures à 1'appui. Les avantages réclamés en faveur de ce système sont nombreux : signalons en première ligne l'absence de trépidations et de mouvements de lacets, la douceur du mouvement pouvant se comparer à celui d'un traîneau glissant sur la glace. Signalons encore la douceur des arrêts, l'absence de fumée et de poussière, ainsi que le faible bruit, la légèreté du matériel glissant, ainsi que celle des travaux d'art qui en résulte, l'absence de graissage, la suppression complète des frais d'entretien des roues et bandages, ressorts de traction, tampons de choc, l'économie de frais de traction, et, en dernier lieu, la possibilité de réaliser de grandes vitesses, pouvant atteindre, si l'on en croit certains journaux, jusqu'à 200 kilomètres par heure.


L'article de "l'Univers illustré" n° 1798 du 7 septembre 1889, pages 570 & suivantes -  Article de H. de Parville

Le chemin de fer glissant fonctionne chaque jour à l'exposition dans la rue de Constantine de l'esplanade des Invalides sur une longueur de 150 mètres.
Ce chemin de fer n'a pas de roues, il glisse dur de larges rails, sur une mince couche d'eau entre les rails et les patins. Il est l'œuvre de M. A. Barre qui l'a mis au point et rendu pratique suite aux travaux de l'ingénieur hydraulicien Louis Dominique Girard vers 1852. Suite aux essais de ce dernier à la Jonchère, près de Bougival (78) et encouragés par l'Empereur, M. Girard avait obtenu la concession d'une ligne de Paris à Argenteuil. Malheureusement M. Girard fut tué à l'Armistice de la Guerre de 70 par une balle prussienne. M. Barre qui avait été son collaborateur, confident et ami a réalisé cette installation à l'exposition.
M. Henri de de Parville en donne l'explication suivante : Les wagons reposent sur des rails très larges par l'intermédiaire de six patins, trois de chaque côté de la voiture. Ces patins sont rectangulaires, légèrement creux sur la face en contact avec les rails et portent des rainures. En leur milieu débouche de chaque voiture un petit tuyau qui permet à l'eau sous pression de pénétrer sous le patin et les soulève de quelques millimètres avant de s'échapper gênée par les rainures. L'eau est emmagasinée dans la première voiture en tête du train. Le petit cousin liquide est réduit à celui du patin sur une mince couche d'eau. Ainsi du bout du doigt, on peut faire progresser la voiture sans effort. L'eau débitée sous les patins permet le glissement du train avec une dépense de traction fort réduite. Emmagasinée dans une sorte de tender, elle est soumise à l'action de l'air comprimé régulé en fonction de la pression nécessaire au soulèvement des patins. Tout est hydraulique, il n'y a pas de locomotive. La propulsion est aussi obtenue par de l'eau. De place en place au milieu de la voie sont installés de ajutages en relation avec une conduite d'eau. Ces derniers peuvent s'ouvrir et lancer un jet d'eau puissant et horizontal qui vient frappé une série de palettes installées longitudinalement sous chaque voiture.
Le mécanicien du train par un mécanisme simple ouvre à distance les robinets, la première voiture reçoit l'impulsion du jet que agit sur les aubes et les pousse en avant. Les palettes de la deuxième voiture reçoivent à leur tour le jet, etc. tout le train obéit à cette poussée hydraulique et les ajutages se referment après le passage des voitures. Il existe deux ajutages, un pour la marche avant et un autre pour la marche arrière. Un conduite maîtresse, installée sous la voie, dessert tous les ajutages.
À l'esplanade, le petit train d'essai est formé d'une voiture de manœuvre et de quatre wagons.
Les avantages de ce systèmes ont nombreux : absence de trépidations et de mouvements de lacets, douceur du mouvement analogue à celui d'un traîneau ; plus de poussière ni fumée ; pas de bruit; légèreté du matériel et des travaux d'art ; absence de graissage, suppression des roues et des bandages, des ressorts, des tampons, etc. ; économie de frais de traction ; enfin possibilité de réaliser de très grandes vitesses, que M. Girard ne craignait pas de porter à deux cents kilomètres à l'heure.
L'application du système glissant paraît indiquée :

  • 1. Dans tous les pays, pour franchir sans arrêt de grands parcours avec des vitesses de cent cinquante à deux cents cents kilomètres à l'heure ;
  • 2. Dans les pays de montagnes possédant des chutes d'eau naturelles qui peuvent produire à elles seules toute la propulsion, ou présentant des rampes inaccessibles aux chemins de fer ordinaires ;
  • 3. Dans toutes les installations de chemins de fer dit " à ficelles ", où l'emploi des roues causent si souvent des accidents épouvantables.
    La propulsion hydraulique serait supprimée et remplacée par la traction par câble : le glissement seul serait employé et donnerai, ainsi une sécurité complète.
    En cas de rupture de câble, il suffirait de fermer l'injection de l'eau sous les patins pour s'arrêter avec la certitude la plis absolue sur toutes les pentes, jusqu'à 0m,450 par mètre.
  • 4. Dans le transport de masses d'un poids considérable et indivisible.
    Dans ce cas, une traction mécanique par pignons et crémaillères est encore substituée à la propulsion hydraulique ; le glissement seul est conservé. Les ressorts de répartition de charge sont remplacés par des cylindres hydrauliques dans lesquels les tiges des patins jouent le rôle de pistons plongeurs. Ces cylindres qui supportent le châssis sont divisés en quatre groupes par les deux axes de ce dernier, et chacun des quatre groupes est complètement isolé des trois autres. Tous les cylindres d'un même groupe communiquant entre eux par une tuyauterie spéciale, de façon que quel que soient le nombre de files de rails employés et le nombre de patins, l'ensemble du système se trouve ramené à un châssis théorique reposant par quatre grands patins sur deux files de rails seulement, et la charge est toujours mathématiquement répartie entre tous les patins, quel que soit le désafleurement des rails et leurs dévers possibles les uns par rapport aux autres.
    L'entretien d'une pareille voie ne nécessiterait donc aucun soin spécial, puisque les diverses files de rails n'ont pas besoin d'être maintenues dans le même plan horizontal : elles peuvent se désafleurer les unes par rapport au autres et se déverser. C'est un avantage capital qui ne peut s'obtenir ni avec les roues et qui constitue à lui seul la solution pratique, industrielle, du transport des masses d'un poids considérable et indivisible, telles que canons de gros calibres sous tourelles blindées pour la défense mobile des côtes ou des forteresses et navires de toutes dimensions.
    En ce qui concerne le transport des canons sous tourelles blindées, l'emploi des patins glissants présente encore un autre avantage précieux pour l'artillerie : pendant les arrêts, l'eau de glissement étant supprimées, l'ensemble du système fait corps avec le sol et la plan de tir devient immuable.
    Quant au transport des gros navires de toutes dimensions, on peut l'effectuer aussi bien sur des docks secs que dans des docks pleins d'eau, le glissement ne produisant aucune trépidations, les oeuvres vives d'un bateau de souffriront pas plus sur des docks secs convenablement aménagés que pendant leur flottaison.
  • 5. Dans les chemins de fer métropolitains souterrains.
    Là, en effet tous les appareils se trouvent soustraits à l'action de la gelée, et le chemin de fer glissant à propulsion hydraulique, en outre les économies considérable qu'il présente dans son exploitation, offrira l'avantage d'un démarrage prompt, d'une vitesse très grande malgré les petits parcours, d'un arrêt très rapide, et ne produira en outre ni trépidation, ni bruit, ni fumée.
  • 6. Dans les chemins de fer métropolitains aériens. La légèreté du matériel glissant n'exigera, en effet, que des viaducs métalliques deux ou trois fois plus légers que ceux nécessaires aux chemins de fer roulants. les colonnes servant de point d'appui seront disposées en réservoirs accumulateur de pression, et tous les organes de propulsion seront coffrés, ce qui évitera l'action de la gelée, si l'on ne veut pas employer le mélange de glycérine.
    La facilité qu'on a de tourner dans les courbes de tous rayons et de gravir toutes les rampes permettra de suivre les grande artères en ne faisant peu ou pas d'expropriation.
    L'absence de bruit et de fumée sera ici d'une importance capitale pour les riverains. On aura, enfin la facilité de faire sans aucun risque d'accidents des petits trains ne contenant pas plus de cents voyageurs chacun et se suivant les uns derrière les autres à une ou deux minutes d'intervalle.
  • 7. Le chemin de fer glissant à propulsion hydraulique semble en fin tout indiqué pour la solution de certains problèmes industriels, tels que la traversée de la Manche sous tunnel. Dans ce cas, le tunnel pourrait être à voie unique, ce qui ferait réaliser une économie considérable de premier établissement.
    Un truc très bas monté sur patins glissants, recevrait les véhicules roulants à l'exception de la locomotive et de son tender. Ces véhicules partant de d'une cote, de la cote française par exemple, seraient bouclés sur le truc au moyen d'organes spéciaux qui rendraient le tout solidaire. Quatorze minutes après le départ, ils seraient rendus sur la cote anglaise, où une locomotive les reprendrait. On pourrait avoir ainsi avec cette voie unique glissante un train partant toutes les demi-heures de chacune des cotes.
    Mais ce qui serait mieux encore pour les deux pays, serait de prolonger cette voie glissante de chaque coté pour réunir Londres et Paris, ce qui permettrait de franchir la distance qui sépare ces deux villes en deux heures.

 


L'article "Le Monde illustré"" n°1696 du 28 septembre 1889, pages 198-9 - Article de Paul Suyreff.

 

Monsieur Girard, le célèbre hydraulicien auquel l'industrie doit un grand nombre de machines hydrauliques, expérimenta pour la première fois en 1864 dans sa propriété de la "Jonchère" un système de locomotion à glissement et à propulsion hydraulique qui déjà, à cette époque, provoqua l'attention du public et plus particulièrement celle des hommes de l'art.
La guerre de 1870 interrompit ces essais, M. Girard compta malheureusement au nombre de ses victimes.

L'idée du chemin de fer glissant survécut à la mort de son inventeur.
L'étude en fut reprise et continuée depuis par M. Barre, ingénieur et ami de M. Girard.
De perfectionnement en perfectionnement, M. Barre est arrivé à présenter au public le chemin de fer glissant qui fonctionne à l'Exposition, Esplanade des Invalides.

Principes du système
Le premier des principes sur lequel est basé cette invention est de supprimer autant que possible les frottements, de diminuer la résistance passive du train en le faisant glisser sur une mince couche d'eau comprimée entre les rails plats et les patins qui supportent les wagons aux lieu et place des roues.
La traction du train se transforme par suite en une espèce de navigation à grande vitesse sur une mince souche d'eau.
le wagons principe consiste à produire le mouvement au moyen de colonnes d'eau horizontales sous pression s'échappant d'ajutages fixes, placés de distance en distance sur la voie, au moment du passage des trains. ces colonnes d'eau agissent sur une turbine rectiligne placée sous les wagons et sur toute la longueur des trains et peuvent produire la marche en avant et la marche en arrière à la volonté du conducteur. Une conduite générale placée le long de la voie alimente les ajutages.

Description
Soulèvement des trains
Les wagons et le tender sont supportés, comme nous l'avons dit, par des patins ayant la forme de boîtes rectangulaires, renversées le fond en haut et reposant que des rails de même largeur (Fig.1, 2 & 3).
une tuyauterie spéciale amène sous ces patins de l'eau avec une certaine pression. L'eau tend à s'écouler entre les rails et les patins. Mais des cannelures creusées dans les rebords de ces derniers, produisent des remous successifs dans le courant qui tend à s'établir et diminuent considérablement la vitesse d'écoulement. L'eau s'accumule alors dans le patin en y produisant une pression qui soulève la charge et il s'échappe seulement entre le patin et le rail une couche d'eau d'un demi-millimètre environ qui détruit tout point de contact et par suite tout le frottement entre le patin et le rail. Un seul homme peut déplacer en poussant à l'épaule un train de 50 000 kilogrammes, ainsi suspendu sur l'eau comprimée, en voie horizontale.
Quand on supprime l'eau entre les patins et les rails on obtient une résistance au glissement considérable, qui permet d'arrêter les trains en très peu de d'espace et sans secousses ainsi que sur des pentes de 0m,450 par mètre.

Alimentation des patins.
L'eau, sous pression qui arrive dans les patins, y est amenée par une tuyauterie spéciale.
Cette tuyauterie est elle-même alimentée de deux façons différentes suivant les cas :

  • 1. Pour les chemins de petits parcours, elle aboutit à des réservoirs fermés, placés sur le tender et renfermant sous une couche d'air comprimé le volume d'eau suffisante pour le trajet ;
  • 2. Pour les grands parcours, l'eau nécessaire au soulèvement des patins occuperait un volume trop considérable, on ne peut donc plus emporter, on l'embarque alors en route et en vitesse.
    L'eau qui a servi à la propulsion et qui a traversé la turbine placée sous les wagons, possède encore une puissance vive considérable. On reçoit cette eau sur des tôles paraboliques qui la font remonter et pénétrer dans des réservoirs fermés, placés sous les wagons, où elle s'emmagasine avec l'air atmosphérique entraîné, à une pression bien supérieure à celle qui est nécessaire pour soulever les patins.
    De cette façon, on peut faire des trajets quelconques sans arrêt.

Propulsion
Nous avons dit, en commençant, que le mouvement était donné aux trains par des colonnes d'eau horizontales s'échappant d'ajutages fixes placés sur la voie. Ces ajutages s'appellent propulseurs.
Ils sont formés par un clapet D (Fig.1, 2 & 3) dont la section est assez grande pour qu'il soit impossible de l'ouvrir directement, en vitesse, sans tout briser. Il a donc fallu employer un artifice pour l'ouverture et la fermeture rapide des propulseurs.
On a placé, à cet effet, sur le coté, un robinet à trois eaux R commandé par un maneton m. Lorsque ce robinet occupe la position représentée sur la figure 4 correspondante à la position m du maneton, le piston à cuir embouti C, dont le diamètres est plus grand que celui du clapet D, reçoit l'eau sous pression qui lui arrive par le tuyau t ; il y a en conséquence entraînement et ouverture du clapet D.
Lorsqu'au contraire on amène le maneton de la position m à la position m' le dessous du piston C n'est plus en communication avec le tuyau t mais avec la pression atmosphérique par l'orifice O. Le ressort S commence à pousser le piston C, l'eau qui s'échappe autour du clapet D tend également à entraîner violemment ce dernier qui vient reposer sur son siège pour se fermer. L'orifice O qui a une section déterminée joue le rôle de frein hydraulique et empêche une trop grand choc au moment de la fermeture.

Manœuvre des propulseurs
Ainsi que nous venons de le voir, pour ouvrir et fermer les propulseurs au moment du passage d'un train, il faut il faut amener le maneton du robinet à trois eaux (Fig.1 & 4) de la position m à la position m'. et vice versa.
À cet effet, une première aiguille ou barre de fer de longueur et forme déterminées se trouve placée sous le wagon en tête. Quand elle est baissée, elle se présente en écharpe près du maneton de façon à le prendre et à conduire à la position m'.
Mais cette aiguille n'est pas toujours forcément baissée. Le conducteur peut la relever lorsque le train a assez de vitesse. Dans ce cas les propulseurs ne s'ouvrent plus.
Une aiguille semblable mais disposée en sens inverse se trouve dans le dernier wagon. Elle est toujours baissée et a pour but d'assurer le fermeture de tous les propulseurs.

Action inoffensive de la gelée
Tels sont dans leurs grandes lignes les principaux organes et le mode de fonctionnement du chemin de fer glissant à propulsion hydraulique. Disons enfin que la voie est disposée de façon à recevoir et conserver toutes les eaux pour les conduire aux points bas où les machines fixes doivent les reprendre pour les remettre sous pression et que les wagons portent extérieurement et sur toute la longueur du train, des tôles qui descendent à quelques centimètres de la voie, afin d'empêcher la plus petite goutte d'eau d'être projetée au dehors.
C'est donc toujours la même eau qui tombe sur la voie et qui est reprise indéfiniment par les machines et les pompes de compression. Cette particularité permet de mélanger à l'eau, pendant les hivers et dans les pays froids, une certaine proportion de déchets provenant de la fabrication de la glycérine ou de chlorure de magnésium qui empêchent la congélation.

Avantages du système glissant
On comprend d'après ce que nous venons de dire quels sont les principaux avantages de ce système.
Nous allons les indiquer sommairement :

  • 1. Des frais de traction nuls quand on utilise des chutes d'eau naturelles que l'on rencontre dans la pays de montagnes.
    une économie des frais d'exploitation encore considérable, même quand on emploie des machines fixes et des pompes, puisque, d'après le dire de M. Barre cette économie peut s'élevée à plus de 75 %.
  • 2. Marche régulière, très rapide sans trépidation, sans poussière.
    Arrêts très puissants dans un espace très court et sans chocs.
    Pas de fumée, pas de bruit.
  • 3. Vitesse pouvant atteindre jusqu'à 200 kilomètres à l'heure.
    Facilité de franchir les rampes les plus fortes ; par suite plus de tranchée profondes ni de tunnels.
    Facilité de tourner dans des courbes de très faible rayon.
  • 4. Déraillements rendus impossibles parce qu'aucun corps, aussi petit qu'il soit, ne peut pénétrer sous les patins et sue ces derniers ne sont pas soumis, comme les roues, à des trépidations et des soubresauts et qu'ils ne peuvent, par suite, jamais quitter les rails.

Résumé
On voit, d'après cette énumération succincte, que les avantages annoncés par les inventeurs seraient considérablement s'ils se trouvaient confirmés par l'expérience.
Nous devons même dire que l'application faite à l'esplanade des Invalides permet beaucoup et nous ne serions nullement étonné de pouvoir d'ici à peu de temps glisser avec la rapidité vertigineuse annoncée et à meilleur compte que dans nos wagons à roues si défectueux sous tous les rapports.
Stephenson à se débuts, moins brillants, n'eut jamais osé rêver le développement inouï des réseaux de chemins de fer actuels.
Le petit chemin de fer glissant de l'Esplanade a donc le droit justifié jusqu'à présent de tout espérer de l'avenir.


Dans le n°852 p. 273 de La Nature du 28 septembre 1889, signé X... ingénieur (un ingénieur anonyme)

Le chemin de fer glissant de l'Esplanade des Invalides

L'Exposition de 1889 a produit peu de nouveautés mécaniques tout à fait originales, et le chemin de fer glissant dont elle offre au public une application en fonctionnement, peut passer certainement pour l'une des plus curieuses et intéressantes de celles-ci.
La Nature a déjà signalé ce chemin de fer au moment de son inauguration, nous donnerons aujourd'hui quelques détails plus complet sur le mode de traction auquel on ne saurait refuser le mérite de l'originalité.
la traction par glissement sur un fluide ou un liquide comme l'air ou l'eau donnant un frottement aussi réduit que possible, entraîne dans l'effort développé une économie considérable, par rapport à l'effort de roulement ; le frottement sur l'air serait à peu près insignifiant, et sur l'eau il est encore beaucoup plus faible que dans le roulement des surfaces métalliques en contact. On aurait donc là le moyen de réduire dans une proportion énorme les efforts de frottement inutilement développés dans la traction habituelle sur voies ferrées, et on comprend que des ingénieurs distingués comme le célèbre hydraulicien M. Girard, et M. Barre qui reprend actuellement son idée, s'y soient attachés avec ardeur malgré les difficultés de toute nature qu'en traîne la nécessité d'interposer continuellement une matière fluide ou liquide et d'empêcher tout contact métallique sur une ligne de grande longueur.
M. Girard, qui a fait les premières études sur le chemin de fer glissant, avait en d'abord en vue en 1852 l'application directe de l'eau à la traction sur les voies ferrées pour remplacer la locomotive dans la traversée des lignes montagneuses
On voit en effet, que sur les pentes un peu fortes, la locomotives perd rapidement tout son effet utile, car l'effort qu'elle peut développer ne sert plus qu'à la remorquer elle-même par adhérence, et elle ne peut entraîner que des charges insignifiantes. Les inventeurs ont donc cherché à compléter cet effort adhérent par la crémaillère ou à remplacer la locomotive par une machine fixe assurant la traction par un câble. Ces machines peuvent être actionnées enfin en utilisant les chutes d'eau si nombreuses dans le pays de montagnes, et M. Girard s'était proposé de supprimer même celles-ci en faisant agir directement sur le train les courants d'eau dont il pouvait disposer. L'eau est amenée au milieu de la voie par une série d'ajutages fixes, également espacés, qui la projettent sur une série d'aubes courbes fixées au-dessous des voitures et qui forment une sorte de turbine rectiligne, s'étendant sur toute la longueur du train. la distance des ajutages fixes est toujours inférieure à cette longueur, de sorte que le train reste continuellement soumis à l'impulsion de l'eau sous pression, ne pouvant pas quitter un ajutage avant d'avoir atteint le suivant.
Partant de là, M. Girard avait reconnu qu'il y aurait une économie considérable à supprimer tout roulement et à remplacer les roues de la voiture par des patins flottant sur les rails, à condition d'interposer entre les surfaces métalliques une mince nappe d'eau ou même d'air, si la chose avait été possible.
Une ligne constituée d'après ces deux principes avait été établie par lui à titre d'essai dans sa propriété de la Jonchère en sur une longueur de 40 mètres, avec une pente de 50 millimètres par mètre, et dans des conditions restreintes, le fonctionnement en était satisfaisant. Malgré ce premier succès et l'appui qui lui était accordé par l'empereur Napoléon III, il ne put obtenir en temps utile la concession d'une grande ligne qu'il sollicitait depuis longtemps pour faire un essai décisif. Cette concession lui fut accordée seulement en 1869, pour la ligne de Calais à Marseille ; mais il mourut en 1871, victime de la guerre, sans avoir pu la réaliser.
Cette idée de chemin de fer glissant était tombée en quelque sorte dans l'oubli lorsqu'elle fut reprise par M. Barre qui avait été le collaborateur de M. Girard, et celui-ce installa avec certaines modifications la voie d'étude qui figure actuellement à l'Exposition de 1889.
Cette voie, établie le long de la palissade de clôture de l'Esplanade, présente une longueur d'environ 165 mètres ; elle reçoit une train formé de plusieurs wagons découverts portant la ligne d'aubes par lesquelles se fait l'entraînement au moyen de l'eau projetée des ajutages fixes disposés le long du parcours.
La figure 1 donne la vue extérieure du train glissant, et la figure 2 donne la vu détaillée, permettant de faire l'étude des principaux organes du système quant : le patin du wagon, le rail et le propulseur.
Le patin du wagon qui forme l'organe essentiel est représenté en P dans la figure 2 et on le retrouve en vue détaillée dans la figure 3. c'est une sorte de tiroir renversé frottant par ses bords ou gardes sur le rail R et portant en son milieu sur le couvercle une crapaudine qui reçoit le poids du wagon par l'intermédiaire d'une ligne de suspension. Cette crapaudine est descendue aussi bas que possible sans atteindre nécessairement le niveau des gardes frottantes ; cette disposition, imaginée par M. Barre a pour but d'abaisser autant que possible le centre de suspension afin de l'amener au-dessous du centre de poussée déterminé par la réaction de l'air comprimé à l'intérieur de la boîte et de prévenir ainsi tout renversement. Celle qu'avait adopté primitivement M. Girard ne donnait pas des résultats aussi satisfaisants, car le point d'appui de la ligne se trouvait beaucoup trop relevé au-dessus de la surface de frottement, et le patin manquait de stabilité. Ajoutons que la crapaudine présente une surface d'appui sphérique avec un jeu suffisant dans la partie supérieure afin de permettre au patin d'obéir à tous les dévers possibles du rail. L'eau arrive dans l'intérieur de la boîte formée par le patin par une tubulure S ménagée sur le couvercle, elle s'y accumule sous pression en comprimant l'air qui est refoulé vers le haut et tend à soulever le patin qui appuie contre le rail. L'eau tend alors à s'échapper par tout le développement du périmètre ; mais l'évacuation est gênée par quatre cannelures concentriques avec points d'interruption en chicane ménagées sur les gardes des tiroirs. Ces cannelures, dont le tracé a été étudié à cet effet, amortissent peu à peu le tourbillonnement de l'eau, et il se produit graduellement une pression suffisante pour que le patin se soulève avec le véhicule, et laisse écouler ainsi une mince nappe d'eau de 1/2 à 3/4 de millimètres qui empêche tout contact entre les gardes et les rails.
D'après les expériences pratiquées à Senlis par M. Barre, un patin supportant une charge totale de 1060 kilogrammes, alimenté par un réservoir d'eau en charge sous pression d'air variant de 5 à 2 kilogrammes, a débité 140 litres d'eau en 2 minutes 25 secondes, soit 0,965 litre par seconde. La pression de l'air comprimé sous le patin s'est maintenue constante à 1800 Kg, et la résistance au glissement pendant la marche n'a dépassé 0,500 Kg ; c'est à peine le 1/5, comme on voit, de la résistance au roulement dans les conditions les plus favorables. Les rails reçoivent la forme d'une semelle en U renversé, élargie afin de diminuer la pression supporté par unité de surface, les patins sont munis d'autre part de talons qui viennent frotter contre les joues du rail et préviennent aussi tout déviation pendant la marche. Il faut évidemment que le rail soit installé suivant une position bien déterminée et tout à fait invariable pour assurer la portée parfaite du patin avec interposition d'une lame d'eau d'épaisseur constante et prévenir le contact des surfaces métalliques dans toutes les positions ; c'est là peut-être la condition la p)lus difficile à remplir sur une voie un peu longue qui présenterai nécessairement des dénivellations, et on peut se demander si en pratique on y parviendra jamais.
Les joints forment aussi une grosse difficulté à raison de la nécessité d'assurer la continuité pour ainsi dire étanche des barres successives, et cela, le jeu des dilatations, et les dénivellations qui se produisent toujours en ces points sous l'influence de la charge mobile. M. Girard y avait pourvu d'une manière très ingénieuse, en prenant des barres terminées en biseau entre lesquelles il interposait un coin en forme de V refoulé par un ressort qui le repoussait plus ou moins suivant les besoins en raison du jeu ménagé à chaque instant entre les extrémités des barres. M. Barre a remplacé ce joint un peu compliqué par une disposition plus économique : les rails sont en forme de U renversé retenus à leurs extrémités par des pattes scellées dans les dés en pierre et dans les longrines de supports ; sur les abouts est ménagé une rainure légèrement courbe peu profonde qui reçoit un boudin en caoutchouc de 8 à 10 millimètres de diamètre. Le joint des rails est serré à 2 ou 3 millimètres, et on obtient ainsi au-dessus du caoutchouc une sorte de petite cuvette étanche qui laisse cependant la liberté des dilatations.
Il nous faut à présent, parler du propulseur qui complète l'installation du chemin de fer glissant.
L'eau sous pression, dirigée par une conduite maîtresse régnant sur toute la longueur de la voie, est amenée comme nous l'avons dit, dans des appareils fixes répartis sur toute la voie d'où elle schappe à l'arrivée du train en exerçant son impulsion sur les aubes mobiles, et entretient ainsi le mouvement.
L'eau arrive d'abord dans une boîte à clapets fixée au-dessous du propulseur. Cette boîte représentée en détail figure 4 est maintenue fermée par l'effort de la pression de l'eau, et elle s'ouvre seulement sous l'action d'une aiguille portée par le véhicule d'avant du train qui recule le clapet. L'eau arrive alors dans le propulseur et jaillit avec force par le bec B (fig. 2) ; elle rencontre ainsi les aubes A du wagon mobile, lesquelles se présentent en face du bec. L'écoulement de l'eau continue dans ces conditions jusqu'à ce que le robinet d'admission dans le propulseur soit fermé par une seconde aiguille fixée sur le véhicule d'arrière du train. Un trou spécial ménagé sur le robinet permet l'échappement gradué dans les positions successives qu'il occupe, et il atténue ainsi un peu, les chocs auxquels l'appareil se trouve soumis par ces manœuvres.
La buse du propulseur est munie d'ailleurs d'un clapet de vidange automatique pour assurer l'évacuation de l'eau en temps de gelée lorsque le propulseur ne fonctionne pas. Les propulseurs sont munis enfin d'organes spéciaux D dits amortisseurs placés à poste fixe sur la voie. Ces amortisseurs sont disposés en face des propulseurs, avec un jeu suffisant pour le passage des aubes mobiles. Ils forment un canal vertical de forme parabolique qui recueille l'eau traversant les aubes, et à la partie inférieure, sont ménagées huit rangées de chaînes pendantes sans fin C qui ont pour but d'amortir la vitesse de l'eau ; elles se trouvent entraînées en effet dans la veine liquide sortant du canal, et elles de noient dans la masse de l'eau dont elles absorbent la force vive. L'eau tombe sans vitesse dans un canal collecteur d'où elle est reprise pour servir ultérieurement, la même eau devant toujours être employée.
Quant à l'alimentation des patins, elle se fait par le tender lui-même, qui emporte des accumulateurs d'air comprimé servant à refouler l'eau sous pression dans les patins. Si les parcours sont très longs, il est nécessaire d'avoir sur le tender une machine spéciale pou comprimer l'air.
On voit d'après cette description comment s'opère la mise en marche du système : il suffit au départ 'ouvrir le robinet eu premier propulseur au moyen de l'aiguille d'avant du train et le mouvement se continue enduite, en ouvrant successivement les propulseurs par l'aiguille d'avant tandis que l'aiguille d'arrière les referment. Si le train doit revenir sur la même voie, il faut une seconde série de propulseurs agissant sur une seconde ligne d'aubes dirigées en sens inverse et disposées sous les wagons à coté de la première. Pour le départ, après un arrêt en pleine voie, il faut une transmission sur la longueur du train permettant d'actionner le robinet du propulseur convenable quelle que soit sa position par rapport au train.
Il y aurait également des questions assez difficiles à résoudre dans une exploitation un peu importante pour les aiguillages, les changements de voie, la gelée, etc. Nous ne croyons pas qu'il y ait à s'en préoccuper actuellement, car tout ingénieuse qu'elle est, l'application du chemin de fer glissant restera probablement limitée longtemps à certains cas spéciaux sur des lignes de peu d'étendue. Si on arrivait toutefois à obtenir un moteur plus indépendant de la voie qui permit de supprimer la conduite d'eau avec ses propulseurs, comme par exemple avec un moteur actionné par conducteur électrique, ce système retrouverait beaucoup plus d'élasticité, et il pourrait recevoir sans doute des applications plus variées surtout sur les lignes métropolitaines, car il supprime toute fumée, et il assure un mode de traction particulièrement agréable pour les voyageurs. Il est fondé enfin sur une idée très ingénieuse et même économique au point de vue théorique, et il serait fâcheux de la voir rester toujours inutilisée.

   


La Nature n°852 du 28 septembre 1889 p. 273

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