UN OCÉAN ÉCHOUE À CHATOU

 

 


Sanglage de l'Océan. 2004 Ph.C.D.


Premières impressions ! 2004 Ph.C.D

DANS LE DERNIER NUMÉRO DE LA FAL (N° 26 DE SEPTEMBRE 2004), NOUS ÉVOQUIONS LA DÉCOUVERTE D’UN OCÉAN RÉCUPÉRÉ AVANT SA DISPARITION DÉFINITIVE.
Cette coque nous attendait dans le jardin d’une maison de Vaux-sur-Seine.

LE SAUVETAGE

RENDEZ-VOUS PRIS, une équipe de “déménageurs” se retrouva sur place un samedi matin. La coque reposait sur deux tréteaux, dans un jardin surélevé de quelques mètres par rapport à la rue.
Nous avions pris la précaution de venir avec quelques bastaings et des sangles sur notre remorque. Ceux-ci nous ont été fort utiles pour consolider l’ancêtre avant de le charger sur la remorque. La partie la plus délicate de l’opération consista à descendre le bateau au niveau de la rue. La propriétaire nous a aimablement autorisés à démonter la clôture grillagée du jardin pour faciliter la manoeuvre, qui n’était pas si évidente que cela : le bateau était très fragile, et le terrain très glissant !
Bref, quelques heures après, tout le monde était de retour à l’atelier, et les choses “sérieuses” pouvaient commencer.

Un premier examen sommaire nous apprend deux choses :

  • l’état de pourriture avancée des bois de cette coque nous interdisait de conserver le bateau plus de quelques jours dans l’atelier, pour ne pas risquer de contaminer les autres bateaux de la collection.
  • Il s’agissait d’une coque construite par Wauthelet, constructeur parisien de la fin du 19ème.
    [ Wauthelet était constructeur à la gare d’Ivry en 1863, puis à Paris après 1870.]

Nous décidâmes donc de détruire la coque, après en avoir établi un relevé le plus complet possible.

LE DEVOIR DE MÉMOIRE

NOUS AVONS rapidement procédé à un relevé yolométrique, pour conserver cette forme. Ce fut l’occasion d’entraîner à cette pratique certains de nos membres qui n’étaient pas familiers avec la technique. Une série de photos fut également prise à cette occasion.
Ce relevé a ensuite été exploité pour établir un plan de forme de la coque.

Puis, le bateau a été démantelé par les mains expertes de Guy d’Houilles, qui en a profité pour reporter sur du papier kraft, les principaux éléments de charpente, tels que les varangues et les ponts avant et arrière. La pointe avant ainsi que le tableau arrière ont été conservés en l’état, le reste étant brûlé au fur et à mesure. En combinant le plan de forme, les photos, les relevés grandeur et des dizaines d’heures de travail, nous avons ensuite reconstitué le plan de charpente de notre coque

   

OCÉAN, OCÉAN, EST-CE QUE J’AI UNE TÊTE D’OCÉAN ?

CETTE QUESTION mérite que l’on s’y arrête. Dès la récupération de la coque, nous avons supposé qu’il s’agissait d’un Océan. Mais qu’est-ce qu’un Océan ? Les spécialistes du sujet s’accordent à dire que le terme “Océan” ne désigne pas un bateau en particulier, mais une catégorie de canots à voile :

Océan : Sorte de youyou ou de petit “poste aux choux” de la famille des canots, qui mesure de 3 à 4 mètres de long sur 1 mètre à 1,50 de large. A clins, il se mène aux avirons de couple et à la voile, une brigantine gréée sur une bôme et un mat fixe derrière l’étrave avant. [Thèse de Frédéric Delaive, annexes, page 39 N° 17] Océan : petite embarcation de plaisance fluviale très large et marchant à la voile et à l’aviron et dont la longueur dépasse rarement 5,00 m. Les océans sont le plus souvent gréés en houari et munis d’une dérive centrale. [Larousse, fin du 19ème].


Maupassant en promenade à bord de Madame. 1886. D.R.

La similitude d'étrave est très marqué
 

 

Le terme "Océan", utilisé du milieu à la fin du XIXème siècle, couvre tous les bateaux à voile, avec safran au tableau, utilisés en régate. Ces bateaux sont les descendants des premiers bateaux de lamaneurs importés à Paris au début du XIXème. Le terme naît à Paris au moment où les premières régates occasionnent des spécialités nouvelles, et où les premiers racers (à safrans suspendus) apparaissent. Le terme voyage ensuite jusqu'à Angers et Nantes. Wauthelet est l'un des premiers constructeurs parisiens d’Océan, si ce n'est le premier. [Louis Pillon, correspondance privée]

L’Océan est également décrit dans la revue le Yacht, 10ème volume, année 1887, article intitulé “Océan de promenade, 4m50” : Canot à voile désigné sous le nom d’océan. Petite embarcation convenant à la navigation à un homme seul; est aussi un excellent instrument pour l’instruction. Les sociétés d’Asnières et de la Marne donnent de nombreuses régates d’Océan, mais alors, le type est un peu différent (Cette remarque confirme qu’il existe des variantes dans la famille des océans.NDLR) Comme toute les embarcations à faible tirant d’eau et ouvertes, l’Océan est relativement dangereux par suite de la possibilité de chavirer ou Sanglage de l’Océan. 2004. Ph.C.D. Premières imprssions ! 2004. Ph.C.D. UN OCÉAN ÉCHOUE À CHATOU 9 d’emplir, et sur la Seine ces accidents sont devenus tellement fréquents que les Océans sont tous complétés de boîtes à air. Le grand perfectionnement du yacht de mer n’a pas encore été appliqué à Paris aux océans, et la quille métallique y est encore inconnue, le lest vivant et mobile étant encore le seul usité (La prochaine fois que vous parlerez à un équipier au rappel, traitez le de “lest vivant et mobile”, pour voir…NDLR)

La quille représentée sur notre dessin jointe à l’acculement de la varangue assurerait à cette embarcation une plus grande sécurité, point important dans une embarcation de promenade. Le plan de voilure est établi pour une navigation dans une rivière où les risées et les révolins (Vent qui tourne lorsqu'il rencontre un obstacle) sont fréquents. La navigation dans les eaux bien découvertes permettrait un léger accroissement de la voilure. L’embarcation n’est pas bien entendu une embarcation de mer ni même de rade, et ne saurait être employée comme telle.


Plan de voilure par Chevreux


Plan de charpente par Chevreux

Ces descriptions d’hommes de l’art seraient incomplètes, sans l’avis d’un homme de lettres, amant, épicurien...Bref, un canotier... Guy de Maupassant.

… Un soir, comme je revenais tout seul et assez fatigué, traînant péniblement mon gros bateau, un océan de douze pieds, dont je me servais toujours la nuit, je m'arrêtai quelques secondes pour reprendre haleine auprès de la pointe des roseaux, là-bas, deux cents mètres environ avant le pont du chemin de fer… [“Sur l’eau”, nouvelle de Maupassant. 1881.]

Si les nouvelles de Maupassant racontent nos bateaux, c’est parce que ceux-ci faisaient partie de sa vie. Qu’il s’agisse de promener des amies sur notre Seine, ou d’améliorer ses canots, Monsieur Guy ne s’en laissait pas conter…
On distingue sur la photo les deux paires d’avirons. on notera en particulier la position très avancée du premier banc de nage, puisque Guy de Maupassant est quasiment assis à la pointe du bateau. La position des deux paires de dames de nage est identique sur notre coque. On aperçoit également l’étambrai.

La ressemblance entre les plans donnés dans leYacht, (dessinés par l’architecte naval Chevreux) et ceux de notre bateau est certaine. Les plans du Yacht correspondent probablement à deux bateaux différents. Les échelles donnent une longueur de 4,50m pour celui du plan de forme, et de 4,17m pour celui du plan de voilure, dont les dimensions sont les plus proches du nôtre (4,05m).
Le plan de charpente du Yacht montre une structure à deux bancs contre un seul pour le nôtre, ce qui est compatible avec les différences de longueur.

   

 

ET MA VOILURE

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