EN L’ABSENCE d’éléments matériels
relatifs à la voilure de notre Océan, nous ne pouvons
qu’essayer de deviner quel pouvait être son gréement. Dans
la Revue Le Yacht N°467du 19 février 1887, on peut lire le
compte rendu d’une Course d’Océans montés par un homme
seul (sociétaires) donnée par la société
des voiliers d’Asnières.
Il est dommage que ce compte rendu ne décrive pas les bateaux
engagés. Il nous apprend que cette régate se courait en
solitaire, ce qui ne semble pas avoir été le cas de toutes
les régates d’Océan, comme en témoigne la photo
ci-après, datée de 1881.
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Course d’Océans. 1881. Coll. Sirot-Angel
À l’évidence, cette régate-ci se
court en équipage !
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Entre la voile au tiers, le houari avec et sans foc, et
la voile aurique décrite dans le Yacht, les surfaces de toile
variaient dans des proportions très importantes. Il y a fort
à parier que l’Océan d’un régatier et celui d’un
promeneur n’avaient que peu de chose en commun.
Guy de Maupassant n’était pas qu’un simple utilisateur
des ses bateaux. Il avait également son avis sur leur conception,
comme en témoigne cette lettre :
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“….je t’avouerai même qu’un de mes amis qui est
vice président du cercle de voile a beaucoup ri quand je lui ai
dit qu’on m’avait fait un canot miponté ... dont l’avant ne l’était
pas ! Parle de tout cela au père Beinard et vois s’il ne pourrait
continuer un peu le faux-pont. S’il a l’air de ne pas bien comprendre…
qu’il ne fasse rien plutôt que de gâter l’avant du canot.
Ceci ne seraitil pas bien (2)
[Inscription sur le
passavant : faux pont prolongé].
Cet autre modèle (3) lui donnerait peut-être moins de
mal et serait plus élégant.
Le n°3 représente simplement la prolongation de la courbe dont
nous lui avons parlé ensemble – et qui vient mourir à l’avant.Tâche
qu’il nous fasse cela – Le faux pont devrait s’arrêter à
environ 5 centimètres avant l’avant pour ne pas gêner l’anneau
auquel sera attachée l’ancre. S’il se montre trop récalcitrant
et s’il jure par Crépitus que le canot n’embarquera pas par les
gros temps, n’insiste pas. Il m’a dit que j’aurai de 18 à 20 mètres
de toile ce qui est bien – mais demande lui comment il compte s’y prendre
– le mât selon lui n’aura que 4 mètres, la Beaume 4m,50.
Je procede mathématiquement – Donc hauteur de toile 3,70 multiplié
par 4,40m ce qui donnerait seulement 16m,28 de toile dont je déduis
la partie a – puisque j’avais superposé la voile (illisible je
propose carrée) je n’aurais plus que 13,55m de toile ce qui est
absolument insuffisant il faut comme il l’a dit lui-même environ
18 à 20 m.”
[Notes inscrites en diagonale le long du mât : Longueur
du mat 4m – d° - de la voile – environ 3m,70 – c. adire hauteur du
mat 4m moins la partie b, etc...] |
Course d’Océans. 1881. Coll. Sirot-Angel
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Il s’agit ici, d’une autre variante de canot, mais encore
une fois, la ressemblance est prononcée avec le type décrit
dans le Yacht (double banc) malgré la présence d’un puits
de dérive.
Ce qui nous intéresse dans cette correspondance,
c’est le calcul de la surface de voilure dudit canot. Guy de Maupassant
procède à une approximation.
Il calcule l’aire d’un rectangle de 3,70m de haut par
4,40m de base, de laquelle il soustrait l’aire du triangle noté
“a” sur le dessin. Cela aboutit à une surface de voilure de
13,5m2
qu’il juge notoirement insuffisante, la bonne valeur étant selon
lui et le père Beinard, entre 18 et 20m2.
Le reste de la lettre traite de la possibilité d’ajouter “un
faux pont” ou des fargues pour limiter l’embarquement.
Le plan de voilure donné par le Yacht, correspond
quant à lui à une surface d’environ 13,16m2, tout à
fait proche des 13,55m2 de monsieur Guy.
Pour terminer ce tour de table des gréements d’océan,
nous pouvons également utiliser la photo de nos Océans
en régate.
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ET LA SUITE ?
Si l’on suppose qu’il s’agit d’une coque identique à
la nôtre, c'est-à-dire de 4,05m de long, on obtient très
exactement 4,58m2 pour le foc et 17,54m2 pour la grand-voile, soit
un total de 22,12m2.
Selon le style du propriétaire ou le type de
navigation envisagé, l’on choisira donc :
-
une grand voile aurique de
13,5m2 pour une navigation
très tranquille,
-
une grand voile houari de
17,5m2 pour une navigation
plaisante,
-
la grand voile houari secondée par un foc
de 4,5m2 pour la régate.
Cependant, compte tenu de la diversité passée
des Océans, il est probable que toute autre combinaison manoeuvrable
soit acceptable !
SANS PRÉTENDRE faire de la prospective
de haut vol, il est possible qu’un jour quelques uns d’entre nous
soient tentés pas la reconstruction de ce témoin d’une
époque seulement “presque” disparue.
Le travail de collecte, de recherche et de reconstitution
effectué collectivement autour de cet ancêtre nous l’a
rendu plutôt sympathique, il faut bien le dire. Alors, nous
aussi, jurons par Crépitus qu’après avoir redonné
vie à Suzanne, nous irons vérifier en grandeur si cet
Océan marche mieux avec 22m2 de toile qu’avec
13m2 !
Christophe Dirlik
Relevé yolométrique réalisé
avec J.J. Gardais, P. Poulailler, H. Joseph Teissier, G.Lécuyer,
C. Dirlik, M. Desplat / Sequana.
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