Ce qu'en dit le Cahier n°54 du Musée de la Batellerie 
David Benoist

Le Jacques, remorqueur à vapeur de construction française 

Avant la généralisation des automoteurs, les bateaux sans propulsion étaient « tractionnés ». Trois procédés coexistaient : 

Le Jacques est un représentant de cet âge d’or du remorquage, au début du XXème siècle. C’est à cette époque, en 1904-1905, que la société de dragage et de travaux publics Goiffon et Jorre (G & J) demande à la Société Générale de Touage et de Remorquage (SGTR), de lui fournir un remorqueur semblable à ses guêpes moyennes n°40 à 45 (construites à Nantes en 1900). Ces deux entreprises sont très liées : quand ils ont besoin d’un remorqueur supplémentaire, G & J le louent à la SGTR. La convention pour la fourniture du bateau date du 23 juin 1905, mais le projet est certainement sorti des cartons en 1904, deux ans n’étant pas de trop pour la construction d’un remorqueur. Cette convention mentionne effectivement un délai de livraison de 7 mois, ce qui semble bien court pour ce type de bateau.

Goiffon et Jorre, et la SGTR

Goiffon et Jorre a été fondée au XIXème siècle. L’entreprise était spécialisée dans les travaux difficiles, dédaignés par d’autres, comme les dragages aux sorties d’égouts. Elle possédait pour ce faire une flotte de dragues, d’engins de déchargement et de chalands coffrés. Ses remorqueurs tiraient ces engins non motorisés. 

À ses débuts, la compagnie aurait envoyé des bateaux jusqu’en Russie ; la légende veut que les couleurs de la compagnie (rouge sur blanc) aient été empruntées au cours de ces voyages au drapeau polonais. En 1960, G & J possédait 34 bateaux, dont quelques remorqueurs. La société passa ensuite sous le contrôle de Morillon-Corvol en 1962 (devenu depuis Entreprise Morillon-Corvol-Courbot, EMCC).

La SGTR, quant à elle, a été fondée en 1853. C’était la plus importante compagnie de remorquage sur la Seine. Elle fit d’ailleurs son entrée en bourse en 1903, juste avant la mise en chantier du Jacques. Son siège social et ses ateliers étaient à Andrésy, au confluent de la Seine et de l’Oise. Ses remorqueurs, les fameuses « guêpes », furent fabriqués à plusieurs dizaines d’exemplaires. On en comptait 52 en 1914. Ce type de bateau est donc caractéristique du remorquage fluvial. La SGTR, qui possédait également des toueurs, a donné naissance au groupe Touax.

La coque du Jacques est fabriquée à Choisy-le-Roi, dans les chantiers de MM. Desbois, Rancelant & Ollivaud. « Les fers et tôles employés seront de la qualité dite « VERITAS » donnant une résistance de 42 à 48 Kg. par m/m carré avec un allongement de 16 à 18 % ». L’appareil moteur est conçu par les ateliers de la SGTR à Creil. Après réception à Creil, le bateau est livré à Asnières, aux chantiers de Goiffon et Jorre, qui ont finalement déboursé 48 000 F de l’époque pour leur acquisition (soit environ 150 000 € de 2004).
Les essais du bateau ont lieu à Saint-Denis et à Épinay-sur-Seine en avril 1906. Pour naviguer, il nécessite un équipage de 4 personnes : le capitaine, son second, un chauffeur et un mécanicien. Dès le départ, le Jacques remorque les chalands coffrés et les engins de déchargement de la compagnie sur la Seine (de Rouen à Montereau) et sur l’Oise (de Conflans à Janville). 
La carrière du remorqueur sera longue, et marquée par plusieurs séries de modifications. Après quelques années de fonctionnement, la timonerie est fermée : elle était à l’origine ouverte, ce qui ne protégeait guère des intempéries et... de la fumée de la cheminée, lorsqu’elle était abaissée ! Puis dans les années 1950, le poussage remplace le remorquage. Le Jacques est alors utilisé à l’avant de certains trains de poussage pour aider aux manœuvres. 
En 1958-1959, la machine à vapeur de 150 ch et la chaudière cèdent la place à un moteur diesel de 300 ch. La cheminée est raccourcie pour permettre le passage des tuyaux d’échappement. L’hélice, l’arbre porte-hélice et le moyeu sont remplacés aux chantiers de Villeneuve-le-Roi. C’est à cette époque qu’est sans doute rajouté du béton en lest dans la cale : en effet, le moteur diesel ne pèse pas aussi lourd que l’ensemble formé par la machine à vapeur, la chaudière remplie d’eau et les réserves de charbon...
De quatre, l’équipage est réduit à trois personnes. Le capitaine est logé dans l’avant réaménagé, et ses aides à l’arrière, dans deux cabines. Enfin, vers 1964-1965, un front de poussage est rajouté sur le Jacques, qui devient lui-même remorqueur-pousseur.
En 1974, le bateau part pour la Saône, où G & J possèdent des chantiers. C’est là-bas qu’il finit sa carrière, stationné dans une fouille. Il est rapatrié sur la Seine en 1986, sans reprendre d’activité. Il attend son heure, amarré à un ponton de l’île de la Loge, à Port-Marly, sous un tas de bois et de feuilles. Grâce à l’épaisseur de ses tôles, il résiste heureusement à la corrosion.
Comme on le voit, le Jacques possède un intérêt historique certain. Il a traversé tout le XXème siècle, au gré des vicissitudes de la batellerie (passage de la vapeur au moteur diesel, abandon du remorquage au profit du poussage). L’histoire du bateau est bien documentée. On connaît plusieurs mariniers qui ont servi à bord. Le musée possède des archives et de nombreuses photographies.
Certes, d’autres bâtiments de ce type existent encore, mais plus dans leur état d’origine : beaucoup de remorqueurs ont été reconvertis en bateaux-logements.
En plus de cette valeur historique, le Jacques a également un intérêt esthétique certain. C’est un bateau aux lignes séduisantes, avec son étrave très effilée et son arrière en couronnement arrondi. Le rapport longueur / largeur est original : quelques années plus tard, les remorqueurs de même longueur seront nettement plus larges (5 m contre 3,85).

Caractéristiques techniques du Jacques

Nom et immatriculation Jacques, P9480F
Matériau Acier riveté
Longueur

22,77 m

Longueur entre perpendiculaires 20,67 m
Largeur de la coque hors membrures 3,85 m
Tirant d’eau 1,88 m (arrière), 1,20 (avant)
Creux au milieu sur quille 2,68 m
Tirant d’air en ordre de marche 3,40 (5,60 avec la cheminée)
Section du maître couple immergé 3,18 m²
Masse 40,8 t

   

Propulsion 1905 Initialement, une hélice à 4 pales, de 1,415 m de diamètre, de 155 kg, moyeu de 196 mm
1959 1 hélice à 3 pales en fonte, de 1,14 m de diamètre (pas 0,80 m)
Énergie 1905

Machine à vapeur (chaudière Oriolle avec réservoir) type pilon compound à condensation par mélange, sans enveloppe de vapeur autour des cylindres, de 150 ch vapeur.

  • Diamètre des cylindres HP et BP : 300 mm et 500 mm.

  • Course commune : 250 mm.

  • Diamètre du piston de la pompe à air à double effet : 140 mm.

  • Course du piston de la pompe à air à double effet : 250 mm.

  • La machine consommait 1 à 1,5 t de charbon par jour

1959

Deux moteurs 6 cylindres Baudouin du type DK6 (explosion à 4 temps DF6 Diesel) 

  • J/7493 de 150 ch chacun (à 1100 t/m en marche normale). Deux embrayages jumelés, avec réducteur-inverseur Baudouin – type DK6 MJ 

  • Rapport 1/4. Lancement pneumatique par 2 bouteilles d’air de 30 kg. Consommerait 60 litres de fuel à l’heure + 0,5 l d’huile

Puissance en marche forcée courte durée : 300 ch à 1200 t/m

 

Vitesse moyenne « à blanc » (en route libre et remorqueur seul) 18 km/h (en 1966)
Vitesse « en charge » En remorquage : 6 km/h avec une charge tractée de 800 à 1 000 t (en 1966)
Aménagements 1905
  • logement AV : chambre de capitaine avec lit, armoire, banquette formant coffre, table + chambre à un lit avec armoires, banquettes formant coffres, étagères ;

  • compartiment AR : une chambre à deux lits pour le mécanicien et le chauffeur, avec armoires, banquettes formant coffres, étagères

1959
  • logement AV comprenant : 1 cuisine avec réchaud à gaz butane + 1 cuisinière à mazout Deville + 1 table et chaises + 1 chambre avec 1 lit et 2 placards dans cloison ;

  • un magasin, sur le pont devant la timonerie ;

  • logement AR avec 1 réchaud à gaz butane + 1 cuisinière à mazout Deville + 1 table et chaises + 2 couchettes et 2 placards dans cloison ;

  • éclairage électrique par batterie d’accus 24 V ;

  • feux de navigation réglementaires mixtes ;

  • ancre de 80 kg


A l'origine du sauvetage du Jacques, il y a d'abord un homme, Alain Naveteur. Issu d’une famille de mariniers de Longueil-Annel, il est né à Rouen en 1918. Matelot dès l’âge de 12 ans, il est engagé en 1932 sur les remorqueurs de la CFTR (Compagnie fluviale de Transports et de Remorquage, dite « les Tritons »), à Andrésy. En 1937, il franchit la rivière pour continuer sa carrière à la Pénichienne, à Conflans-Sainte-Honorine. Devenu capitaine de remorqueur en 1941, résistant puis engagé volontaire à la Libération, il poursuit sa carrière après-guerre aux commandes de l’Égalité, du Volonté puis du Belgique. Après des remplacements sur les remorqueurs Progrès et Industrie, il s’installe à Longueil-Annel comme agent de la Pénichienne, chargé de constituer les convois de bateaux tractés. De 1960 à sa retraite en 1984, nommé chef de marine, il dirige un magasin de fournitures à Port-Marly, pour la société de dragage Goiffon et Jorre. C’est là qu’il va faire la connaissance du Jacques...

Au début des années 1990, Alain Naveteur s’étonne en effet que Conflans-Sainte-Honorine, qui a hébergé tant de remorqueurs, n’en ait pas conservé un seul. Il contacte alors son ancien employeur pour savoir ce que devient le Jacques, qu’il a vu abandonné à Port-Marly. La société EMCC est prête à s’en débarrasser. Alain Naveteur sollicite alors l’aide de l’AAMB pour ce projet.

Conflans-Sainte-Honorine, capitale... du remorquage ?

A la veille de la Première Guerre mondiale, plusieurs dizaines de remorqueurs sont en service à Conflans ou dans les alentours. Autant d’unités qui s’arrêtent régulièrement sur les berges de la Seine et de l’Oise. Plusieurs compagnies majeures ont d’ailleurs leur siège ou des bureaux à Conflans ou à Andrésy : la SGTR et la Pénichienne, mais aussi la SRBR (Société de Remorquage des Batelleries réunies, les fameuses « petites bleues »), la CFTR (les « Tritons ») et la Compagnie générale de Navigation HPLM (Havre-Paris-Lyon-Marseille).

M. Gasteau est alors directeur technique du site EMCC de Port-Marly. Après accord de sa direction, il propose de céder le bâtiment pour un franc symbolique... malgré d’autres propositions de rachat plus rémunératrices. Dans un premier temps, les Amis du musée restent prudents : l'envie de sauver le bateau est grande, mais on connaît mal les engagements qu’une telle opération entraînera (notamment financiers !). L'association n'a alors que 50 000 F en caisse : aura-t-elle les reins assez solides pour mener ce projet à bien ? Il n’est pas question de remettre en cause la politique éditoriale de l’association : la publication des deux cahiers annuels contribue, elle aussi, à la défense du patrimoine fluvial. Le musée de Poses est consulté : là-bas, les mariniers ont sauvé un autre remorqueur, le Fauvette, en 1987. Leur expérience permet d'évaluer le coût des restaurations. La réflexion de l’AAMB aboutit d’ailleurs à la publication d’un Cahier du musée sur le remorquage. Après quelques semaines d’hésitation, on décide de tirer le bateau à terre, pour établir son état de santé : si la coque est en bon état, on se lancera dans l'aventure. 
Il faut déjà amener le Jacques jusqu'à Achères, où le chantier de la CFT (Compagnie Fluviale de Transports) offre gracieusement son aide. EMCC se charge du transport. L'expert Serge François vient bénévolement sonder le patient, dont les tôles ont été sablées. Son diagnostic est encourageant : bien que bétonnée, la coque est saine et les épaisseurs sont satisfaisantes. Seules quelques traces de corrosion et de perforation devront être traitées. En conséquence, l’AAMB accepte le défi. 

Les premiers travaux débutent en octobre 1996 : la coque est vidée de tout ce qui l'encombre : les deux moteurs, dont un seul fonctionne encore, sont démontés ; le béton est décollé au marteau piqueur, de la sciure est déversée pour absorber les vieilles huiles et autres polluants. À l'extérieur, avec l’aide d’EMCC, on enlève le front de poussage et on refait les peintures. Les trous de la coque sont rebouchés, grâce à la pose de 6 doublantes (soudure d’une plaque de tôle), le tout pour près de 35 000 F. Les superstructures sablées sont enduites d'huile de lin. Le bureau EMCC de Villeneuve-la-Garenne offre l’ancienne hélice de secours qui a été retrouvée (évitant ainsi une dépense de 30 000 F) ; les frères Daniel et Guy Fontaine la mettent en place. 10 anodes à 150 F pièce sont posées sur la coque. Il y a jusqu'à sept bénévoles qui travaillent simultanément sur le chantier. 

Entre-temps, EMCC vend officiellement le bateau à l'AAMB, pour un franc symbolique (plus 21 centimes de TVA !). La remise à l'eau a lieu en grandes pompes, le 20 décembre 1996. Sont présents des élus des trois communes du Confluent (Conflans, Andrésy et Maurecourt), mais aussi des représentants d'EMCC, de la CFT, de Touax...

La restauration ne fait pourtant que commencer.

EMCC, une longue histoire

L’histoire des Morillon et des Corvol commence dans le Morvan du XVIIème siècle. Ces deux familles travaillent alors dans le transport du bois entre le Nivernais et la Capitale. Au XIXème siècle, des mariages lient les deux groupes, liens rapidement renforcés par des relations d’affaire entre sociétés. Ces dernières ne tardent pas à se reconvertir dans l’extraction de sable et de graviers en Seine. La première société Morillon Corvol et Cie voit finalement le jour en 1884. Pour suppléer au manque de bateaux et de matériel d’extraction, on crée notamment les Ateliers et Chantiers de la Haute-Seine à Villeneuve-le-Roi, en 1919. L’entreprise passera ensuite successivement sous contrôle belge, allemand puis anglais, avec intégration dans le groupe RMC (Ready Mixed Concrete). Aujourd’hui, Morillon Corvol possède l’une des plus importantes flottes industrielles privées d’Europe, avec 13 pousseurs et 100 barges.


On a évoqué plus haut les problèmes théoriques impliqués par toute restauration. Le cas du Jacques illustre concrètement ces interrogations. Avant de se lancer dans l'entreprise, il a fallu choisir l'état dans lequel on souhaitait remettre le bateau. Ce dernier a en effet connu plusieurs « vies » au cours du XXème siècle, d'abord comme remorqueur à vapeur, puis comme remorqueur diesel, et enfin comme pousseur. Après réflexion, le musée décide de le présenter comme il était à la sortie du chantier de construction, c'est-à-dire comme remorqueur à vapeur.
La mise en pratique soulève d'autres problèmes déontologiques : que faire quand les techniques du passé n'ont plus cours ? Le Jacques est en acier riveté, mais le rivetage n'est plus pratiqué de nos jours, et les outils sont rares. Doit-on alors poser de faux rivets, juste pour faire illusion ? Et la peinture au plomb, utilisée auparavant, est désormais interdite. Avec quoi va-t-on repeindre la coque ?
C'est la solution de l'authenticité qui est adoptée, dans la mesure du possible : on posera de vrais rivets, à l'ancienne. La peinture au plomb sera néanmoins abandonnée, ce qui heureusement ne change rien à l’aspect extérieur. Une fois menées ces réflexions préliminaires, l’entreprise de restauration démarre pour de bon.

En 1997 les travaux continuent, après la remise à flot. Il s’agit de rendre à l’extérieur son aspect original, tâche de longue haleine. L’entreprise de Jean-Claude Genet, marinier effectuant des travaux de chaudronnerie durant les périodes de chômage, obtient le marché ; les parties endommagées du bateau sont remplacées, les 8 fenêtres de l’avant sont restaurées. L’association achète le petit matériel qui servira pour les années à venir : groupe électrogène, outils divers, etc.
Une des modifications les plus visibles concerne la cheminée, raccourcie lors de la « diésélisation ». Un architecte naval, Gérald Pailloux, dessine le plan de reconstitution. Une quinzaine de mariniers retraités travaille sur le chantier. 
Comme récompense de ces premiers efforts, l’AAMB obtient en novembre le classement du Jacques au titre des monuments historiques. C’est le premier bateau classé d’Île-de-France, et le quatrième remorqueur classé de l’Hexagone. L’AAMB a désormais l’assurance que l’État participera financièrement à la restauration, ce qui ne manquera pas d’inciter d’autres institutions à la subventionner. Mais tout le monde a conscience que l’opération sera coûteuse, et elle n’en est qu’à ses prémices : une souscription est lancée pour récolter le maximum de fonds. Elle repose notamment sur des appels lancés dans la presse régionale, et sur la distribution d’appels à dons (notamment à l’accueil du musée de la Batellerie). Ce sont surtout les membres de l’AAMB qui, fort logiquement, ont été sensibles à cette action. Fin 2003, elle n’avait rapporté qu’un peu moins de 3 000 €...

En 1998, divers travaux de chaudronnerie rapprochent encore le Jacques de son état originel : la cambuse, devant la timonerie, est remise en état. Ont alors lieu les premiers essais de rivetage « à l’ancienne », sans marteau pneumatique. On s’en fera ensuite prêter un, avant finalement d’en acheter un exemplaire. James Laure répare les tôles coulissantes des portes. Des travaux de menuiserie sont menés et des carreaux de Plexiglas ferment provisoirement les hublots.
Les pièces anciennes ne sont pas toujours faciles à trouver pour un vieux bateau. Trois boulards (dont le gros boulard avant) et une plaque de fonte de « trou d’homme » sont dénichées à... Saint-Mammès, sur une cousine du Jacques, l’ancienne Guêpe 12. Cette dernière, transformée en bateau-atelier, est méconnaissable, seul l’avant est encore dans son état d’origine. 
Le pont et ses aménagements retrouvent meilleure allure, à l'avant du bateau. Plus de 70 journées de travail sont nécessaires, et près de 100 000 F sont investis dans tous ces travaux.

L’année suivante, on refait les six capots surmontant la salle des machines (avec leurs six hublots), ainsi que deux chandelles supportant le toit de la marquise. Des feux de navigation et une pompe sont réinstallés. Les opérations de rivetage continuent : Alain Naveteur et Hyacinthe Acolas chauffent les rivets, avant que Jean-Claude Genet et les frères Fontaine ne les posent : plus de 500 seront nécessaires ! 

De 2000 à 2004, on finit de reconstituer l’extérieur. En 2000, la nouvelle cheminée, conforme aux origines, est enfin installée, ainsi que la devise du bateau (donnée par Jacques Wattiau). Avant de reconstituer les aménagements, on achève de faire le vide : le dôme de la salle des machines est démonté pour l’occasion, histoire de faciliter les travaux. L’intérieur est gratté, poncé, nettoyé, les derniers restes de béton disparaissent. Une couche de peinture recouvre le tout. Des cloisons intérieures sont réparées par Jean-Claude Genet. 
Ensuite 26 chandeliers en tôles sont réalisés à l’identique ; ils soutiennent la rambarde sur tout le pourtour du pont. La lisse en fer est réparée, le boulard arrière, rajout contemporain, est supprimé. Les derniers trous du pont sont bouchés, tandis que fenêtres, portes et vitres sont réparées (le gros de ces opérations coûte plus de 20 000 €). C’est la société Diesel Marine qui s’en charge, et elle n’hésite pas à faire des « prix d’amis » à l’AAMB. Les gérants de la société sont en effet sensibles au sauvetage de ce bateau presque centenaire.
À côté des derniers travaux de chaudronnerie, on s’occupe également du cabanage. La marquise retrouve son aspect d’antan (ouverte), et tous les éléments qui ne sont pas d’origine sont ôtés. Les supports de la nourrice des moteurs diesel et des prises d’eau sont démontés, meulés et rebouchés. 
En plus de tous ces gros travaux, identifiés et chiffrables, il convient de ne pas oublier une multitude de frais annexes : achat de petit matériel, de peinture, travaux photographiques et tirages de plans... Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, toutes ces menues dépenses finissent par compter, elles aussi, dans le budget global.

En 2003, il est temps de réaliser un premier bilan. Maintenant que le Jacques retrouve son aspect extérieur d’origine, on décide de le tirer à terre sans attendre la date réglementaire. Comme en 1996, on sollicite le chantier naval d’Achères, qui effectue l’opération pour un prix d’ami. Une fois encore, on nettoie la coque, pour éliminer les algues, les coquillages et la rouille avant le passage de l’expert. Le Jacques, immobile la plupart du temps, héberge forcément plus de parasites sur sa coque qu’un bateau en perpétuel mouvement. Alain Naveteur, 85 ans, n’est pas le dernier à gratter la tôle, bien au contraire ! Quelques trop rares bénévoles comme Serge Flamme et Marc Oberlé sont aussi de la partie. Ce dernier supervise d’ailleurs pour l’AAMB tous les travaux sur les trois unités patrimoniales.
L’expert Serge François revient au chevet du Jacques, et annonce quelques surprises : alors que les anodes n’ont pratiquement pas fondu en 7 ans, la coque, elle, a perdu un demi millimètre au niveau de la ligne de flottaison, et quelques trous sont apparus. Rien de bien grave, mais cela prouve qu’il faut être vigilant et ne pas attendre pour contrôler l’état des tôles. L’AAMB a désormais le projet de traiter tous les deux ans la zone sensible de la ligne de flottaison. Quoi qu’il en soit, quelques renforts consolident les parties affaiblies et trois couches de peinture sont apposées. Le Jacques n’a jamais été aussi beau !


Contrairement à ce qui se fait parfois ailleurs, la restauration du Jacques n’a pas suscité la mise en place d’une structure particulière, chantier d’insertion ou autre... Il faut dire qu’à Conflans, les anciens mariniers sont nombreux, et la main d’œuvre passionnée et spécialiste n’a pas encore fait défaut. 
Il reste néanmoins des domaines techniques où les bénévoles ne peuvent réaliser le travail, et où les entreprises spécialisées sont trop rares ou trop chères. Comme on l’a vu, la grande cheminée du Jacques a été refaite à l’identique en 2000. Mais les cheminées des remorqueurs à vapeur avaient une particularité : de par leur grande taille, on devait les abaisser pour passer sous les ponts. Un mécanisme ingénieux de contrepoids permettait à un homme seul de monter ou abaisser la cheminée. Suivant le souci d’authenticité propre au musée, il est indispensable de réinstaller ce mécanisme. Tout le mécanisme de basculement est donc à reconstituer. Les plans d’époque sont bien utiles, mais ils ne disent pas tout. De subtils calculs doivent être réalisés pour que les contrepoids aient la juste masse. En outre, il est désormais bien difficile (et fort coûteux) de faire fondre de telles pièces.
La solution à ce problème provient d’une rencontre imprévue. À l’Armada du Fleuve de Rouen, en 1999, le Triton 25 effectue sa première escapade comme ambassadeur du musée de la Batellerie. Les visiteurs, nombreux, se pressent sur les quais auprès du bateau. Parmi eux, M. Briant, professeur de modelage et de maquette en mécanique au lycée technique Eugène-Ronceray de Bezons, qui engage la conversation avec les bénévoles de l’AAMB Les travaux de restauration à venir sont évoqués, et notamment la réinstallation de la cheminée du Jacques. Michel Briant laisse ses coordonnées.
Quand la nouvelle cheminée est montée l’année suivante, on le rappelle. M. Briant évoque alors la possibilité d’une coopération entre l’AAMB et le lycée technique, qui possède une section « fonderie ». Des rendez-vous sont pris et un partenariat se dessine : la reconstitution du mécanisme de basculement constituera un projet de fin d’année pour des élèves du lycée en bac professionnel ; Jean-Pierre Rama, professeur de fonderie, et Roger Lavigne, chef de travaux, participent à l’opération, avec l’accord du proviseur, M. Rattiarson. L’AAMB n’aura même pas à fournir la matière première pour obtenir les pièces fondues. Le coût d’une telle opération aurait été difficile à assumer pour l’association dans des conditions normales.
M. Briant étudie les plans du Jacques, vient relever des cotes et faire des moulages à plusieurs reprises. Les traces des anciens équipements sont encore visibles sur la tôle, et complètent les quelques photographies d’époque. Des gabarits sont réalisés par les élèves, avant la fonte définitive des pièces, en 2002. Lors du Pardon de la Batellerie 2002, une exposition à la halte-patrimoine met en valeur le partenariat et le travail réalisé. Les différentes pièces, en attente sur le pont, sont mises en place par Diesel Marine à l’occasion du Pardon de la Batellerie 2004.


Malgré tout le temps et l’argent investis, la restauration du Jacques n’est pas achevée. À l’extérieur, le bateau a retrouvé son aspect d’antan. Mais à l’intérieur, tout, ou presque, reste à faire. L’ensemble des aménagements internes est à reconstituer : menuiseries, mobilier, etc. Le Jacques doit également être remis en état de marche, à la vapeur, mais pour le moment, il n’a plus ni chaudière, ni machine.

Une machine à vapeur qui voyage... sans son remorqueur

La machine à vapeur sera un élément facile à remettre en place... puisqu’elle existe toujours ! Elle a en effet été récupérée et restaurée par les mariniers de Poses, avant que le Jacques ne soit sauvegardé.
Au départ, il existait cinq machines de ce type : une sur le Jacques, trois autres sur trois bâtiments différents (un remorqueur et deux dragues, respectivement : le Nemo, la Ville-d’Asnières, la Ville-de-Louviers), et une machine de secours. Avant 1959, la machine originale du Jacques a été mise à terre pour réparation et remplacée par une autre. Une fois remise en état, la machine a été installée sur la drague Ville-d’Asnières. Plus tard, M. Labrouche, président de l’association de Poses, cherche une machine à vapeur à présenter dans son musée. C’est celle de la drague, et donc celle du Jacques, qui sera récupérée et restaurée ! Elle est actuellement visible au musée de Poses...

La chaudière pose plus de difficultés. Les plans de 1900 ne sont guère précis à son sujet. Pour résoudre le problème, on a tenté d’interroger des mariniers retraités qui avaient travaillé sur le bateau, MM. Melin, Guérard et Chartier. Une rencontre fut organisée à bord, fin 2000. Mais les souvenirs de chacun n’étaient pas toujours précis, et bien souvent contradictoires ! En outre, même une fois que la chaudière aura été reconstituée sur le papier, il demeurera le problème de la réalisation effective, complexe et onéreuse. Un nouveau partenariat avec l’Éducation nationale serait le bienvenu... Les travaux à faire sont donc encore nombreux, et l’on manque de bras pour toutes les tâches à accomplir.
D’ici quelques années, on espère que le Jacques aura été entièrement restauré. Une fois ses aménagements intérieurs rétablis, il sera visitable dans le cadre de la halte-patrimoine, à l’image du Triton 25. En attendant, il fait déjà de la figuration : on l’aperçoit dans le long métrage Un Long Dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet, le réalisateur d’Amélie Poulain.
Après reconstitution de la chaudière et remise en place de la machine, il se déplacera à nouveau par ses propres moyens, à la vapeur, comme en 1905. Voilà un spectacle qu’on n’aura pas vu de longue date sur la Seine : un remorqueur à vapeur, lançant de brefs coups de sifflets, avant de s’élancer dans un beau panache de fumée !


Les sommes sont indiquées en € :

Années  Dépenses Subventions & dons

Détail des recettes

      Subvention Monuments historiques Subvention conseil régional d’Île-de-France Subvention conseil général des Yvelines Subvention Port autonome de Paris

Autres recettes (souscriptions, dons…)

1996 7623            
1997 5273 5092     3049   2043
1998 14702 3562     3049   513
1999 14112 13113 6977   3049 3049 38
2000 28055 14549 7621 6860     68
2001 774 3112     3049   63
2002 16915 4178   4109     69
2003 5422 14448 9116 2290 3000   42
Total 92876 58054 23714 13259 15196 3049 2836

Quelques commentaires sur ce tableau : 

La différence de 34 822 € entre les dépenses et les subventions & dons a été financée sur les fonds propres de l’AAMB, provenant en grande partie de la vente des Cahiers du musée.
On notera que les subventions au titre des monuments historiques représentent un pourcentage du prix des travaux (environ 50 %) ; les subventions accordées par les collectivités ne sont pas automatiques, et pas forcément proportionnelles. Par exemple, le conseil régional subventionne généralement à hauteur de 30 %, tandis que le conseil général accorde une somme « forfaitaire ». Il y a également un décalage dans le temps entre les dépenses effectuées et l’arrivée des subventions, généralement l’année suivante : l’AAMB doit, en quelque sorte, avancer l’argent, en attendant qu’un pourcentage lui revienne sous forme de subventions (c’est pourquoi, certaines années, on comptabilise plus de subventions que de dépenses, et inversement !). 
Pour l’année 2004, 15 000 € devront encore être versés (pour des travaux engagés depuis longtemps et chiffrés à 18 000 €), ce qui devrait amener une subvention de l’ordre de 9 000 €.
Enfin, la ville de Conflans-Sainte-Honorine n’est pas indiquée dans ce tableau ; néanmoins, elle accorde chaque année une subvention substantielle à l’AAMB. Même s’il ne s’agit pas d’une somme dévolue spécifiquement pour les bateaux, elle aide à leur entretien de façon efficace.
Tous ces aspects administratifs sont gérés par une équipe de bénévoles assidue et efficace : Marc Schreiber, président ; Annette Pinchedez, secrétaire de l’AAMB ; Roger Maury, trésorier ; Monique Olivier et Simone Manière.

Page précédente