Le carnet du CFC
Le chemin de fer glissant à propulsion hydraulique de 1889
MAD
Cette invention présentée à l'Exposition universelle de 1889 date en fait de 1864. Elle est due à l'ingénieur Louis Dominique Girard (1815-1871) qui expérimentait le "chemin de fer glissant" dans sa propriété de la Jonchère à Rueil-Malmaison en 1865. Dans son "Mémoire sur les turbines du système hydropneumatique", L.D. Girard et Ch. Callon présentent en 1852 les perfectionnements apportés aux turbines qui ont fait l'objet d'un brevet en 1849 et qui concernent les applications aux barrages en rivière et aux roues hydrauliques à aubes. Plus tard, Girard conçut un système de chemin de fer glissant sur "coussin d'eau", propulsé par l'énergie hydraulique (voir LVDC n°101). Le principe de ce système est d'éviter au maximum les frottements en le faisant glisser sur une mince couche d'eau. Pour ce qui est de la traction le principe consiste à produire le mouvement au moyen de colonnes d'eau horizontales sous pression s'échappant d'ajutages fixes, placés de distance en distance sur la voie, au moment du passage des trains. Une conduite générale placée le long de la voie alimentant ces ajutages. Une turbine rectiligne placée sous les wagons et sur toute la longueur des trains et peuvent produire la marche en avant et la marche en arrière.
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L'article du "Petit journal illustré " n° 9671 du 18 juin 1889
Un tuyau conducteur faisant partie d'un système de locomotion actionné par l'eau a fait tout à coup explosion hier dans l'après-midi sur l'esplanade des Invalides? Une palissade en planches a été entraînée par les eaux qui se sont en un instant échappées en torrent. Une jeune femme a été atteinte légèrement.
L'article du "Petit journal illustré " n° 9709 du 22 juillet 1889
Hier
matin, on a expérimenté pour la première fois à l'esplanade des Invalides,
une invention bien étonnante.
Il s'agit d'un chemin de fer glissant sur des patins sans roues, sans
locomotive, sur des patins plats. Une mince couche d'eau, interposée entre les
rails et les patins, détruit toute espèce de résistance au glissement et, si
les dires de l'inventeur sont exacts, le train le plus largement chargé
pourrait atteindre une vitesse de 200 kilomètres à l'heure sans que les
voyageurs ressentissent la moindre secousse. La propulsion est obtenue à l'aide
de colonnes d'eau sous forte pression s'échappant d'ajutages fixes placés sur
la voie, de distance en distance, et qui actionnent une turbine rectiligne fixée
en dessous du train sur toute sa longueur.
Pas de bruit ni de trépidation, pas de fumée, facilité d'arrêt presque
instantané, possibilité de descendre et de gravir des rampes de 450 millimètres
par mètre, économie considérable et suppression de tout accident ; tels
seraient en résumé, les avantages de de mode de locomotion prodigieux.
M. Le Royer, président du Sénat ; M. Jacques, président du Conseil général
; M. Eiffel et plusieurs autres ingénieurs assistaient aux expériences d'hier
qui ont, sur un parcours de 180 mètres, absolument réussi.
Maintenant qu'est-ce que cette invention donnera dans la pratique ?
L'article du "Petit journal illustré " n° 9709 du 26 juillet 1889
Certes, c'est une des
curiosités de l'Exposition et ce sera probablement une des curiosité du siècle
que ce chemin de fer dont le Petit Journal a été le premier à dire
quelques mots il y a quatre jours. Il s'agit de ce chemin de fer à propulsion
hydraulique dont les expériences se poursuivent à l'Esplanade des Invalides. L'article
"La Nature" n°844 p. 150, 151 du 3 août 1889
Masson Éditeur - Paris, 1889
L'homme de génie qui a trouvé cette stupéfiante mécanique est
malheureusement mort depuis une vingtaine d'années. Il se nommait Dominique
Girard. Nous en reparlerons tout à l'heure.
D'abord quelques explications ; le chemin der fer en question ne ressemble en
rien aux trains ordinaires. il n'emporte pas avec lui la force qui l'anime, puis
singularité non moins étrange, il n'a pas de roues : il marche sur des patins.
Ces patins longs de 0m,40 c. large de 0m, 25 c. à peu près s'appuient sur des
rails plats de largeur identique. L'intérieur en est évidé. Que l'on
s'imagine d'épaisses boîtes de fer, carrées et sans couvercle que l'on aurait
retournées sur les rails . D'un bout à l'autre du train, tous les patins sont
mis en communication, par des tuyaux, avec un réservoir placé dans le wagon de
tête, et qui contient de l'eau et de l'air légèrement comprimé.
Pour la marche, le mécanicien ouvre un robinet ; l'eau des réservoirs, sous
l'action de l'air qui pèse sur elle, afflue violemment dans les patins qui
eux-mêmes sous la pression de l'eau se soulèvent un peu. La couche liquide de
quelques millimètres qui s'interpose alors entre le patin et le rail annihile
le frottement des deux surfaces métalliques et il suffit, dès lors, d'un
effort très modique pour mettre le convoi en mouvement.
Voilà la suppression des roues. Quand à la force motrice, elle se trouve, nous
l'avons dit, en dehors du train. C'est encore l'eau qu'on l'emprunte et voici
comment :
Chacun des wagons est muni, en dessous, d'une turbine rectiligne ou pour parler
plus clair d'une énorme règle de fer qui va dans le sens de sa longueur et qui
est creusée de crans larges et profonds.
D'autre part, sous terre, tout le long de la ligne, court une conduite dans
laquelle des machines à vapeur établies tous les dix, vingt ou même quarante
kilomètres entretiennent de l'eau à une pression relativement faible (20 ou 25
kilogrammes suffisent).
Cette eau arrive par des tuyaux dont les ajutages émergent sur la voie à la
hauteur des turbines des wagons. Veut-on marcher ? Le premier ajutage est ouvert
; l'eau vient frapper avec force les crans de la turbine et la met en mouvement
en même temps, naturellement, que le train avec lequel elle fait corps.
Le convoi est lancé. Derrière lui, l'ajutage se referme automatiquement. La
vitesse acquise porte le train jusqu'au second ajutage, qui s'ouvre à son
passage, se referme derrière lui. et ainsi de suite.
Notez que le mécanicien peut, de sa machine, non seulement ouvrir et fermer les
ajutages qui se présentent, mais encore en modérer le débit, et par conséquent,
ralentir ou précipiter à son gré la vitesse qui, si l'on en croit les intéressés,
dépasserait tout ce que nous imaginons.
- Nous commencerons, disent-ils, par 200 kilomètres à l'heure, pour ne vexer
personne.
Deux cents kilomètres ! Trois ou quatre fois la rapidité de nos express.
Veut-on stopper ? jeu inverse ; fermeture de ajutages, fermeture du robinet qui
distribue l'eau aux patins ; plus de couche liquide sur les rails, frottement énorme,
enfin arrêt en l'espace de quelques mètres, sans frein d'aucune sorte, sans
secousse, par le seul poids du train.
Pas d'accident possibles, par conséquent. C'est d'une simplicité géniale et
l'on se demande, en vérité, quand on se trouve en présence des résultats étonnants
obtenus à l'Esplanade, avec une installation sommaire, on se demande comment
une invention pareille a pu pendant plus de trente ans rester stérile.
Car cette nouveauté est déjà vieille. le principe du chemin de fer glissant a
été découvert, en 1854, par Louis-Dominique Girard, qui est du reste connu
par ses inventions ou adaptations hydrauliques ; il a imaginé notamment des
pompes et des turbines qui portent son nom.
Grâce à l'obligeance de M. Barre, un ingénieur de grand mérite aussi, qui
fut le collaborateur de Girard, qui perfectionna et qui aujourd'hui continue son
oeuvre, nous avons eu sous les yeux une petite brochure où l'inventeur explique
naïvement comme suit le genèse de son idée.
3 un jour, dit-il en traversant à pied la plaine de Chelles, (je revenais de
l'usine de Noisiel où je faisais diverses installations hydrauliques) il me
vint à la pensée de chercher si sur terre, tout était bien fini avec les
chemins de fer et si l'on ne pouvait pas augmenter leur vitesse".
Girard dit "sur terre" car il était depuis longtemps préoccupé
aussi du problème de la navigation aérienne.
"C'est à cet instant de mon rêve, ajoute-t-il, que l'idée me vint de
supprimer les roues. C'était facile à dire, mais le moyen de s'en passer sans
tomber dans une résistance excessive, avec un convoi devenu traîneau . En
effet, un simple calcul de tête m'indiquait de suite que la résistance serait
décuplée. Et je voulais marcher cinq fois plus vite que nos chemins de fer
ordinaires !
J'étais dans une réflexion profonde et je le sentais le froid au cœur d'avoir
eu cette pensée. Tout à coup comme une massue une idée me frappa : un rail très
large... un patin... et les deux surfaces constamment séparées par une couche
d'air insufflée par une pompe pneumatique placée dans le convoi même. Toute
cette installation fut faite dans mon cerveau dans le seul espace de temps que
je mettais à passer le pont d'un petit cours d'eau. Je dois dire la vérité :
au bout de ce petit pont, je sentis mes jambes fléchir, et je fus obligé de me
tenir au garde-fou pour ne pas tomber".
Girard remplaça ensuite l'air par de l'eau. Et voilà.
Girard était un ouvrier illettré qui s'était fait lui-même. Il demeurait à
la Jonchère, entre Rueil et Bougival. Il était à la tête d'une usine pour la
fabrication de ses turbines et de ses pompes, mais tout ce qu'il gagnait il
l'employait au fur et à mesure à de nouvelles recherches. Aussi désintéressé
que bon patriote, il refusait une somme considérable que les Anglais lui
offraient pour aller à Londres continuer ses travaux sur le chemin de fer
glissant. " Mon chemin de fer marchera d'abord en France, disait-il ou
il ne marchera pas du tout". En outre, original et très indépendant.
L'Empereur qui s'intéressait beaucoup à lui et lui fournissait même des
subventions pour ses expériences, fut obligé de lui retirer la carte d'entrée
permanente qu'il lui avait donnée pour les Tuileries, parce qu'un jour Girard,
qui n'entendait pas qu'on discutât, avait fortement rabroué un des plus grands
personnages de la cour.
Puis il avait une marotte, il voulait que son premier chemin de fer allât de
Calais à Marseille, pas un kilomètre de moins.
Les essais cependant marchaient bien, et Girard eût certainement abouti. Mais
survint la guerre de 1870. Pendant le siège de Paris, un jour que l'inventeur,
monté en compagnie de quelques personnes sur un bateau-omnibus, se rendait aux
avant-postes, une salve de mousqueterie fut tirée de la rive par une patrouille
prussienne. Girard tomba raide mort. Il avait à peine quarante-huit ans.
Ses plans, ses brevets furent vendus. Un grand constructeur de machines
agricoles, M.P. Les acheta en bloc. Il tria ce qui pouvait l'intéresser, et
remisa le reste au grenier. C'est là que M. Barre, il y a quelques années, a réussi
après bien des recherches, à dénicher les précieuses paperasses.
M. Barre a apporté au chemin de fer glissant de notables perfectionnements qui
désormais le rende pratique. Il a par exemple modifié complètement la forme
des patins de Girard, qui n'étaient pas assez stables. M. Barre est un ancien
de l'École centrale, qui a déjà à son actif des oeuvres importantes.
Déjà, lors de l'Exposition de 1878, il avait obtenu une concession pour
installer entre le quai de Billy et le point culminant du Trocadéro, un chemin
de fer de son système ; malheureusement les fonds lui manquèrent et il lui
fallut renoncer à son projet.
Cette fois encore il a dû, pour ses expériences de l'Esplanade, faire appel à
la bourse de quelques amis pour de petites sommes. mais la démonstration, toute
sommaire, quelle soit, n'en est pas moins concluante et l'on peut, dès
aujourd'hui, prévoir le moment où le rêve de Girard sera enfin réalisé.
Tout vient à point à qui sait attendre. Jamais proverbe ne fut plus vrai et
ne trouva d'application plus directe qu'à propos du chemin de fer glissant dont
on vient d'inaugurer un tronçon à titre expérimental, sur l'Esplanade des
Invalides, système dont l'idée remonte à trente-cinq ans.
C'est en effet en 1854 que Louis-Dominique Girard, l'habile hydraulicien dont
les turbines sont aujourd'hui universellement répandues, eut l'idée de
construire un train sans roues, dans le but de réduire le frottement, et pour
pouvoir atteindre de très grandes vitesses jusqu'alors inconnues, de substituer
au roulement le glissement sur une mince lame d'eau sous pression.
Malheureusement l'inventeur n'est plus là pour assister aux premières expériences
un peu importantes de son système dont il avait fait les premiers essais à la
Jonchère, entre Rueil et Bougival ; son installation fut détruite pendant la
guerre, et lui-même tombait frappé par une balle prussienne, à peine âgé de
quarante-huit ans, alors qu'il préparait les projets d'une petite ligne de
Paris à Argenteuil, ligne dont il venait d'obtenir la concession.
L'idée de Girard n'est heureusement pas morte avec lui, elle a été reprise
par un de ses anciens collaborateurs, qui, aidé de quelques amis, a réussi à
établir la ligne de 125 mètres de longueur actuellement en fonction aux
Invalides, à titre d'expérience et d'étude.
Nous nous contenterons d'indiquer aujourd'hui le principe de fonctionnement général
du système, réservant l'examen des détails pour un article ultérieur. L'idée
qui a guidé Girard consiste à supprimer les roues et la locomotive, en remplaçant
les unes et l'autre par des actions hydrauliques. Le système de glissement et
Ie système de propulsion sont donc absolument distincts.
Suspension et entraînement. - Le train est formé d'un wagon de manœuvre renfermant des réservoirs d'eau et d'air comprimé dont nous allons voir la fonction dans un instant, et d'une série de voitures, au nombre de quatre dans le train d'études exposé aux Invalides, plus spécialement combiné en vue de donner satisfaction aux exigences particulières d'un train de chemin de fer métropolitain. Chacune des voitures du train repose sur six patins de forme rectangulaire, creux au milieu, et portant une série de rainures étroites à l'arrêt : ces six patins reposent sur deux larges rails plats formant la voie. Lorsqu'on veut mettre en route, on fait arriver de l'eau sous pression sous chacun de ces patins. Cette eau sous pression est fournie par des réservoirs disposés dans les wagons de tête, et la pression est maintenue constante à l'aide d'un réservoir à air comprimé qui vient agir sur l'eau par l'intermédiaire d'un détendeur. L'eau ainsi amenée sous le patin ne peut s'échapper qu'en le soulevant, et comme elle arrive sur tous les patins à la fois, il en résulte que tout le train se trouve soulevé en même temps et vient flotter, en quelque sorte, sur une série de coussinets liquides excessivement minces, formant une suspension fort douce, et que l'eau sous pression venant des réservoirs entretient d'une façon continue, réparant les fuites d'eau qui se produisent autour de chaque patin. A cet instant, le train tout entier est assimilable à un bateau qui flotterait sur l'eau sans s'y enfoncer. Le frottement se trouve considérablement réduit, - les chiffres font encore défaut, -. ainsi que l'effort de traction, et, par suite, la puissance mécanique nécessaire pour communiquer, toutes choses égales d'ailleurs, à un train donné une vitesse donnée.
Propulsion. - Pour produire l'entraînement du véhicule ainsi suspendu hydrauliquement, chacune des voitures porte une sorte de turbine rectiligne formant une véritable crémaillère régnant sur toute la longueur du train. Sur la voie, de distance en distance sont disposés des ajutages fixes portant un certain nombre de directrices par lesquelles l'eau sous pression peut, à un moment donné, s'échapper. L'admission de l'eau dans ces ajutages fixes est commandée par un levier que peut manœuvrer le mécanicien placé dans la voiture de tête : l'ensemble est assimilable à une turbine sans fin dont la partie mobile se déplacerait suivant l'axe de la voie et viendrait rencontrer successivement tous les ajutages. Le propulseur est donc entièrement fixe, et la force motrice est cueillie sur la voie par le train lui-même, en chaque point du parcours. A cet effet, une conduite maîtresse d'eau sous pression règne tout le long de la voie, sous les rails, et communique successivement avec tous les ajutages, chacun d'eux se refermant automatiquement dès que le train est passé. Deux séries d'ajutages agissant sur deux crémaillères-turbines disposées parallèlement l'une au-dessus de l'autre, permettent de marcher à volonté en avant ou en arrière. Telles sont les grandes lignes du fonctionnement du système Girard, auquel son continuateur, M. Barre, a su apporter une série de perfectionnements qu'il est impossible de signaler dans une description aussi sommaire, sans figures à 1'appui. Les avantages réclamés en faveur de ce système sont nombreux : signalons en première ligne l'absence de trépidations et de mouvements de lacets, la douceur du mouvement pouvant se comparer à celui d'un traîneau glissant sur la glace. Signalons encore la douceur des arrêts, l'absence de fumée et de poussière, ainsi que le faible bruit, la légèreté du matériel glissant, ainsi que celle des travaux d'art qui en résulte, l'absence de graissage, la suppression complète des frais d'entretien des roues et bandages, ressorts de traction, tampons de choc, l'économie de frais de traction, et, en dernier lieu, la possibilité de réaliser de grandes vitesses, pouvant atteindre, si l'on en croit certains journaux, jusqu'à 200 kilomètres par heure.
L'article de "l'Univers illustré" n° 1798 du 7 septembre 1889, pages 570 & suivantes - Article de H. de Parville
Le chemin de fer glissant fonctionne chaque jour à l'exposition dans la rue de Constantine de l'esplanade des Invalides sur une longueur de 150 mètres.L'article "Le Monde illustré"" n°1696 du 28 septembre 1889, pages 198-9 - Article de Paul Suyreff.
Monsieur Girard, le célèbre hydraulicien auquel l'industrie doit un
grand nombre de machines hydrauliques, expérimenta pour la première fois
en 1864 dans sa propriété de la "Jonchère" un système de
locomotion à glissement et à propulsion hydraulique qui déjà, à cette
époque, provoqua l'attention du public et plus particulièrement celle
des hommes de l'art.
La guerre de 1870 interrompit ces essais, M. Girard compta malheureusement
au nombre de ses victimes.
L'idée du chemin de fer glissant survécut à la mort de son
inventeur.
L'étude en fut reprise et continuée depuis par M. Barre, ingénieur et
ami de M. Girard.
De perfectionnement en perfectionnement, M. Barre est arrivé à présenter
au public le chemin de fer glissant qui fonctionne à l'Exposition,
Esplanade des Invalides.
Principes du système
Le
premier des principes sur lequel est basé cette invention est de
supprimer autant que possible les frottements, de diminuer la résistance
passive du train en le faisant glisser sur une mince couche d'eau comprimée
entre les rails plats et les patins qui supportent les wagons aux lieu et
place des roues.
La traction du train se transforme par suite en une espèce de navigation
à grande vitesse sur une mince souche d'eau.
le wagons principe consiste à produire le mouvement au moyen de colonnes
d'eau horizontales sous pression s'échappant d'ajutages fixes, placés de
distance en distance sur la voie, au moment du passage des trains. ces
colonnes d'eau agissent sur une turbine rectiligne placée sous les wagons
et sur toute la longueur des trains et peuvent produire la marche en avant
et la marche en arrière à la volonté du conducteur. Une conduite générale
placée le long de la voie alimente les ajutages.
Description
Propulsion
Nous
avons dit, en commençant, que le mouvement était donné aux trains par
des colonnes d'eau horizontales s'échappant d'ajutages fixes placés sur
la voie. Ces ajutages s'appellent propulseurs.
Ils sont formés par un clapet D (Fig.1, 2 & 3) dont la section est
assez grande pour qu'il soit impossible de l'ouvrir directement, en
vitesse, sans tout briser. Il a donc fallu employer un artifice pour
l'ouverture et la fermeture rapide des propulseurs.
On a placé, à cet effet, sur le coté, un robinet à trois eaux R
commandé par un maneton m. Lorsque ce robinet occupe la position
représentée sur la figure 4 correspondante à la position m du maneton,
le piston à cuir embouti C, dont le diamètres est plus grand que celui
du clapet D, reçoit l'eau sous pression qui lui arrive par le tuyau t ;
il y a en conséquence entraînement et ouverture du clapet D.
Lorsqu'au contraire on amène le maneton de la position m à la
position m' le dessous du piston C n'est plus en communication avec
le tuyau t mais avec la pression atmosphérique par l'orifice O. Le
ressort S commence à pousser le piston C, l'eau qui s'échappe autour du
clapet D tend également à entraîner violemment ce dernier qui vient
reposer sur son siège pour se fermer. L'orifice O qui a une section déterminée
joue le rôle de frein hydraulique et empêche une trop grand choc au
moment de la fermeture.
Manœuvre
des propulseurs
Ainsi que nous venons de le voir, pour ouvrir et fermer les propulseurs au
moment du passage d'un train, il faut il faut amener le maneton du robinet
à trois eaux (Fig.1 & 4) de la position m à la position m'.
et vice versa.
À cet effet, une première aiguille ou barre de fer de longueur et forme
déterminées se trouve placée sous le wagon en tête. Quand elle est
baissée, elle se présente en écharpe près du maneton de façon à le
prendre et à conduire à la position m'.
Mais cette aiguille n'est pas toujours forcément baissée. Le conducteur
peut la relever lorsque le train a assez de vitesse. Dans ce cas les
propulseurs ne s'ouvrent plus.
Une aiguille semblable mais disposée en sens inverse se trouve dans le
dernier wagon. Elle est toujours baissée et a pour but d'assurer le
fermeture de tous les propulseurs.
Action
inoffensive de la gelée
Tels sont dans leurs grandes lignes les principaux organes et le mode de
fonctionnement du chemin de fer glissant à propulsion hydraulique. Disons
enfin que la voie est disposée de façon à recevoir et conserver toutes
les eaux pour les conduire aux points bas où les machines fixes doivent
les reprendre pour les remettre sous pression et que les wagons portent
extérieurement et sur toute la longueur du train, des tôles qui
descendent à quelques centimètres de la voie, afin d'empêcher la plus
petite goutte d'eau d'être projetée au dehors.
C'est donc toujours la même eau qui tombe sur la voie et qui est reprise
indéfiniment par les machines et les pompes de compression. Cette
particularité permet de mélanger à l'eau, pendant les hivers et dans
les pays froids, une certaine proportion de déchets provenant de la
fabrication de la glycérine ou de chlorure de magnésium qui empêchent
la congélation.
Avantages
du système glissant
On comprend d'après ce que nous venons de dire quels sont les principaux
avantages de ce système.
Nous allons les indiquer sommairement :
Résumé
On voit, d'après cette énumération succincte, que les avantages annoncés
par les inventeurs seraient considérablement s'ils se trouvaient confirmés
par l'expérience.
Nous devons même dire que l'application faite à l'esplanade des
Invalides permet beaucoup et nous ne serions nullement étonné de pouvoir
d'ici à peu de temps glisser avec la rapidité vertigineuse annoncée et
à meilleur compte que dans nos wagons à roues si défectueux sous tous
les rapports.
Stephenson à se débuts, moins brillants, n'eut jamais osé rêver le développement
inouï des réseaux de chemins de fer actuels.
Le petit chemin de fer glissant de l'Esplanade a donc le droit justifié
jusqu'à présent de tout espérer de l'avenir.
Dans le n°852 p. 273 de La Nature du 28 septembre 1889, signé X... ingénieur (un ingénieur anonyme)
Le chemin de fer glissant de l'Esplanade des Invalides
L'Exposition de 1889 a produit peu de nouveautés mécaniques tout à
fait originales, et le chemin de fer glissant dont elle offre au public
une application en fonctionnement, peut passer certainement pour l'une des
plus curieuses et intéressantes de celles-ci.
La Nature a déjà signalé ce chemin de fer au moment de son
inauguration, nous donnerons aujourd'hui quelques détails plus complet
sur le mode de traction auquel on ne saurait refuser le mérite de
l'originalité.
la traction par glissement sur un fluide ou un liquide comme l'air ou
l'eau donnant un frottement aussi réduit que possible, entraîne dans
l'effort développé une économie considérable, par rapport à l'effort
de roulement ; le frottement sur l'air serait à peu près insignifiant,
et sur l'eau il est encore beaucoup plus faible que dans le roulement des
surfaces métalliques en contact. On aurait donc là le moyen de réduire
dans une proportion énorme les efforts de frottement inutilement développés
dans la traction habituelle sur voies ferrées, et on comprend que des ingénieurs
distingués comme le célèbre hydraulicien M. Girard, et M. Barre qui
reprend actuellement son idée, s'y soient attachés avec ardeur malgré
les difficultés de toute nature qu'en traîne la nécessité d'interposer
continuellement une matière fluide ou liquide et d'empêcher tout contact
métallique sur une ligne de grande longueur.
M. Girard, qui a fait les premières études sur le chemin de fer
glissant, avait en d'abord en vue en 1852 l'application directe de l'eau
à la traction sur les voies ferrées pour remplacer la locomotive dans la
traversée des lignes montagneuses
On voit en effet, que sur les pentes un peu fortes, la locomotives perd
rapidement tout son effet utile, car l'effort qu'elle peut développer ne
sert plus qu'à la remorquer elle-même par adhérence, et elle ne peut
entraîner que des charges insignifiantes. Les inventeurs ont donc cherché
à compléter cet effort adhérent par la crémaillère ou à remplacer la
locomotive par une machine fixe assurant la traction par un câble. Ces
machines peuvent être actionnées enfin en utilisant les chutes d'eau si
nombreuses dans le pays de montagnes, et M. Girard s'était proposé de
supprimer même celles-ci en faisant agir directement sur le train les
courants d'eau dont il pouvait disposer. L'eau est amenée au milieu de la
voie par une série d'ajutages fixes, également espacés, qui la
projettent sur une série d'aubes courbes fixées au-dessous des voitures
et qui forment une sorte de turbine rectiligne, s'étendant sur toute la
longueur du train. la distance des ajutages fixes est toujours inférieure
à cette longueur, de sorte que le train reste continuellement soumis à
l'impulsion de l'eau sous pression, ne pouvant pas quitter un ajutage
avant d'avoir atteint le suivant.
Partant de là, M. Girard avait reconnu qu'il y aurait une économie
considérable à supprimer tout roulement et à remplacer les roues de la
voiture par des patins flottant sur les rails, à condition d'interposer
entre les surfaces métalliques une mince nappe d'eau ou même d'air, si
la chose avait été possible.
Une ligne constituée d'après ces deux principes avait été établie par
lui à titre d'essai dans sa propriété de la Jonchère en sur une
longueur de 40 mètres, avec une pente de 50 millimètres par mètre, et
dans des conditions restreintes, le fonctionnement en était satisfaisant.
Malgré ce premier succès et l'appui qui lui était accordé par
l'empereur Napoléon III, il ne put obtenir en temps utile la concession
d'une grande ligne qu'il sollicitait depuis longtemps pour faire un essai
décisif. Cette concession lui fut accordée seulement en 1869, pour la
ligne de Calais à Marseille ; mais il mourut en 1871, victime de la
guerre, sans avoir pu la réaliser.
Cette idée de chemin de fer glissant était tombée en quelque sorte dans
l'oubli lorsqu'elle fut reprise par M. Barre qui avait été le
collaborateur de M. Girard, et celui-ce installa avec certaines
modifications la voie d'étude qui figure actuellement à l'Exposition de
1889.
Cette voie, établie le long de la palissade de clôture de l'Esplanade,
présente une longueur d'environ 165 mètres ; elle reçoit une train formé
de plusieurs wagons découverts portant la ligne d'aubes par lesquelles se
fait l'entraînement au moyen de l'eau projetée des ajutages fixes disposés
le long du parcours.
La
figure 1 donne la vue extérieure du train glissant, et la figure 2 donne
la vu détaillée, permettant de faire l'étude des principaux organes du
système quant : le patin du wagon, le rail et le propulseur.
Le patin du wagon qui forme l'organe essentiel est représenté en P dans
la figure 2 et on le retrouve en vue détaillée dans la figure 3. c'est
une sorte de tiroir renversé frottant par ses bords ou gardes sur le rail
R et portant en son milieu sur le couvercle une crapaudine qui reçoit le
poids du wagon par l'intermédiaire d'une ligne de suspension. Cette
crapaudine est descendue aussi bas que possible sans atteindre nécessairement
le niveau des gardes frottantes ; cette disposition, imaginée par M.
Barre a pour but d'abaisser autant que possible le centre de suspension
afin de l'amener au-dessous du centre de poussée déterminé par la réaction
de l'air comprimé à l'intérieur de la boîte et de prévenir ainsi tout
renversement. Celle qu'avait adopté primitivement M. Girard ne donnait
pas des résultats aussi satisfaisants, car le point d'appui de la ligne
se trouvait beaucoup trop relevé au-dessus de la surface de frottement,
et le patin manquait de stabilité. Ajoutons que la crapaudine présente
une surface d'appui sphérique avec un jeu suffisant dans la partie supérieure
afin de permettre au patin d'obéir à tous les dévers possibles du rail.
L'eau arrive dans l'intérieur de la boîte formée par le patin par une
tubulure S ménagée sur le couvercle, elle s'y accumule sous pression en
comprimant l'air qui est refoulé vers le haut et tend à soulever le
patin qui appuie contre le rail. L'eau tend alors à s'échapper par tout
le développement du périmètre ; mais l'évacuation est gênée par
quatre cannelures concentriques avec points d'interruption en chicane ménagées
sur les gardes des tiroirs. Ces cannelures, dont le tracé a été étudié
à cet effet, amortissent peu à peu le tourbillonnement de l'eau, et il
se produit graduellement une pression suffisante pour que le patin se soulève
avec le véhicule, et laisse écouler ainsi une mince nappe d'eau de 1/2
à 3/4 de millimètres qui empêche tout contact entre les gardes et les
rails.
D'après les expériences pratiquées à Senlis par M. Barre, un patin
supportant une charge totale de 1060 kilogrammes, alimenté par un réservoir
d'eau en charge sous pression d'air variant de 5 à 2 kilogrammes, a débité
140 litres d'eau en 2 minutes 25 secondes, soit 0,965 litre par seconde.
La pression de l'air comprimé sous le patin s'est maintenue constante à
1800 Kg, et la résistance au glissement pendant la marche n'a dépassé
0,500 Kg ; c'est à peine le 1/5, comme on voit, de la résistance au
roulement dans les conditions les plus favorables. Les rails reçoivent la
forme d'une semelle en U renversé, élargie afin de diminuer la pression
supporté par unité de surface, les patins sont munis d'autre part de
talons qui viennent frotter contre les joues du rail et préviennent aussi
tout déviation pendant la marche. Il faut évidemment que le rail soit
installé suivant une position bien déterminée et tout à fait
invariable pour assurer la portée parfaite du patin avec interposition
d'une lame d'eau d'épaisseur constante et prévenir le contact des
surfaces métalliques dans toutes les positions ; c'est là peut-être la
condition la p)lus difficile à remplir sur une voie un peu longue qui présenterai
nécessairement des dénivellations, et on peut se demander si en pratique
on y parviendra jamais.
Les joints forment aussi une grosse difficulté à raison de la nécessité
d'assurer la continuité pour ainsi dire étanche des barres successives,
et cela, le jeu des dilatations, et les dénivellations qui se produisent
toujours en ces points sous l'influence de la charge mobile. M. Girard y
avait pourvu d'une manière très ingénieuse, en prenant des barres
terminées en biseau entre lesquelles il interposait un coin en forme de V
refoulé par un ressort qui le repoussait plus ou moins suivant les
besoins en raison du jeu ménagé à chaque instant entre les extrémités
des barres. M. Barre a remplacé ce joint un peu compliqué par une
disposition plus économique : les rails sont en forme de U renversé
retenus à leurs extrémités par des pattes scellées dans les dés en
pierre et dans les longrines de supports ; sur les abouts est ménagé une
rainure légèrement courbe peu profonde qui reçoit un boudin en
caoutchouc de 8 à 10 millimètres de diamètre. Le joint des rails est
serré à 2 ou 3 millimètres, et on obtient ainsi au-dessus du caoutchouc
une sorte de petite cuvette étanche qui laisse cependant la liberté des
dilatations.
Il
nous faut à présent, parler du propulseur qui complète l'installation
du chemin de fer glissant.
L'eau sous pression, dirigée par une conduite maîtresse régnant sur
toute la longueur de la voie, est amenée comme nous l'avons dit, dans des
appareils fixes répartis sur toute la voie d'où elle schappe à l'arrivée
du train en exerçant son impulsion sur les aubes mobiles, et entretient
ainsi le mouvement.
L'eau arrive d'abord dans une boîte à clapets fixée au-dessous du
propulseur. Cette boîte représentée en détail figure 4 est maintenue
fermée par l'effort de la pression de l'eau, et elle s'ouvre seulement
sous l'action d'une aiguille portée par le véhicule d'avant du train qui
recule le clapet. L'eau arrive alors dans le propulseur et jaillit avec
force par le bec B (fig. 2) ; elle rencontre ainsi les aubes A du wagon
mobile, lesquelles se présentent en face du bec. L'écoulement de l'eau
continue dans ces conditions jusqu'à ce que le robinet d'admission dans
le propulseur soit fermé par une seconde aiguille fixée sur le véhicule
d'arrière du train. Un trou spécial ménagé sur le robinet permet l'échappement
gradué dans les positions successives qu'il occupe, et il atténue ainsi
un peu, les chocs auxquels l'appareil se trouve soumis par ces manœuvres.
La buse du propulseur est munie d'ailleurs d'un clapet de vidange
automatique pour assurer l'évacuation de l'eau en temps de gelée lorsque
le propulseur ne fonctionne pas. Les propulseurs sont munis enfin
d'organes spéciaux D dits amortisseurs placés à poste fixe sur la voie.
Ces amortisseurs sont disposés en face des propulseurs, avec un jeu
suffisant pour le passage des aubes mobiles. Ils forment un canal vertical
de forme parabolique qui recueille l'eau traversant les aubes, et à la
partie inférieure, sont ménagées huit rangées de chaînes pendantes
sans fin C qui ont pour but d'amortir la vitesse de l'eau ; elles se
trouvent entraînées en effet dans la veine liquide sortant du canal, et
elles de noient dans la masse de l'eau dont elles absorbent la force vive.
L'eau tombe sans vitesse dans un canal collecteur d'où elle est reprise
pour servir ultérieurement, la même eau devant toujours être employée.
Quant à l'alimentation des patins, elle se fait par le tender lui-même,
qui emporte des accumulateurs d'air comprimé servant à refouler l'eau
sous pression dans les patins. Si les parcours sont très longs, il est nécessaire
d'avoir sur le tender une machine spéciale pou comprimer l'air.
On voit d'après cette description comment s'opère la mise en marche du
système : il suffit au départ 'ouvrir le robinet eu premier propulseur
au moyen de l'aiguille d'avant du train et le mouvement se continue
enduite, en ouvrant successivement les propulseurs par l'aiguille d'avant
tandis que l'aiguille d'arrière les referment. Si le train doit revenir
sur la même voie, il faut une seconde série de propulseurs agissant sur
une seconde ligne d'aubes dirigées en sens inverse et disposées sous les
wagons à coté de la première. Pour le départ, après un arrêt en
pleine voie, il faut une transmission sur la longueur du train permettant
d'actionner le robinet du propulseur convenable quelle que soit sa
position par rapport au train.
Il y aurait également des questions assez difficiles à résoudre dans
une exploitation un peu importante pour les aiguillages, les changements
de voie, la gelée, etc. Nous ne croyons pas qu'il y ait à s'en préoccuper
actuellement, car tout ingénieuse qu'elle est, l'application du chemin de
fer glissant restera probablement limitée longtemps à certains cas spéciaux
sur des lignes de peu d'étendue. Si on arrivait toutefois à obtenir un
moteur plus indépendant de la voie qui permit de supprimer la conduite
d'eau avec ses propulseurs, comme par exemple avec un moteur actionné par
conducteur électrique, ce système retrouverait beaucoup plus d'élasticité,
et il pourrait recevoir sans doute des applications plus variées surtout
sur les lignes métropolitaines, car il supprime toute fumée, et il
assure un mode de traction particulièrement agréable pour les voyageurs.
Il est fondé enfin sur une idée très ingénieuse et même économique
au point de vue théorique, et il serait fâcheux de la voir rester
toujours inutilisée.
La Nature n°852 du 28 septembre 1889 p. 273
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