On lisait dans la Tribune de New-York du 9 août 1854 : « Le vaisseau
l'Ericsson a pénétré hier dans la baie pour faire un nouvel essai. Il n'y avait à
bord qu'une seule machine. On nous apprend que l'on a substitué la vapeur à
l'air chaud; mais on a soin d'annoncer que cette vapeur est engendrée et appliquée d'une
manière beaucoup plus économique. La vérité, en effet, est que M. Ericsson a commandé pour son navire trois générateurs à vapeur, avec de l'eau à l'intérieur et du feu au-dessous, ce qui ne l'empêche pas de continuer à dire, dans un accès d'illusion d'inventeur, qu'il emploie
encore la puissance motrice que la presse de New-York a tant exaltée (celle de l'air
dilaté). A la même époque,
M. Fulton s'exprimait ainsi dans le Journal de l'Institut de Franklin : "Définitivement
l'Ericson est un échec lamentable qu'on essaie de cacher encore, mais
qu'on sera forcé d'avouer : ce sera une grande leçon pour les actionnaires. L'échec n'a pas été avoué,
que nous sachions; mais il n'a pas non plus été démenti."
Nous avons dit que le principe fondamental de la machine à air chaud avait été récemment interprété d'une manière ingénieuse, et appliqué à l'emploi de la vapeur d'eau,
par l'inventeur mieux inspiré que ses devanciers. Cet inventeur est M. Siemens, savant physicien et ingénieur anglais.
Un modèle de sa machine figurait à l'exposition universelle de 1855; mais il y a apporté depuis diverses améliorations
qui ne seront pas les dernières, il faut l'espérer.
Dans l'état actuel, cette machine, dite à vapeur régénérée, peut être considérée comme remplissant, en
tant que machine fixe à l'usage de l'industrie manufacturière, des conditions
d'économie bien supérieures à celles des anciennes machines, et comme utilisant une plus grande partie de la force
motrice représentée par une même quantité de calorique.
Nous allons faire connaître ses dispositions et son mode de fonctionnement, tels
qu'ils se trouvent réalisés dans un appareil établi par M. Farcot, constructeur à
Saint-Ouen, d'après les derniers dessins de M. Siemens. Cet appareil a de la part de
MM. Servel, ingénieur en chef
du bureau technique de Paris, et Tresca, ingénieur sous-directeur du conservatoire des arts et métiers, l'objet de deux rapports
rédigés à la suite d'expériences faites, en juillet et août 1856, dans l'usine même de M. Farcot, rapports dont nous
donnerons, en terminant, les conclusions.
Ainsi que son nom l'indique, la machine à vapeur régénérée est
combinée de manière à utiliser toujours la même vapeur (sauf les
pertes qui n'exigent qu'une faible alimentation), en lui fournissant et en lui retirant tour à tour une quantité
de calorique qui se transforme, à chaque coup de piston, en une quantité sensiblement
équivalente de force motrice.
Imaginons d'abord deux cylindres dans lesquels se meut un piston, et dont le fond est en contact immédiat avec le
foyer. Ces cylindres, que M. Siemens appelle cylindres travailleurs, sont en communication avec la chaudière. Si donc la vapeur arrive de celle-ci
dans la partie inférieure de l'un d'eux et par conséquent au-dessous du piston, elle s'y trouve en contact avec une paroi brûlante, et acquiert en
se surchauffant son maximum de tension. Le piston est aussitôt soulevé; lorsqu'il arrive à un certain point de sa course ascendante, il laisse passer la vapeur dans une sorte de cylindre
annulaire garni intérieurement, ou plutôt presque rempli de toiles métalliques enroulées et placées verticalement. Cette capacité, qui est l'organe principal et caractéristique de la machine, a reçu de M. Siemens le nom de
respirateur. Son extrémité inférieure avoisine la partie du cylindre
proprement dit qui est en contact avec le foyer, et reçoit nécessairement une partie
de la chaleur fournie par celui-ci. Mais son extrémité supérieure se maintient à une
température relativement très-basse jusqu'à ce que la vapeur, arrivant du cylindre et traversant les toiles, leur
cède la majeure partie de son calorique, et, de vapeur à haute pression qu'elle était à
400° environ, devient vapeur saturée en retombant à 140° ou 150°. Elle trouve alors une issue
qui la conduit dans un troisième cylindre, appelé cylindre régénérateur, placé
entre les deux cylindres travailleurs, dont il égale à lui seul la capacité. Il est, comme ceux-ci, muni d'un piston que la vapeur soulève en
achevant de se détendre; mais il n'est point en contact avec le foyer, en sorte que la température de la vapeur ne fait que s'y maintenir à peu près au même point
où elle était en arrivant, et y demeure à l'état de vapeur saturée en attendant qu'on ait de
nouveau besoin d'elle.
C'est ce qui arrive lorsqu' une évolution semblable à celle que nous venons de
décrire s'est accomplie dans l'autre cylindre travailleur. La vapeur pénètre de la chaudière dans ce dernier, s'y surchauffe, élève le piston, traverse le respirateur, s'y
refroidit et s'y détend, et entre à son tour dans le cylindre régénérateur, mais cette fois au-dessus du piston, qui, poussé de haut en bas, force la vapeur tenue en réserve au-dessous de lui à rentrer dans le premier
cylindre travaillant, dont le piston, ne trouvant plus de résistance, est redescendu tandis que l'autre montait. Mais, avant d'arriver
là, cette vapeur traverse le respirateur, y retrouve le calorique qu'elle y a tout à l'heure abandonné, puis, une fois "" contact avec la paroi inférieure du cylindre, se surchauffe
à nouveau, soulève le piston, revient encore se refroidir dans le respirateur,
et est enfin ramenée dans le cylindre intermédiaire. Elle en chasse à son tour la vapeur venue du
second cylindre travailleur, où les mêmes choses se passent, c'est-à-dire que la vapeur y rentre après avoir
traversé le respirateur, y reprend sa tension au contact de la paroi inférieure, soulève le piston, retourne au respirateur pour se refroidir, puis
repasse dans le cylindre régénérateur, et ainsi de suite.
Le jeu de la machine consiste donc dans ce mouvement de bascule qui s'établit et se perpétue par
lui-même entre les deux cylindres travailleurs et qu'un mécanisme analogue à celui des machines ordinaires transforme en un
mouvement circulaire.
Bien qu'en théorie, comme nous l'avons dit, ce soit toujours la même vapeur qui, une fois produite au début, doive, en se dilatant et en se condensant alternativement,
transformer indéfiniment en force motrice la totalité de son calorique, les choses, dans la
pratique ne sauraient se passer tout à fait ainsi : sans quoi l'on aurait presque résolu l'insoluble
problème du mouvement perpétuel. Du volume de vapeur lui devrait servir toujours en se régénérant, une
faible partie s'écoule par l'échappement et doit être remplacée. C'est pourquoi M. Siemens a muni sa machine d'un petit tiroir de distribution,
communiquant avec la chaudière. Celle-ci enveloppe les trois cylindres, en sorte que la
déperdition de chaleur est presque nulle. Elle laisse pénétrer dans les cylindres, à chaque coup de piston,
une quantité de vapeur représentant le dixième seulement de celle qu'ils emploient; et, comme elle
fonctionne à haute pression, l'excédant de cette vapeur s'échappe dans un tuyau qui traverse et
échauffe d'autant l'eau du réservoir d'alimentation.
0n comprend qu'une machine ainsi disposée occupe fort peu de place et n'exige qu'une dépense de combustible
très peu considérable, surtout si on la compare à celle des machines ordinaires même les
mieux entendues.
Tels sont, en effet, les avantages constatés par les rapports dont nous avons
parlé plus haut, et dont nous allons citer les passages les plus significatifs. M.
Servel, après avoir
exposé in extenso et appuyé par les chiffres les heureux résultats des expériences
faites sous ses yeux, donne la conclusion suivante :
"Les résultats qui précèdent tendent à prouver que la machine Siemens, de cinq chevaux,
qui a été expérimentée chez M. Farcot, à Saint-Ouen, près Paris, et qui fait l'objet de ce rapport,
est un appareil rendu pratique, facile à conduire, fonctionnant bien.
L'expériences des 8, 9 et 10 juillet constatent que la consommation du
combustible, en marche, est restée telle, qu'elle peut être comparée avantageusement à celle des machines de même force, à détente, condensation et enveloppe de vapeur,
les mieux exécutées, et il est très-probable qu'aucun des mécaniciens qui
construisent ces machines ne voudraient prendre l'engagement de garantir une dépense même un
peu supérieure à celle trouvée par la machine expérimentée, et qui a cela
encore d'offrir sur ses analogues des autres systèmes l'avantage d'occuper peu de place, puisque
le moteur, la chaudière et le fourneau sont groupés et ne forment qu'un
tout très peu encombrant".
De son côté, M. Tresca résume ainsi ses propres observations:
« Durée de l'expérience :7 heures 15'.
« Puissance effective de la machine - 4 chevaux 96.
« Consommation totale du combustible - 70 kilogrammes.
« Consommation totale de l'eau - 359 litres 45 centilitres.
« Consommation de charbon par force de cheval et par heure - 1 kilogramme 95.
« Consommation d'eau par force de cheval et par heure - 10 litres 33 centilitres.
« Il résulte de ces chiffres que la consommation en eau a été notablement
réduite depuis les premières expériences faites à l'exposition, que la consommation de combustible
s'est améliorée dans le même sens, et l'on peut espérer que ces chiffres seront encore plus favorables pour des machines d'une puissance plus grande.
« Les inconvénients résultant de l'emploi des trois cylindres et l'augmentation relative qu'il entraîne dans le volume de la machine, comparés à celui des machines ordinaires, se trouvent donc compensés dans le nouveau système par une diminution sur la dépense
de consommation, qui pourra sans doute être atténuée encore lorsque M. Siemens sera parvenu à dépenser moins de vapeur à l'échappement".
La modification apportée par M. Siemens à l'économie fondamentale de la machine à vapeur est la dernière et la seule, autant
(que nous sachions, qui ait reçu la sanction de l'expérience. Encore son appareil n'a-t-il été jugé applicable, jusqu'à présent, qu'aux
machines fixes. Mais il y a lieu d'espérer que l'inventeur parviendra aussi à l'approprier à l'usage des chemins de fer et des bateaux à vapeur, où elle réalisera, sur les machines actuelles, un progrès fort appréciable au point de vue de l'économie et de la légèreté, ainsi que de la
facilité des manœuvres. Quoi qu'il arrive, au surplus, de cette invention, et
dut-elle avoir le même sort que celles de M. Ericsson, de M. du Tremblay et de
tant d'autres, on ne saurait douter que quelque merveille nouvelle ne soit un
jour ou l'autre engendrée à la suite des efforts que font tant d'esprits
éminents pour arriver à la solution définitive et complète du grand
problème dont le génie de Papin, de Newcommen, de Watt et de leurs successeurs
a déjà si heureusement aplani les première difficultés : développer avec le
moins de frais possibles une quantité de calorique qui se convertisse
immédiatement en une quantité de force sensiblement équivalente. Cette
solution sera certainement la conquête la plus belle et la plus universellement
utile de la science moderne.
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