Actualité 
De Loyre en Seyne en bateaux à vapeur

Prologue
Deux jours avant de partir alors que tout était prêt, organisé, vérifié alors que l'enthousiasme était au sommet, un message téléphonique m'avertissait qu'une avarie sur le bief de Montembert avait, sur plus de 9 km., vidé le canal de son eau. C'était le dimanche soir qui précède notre départ. La durée des travaux est prévue pour trois ou quatre semaines. Inutile de préciser que cette information a créé un certain émoi d'autant qu'en ce ce qui concerne la Vigie son transport, pour des contraintes de calendrier, avait été descendue au port de Briare la quinzaine précédente et qu'il fallait la ramener à Paris à tout prix.
Nous avons donc pris connaissance des informations auprès de V.N.F. pour savoir de quel point à quel point, il était impossible de naviguer et à quels points il était possible de sortir le bateau (accès de la grue à la rive et autorisation écrite de l'administration) et éventuellement de le remettre à l'eau pour contourner cette interception. C'est ainsi que nous avons dû en deux jours résoudre les problèmes d'autorisation, de manutention, de transport, et de garage de la remorque dans le temps qui nous était imparti, c'est à dire coïncider avec notre programme initial.
Nous avons donc été obligé de modifier les trois premières journées en ne laissant que le minimum de place à l'improvisation.
Première journée : annulation du parcours Briare—Châtillon-sur-Loire—Ouzouer-sur-Trézée, remplacé par Briare—La Gazonne (13 Km, 12 écluses),
Deuxième journée : substitution du parcours Ouzouer-sur-Trézée—Rogny-les-sept-écluses par La Gazonne—Châtillon-Coligny (15 Km, 12 écluses) pour être à l'écluse de Châtillon le vendredi 5 juin au soir de manière à pouvoir gruter Vigie le samedi 6 matin et la remettre sur sa remorque.
À partir de là, et à l'heure où j'écris ces ligne, on ne savait pas si on ramène Vigie sur sa remorque chez Jean-Jacques Garavoglia à Lorris en attendant le Festival de Loire à Orléans fin septembre, ou si on trouve de quoi la gruter (grue disponible et coût) à l'écluse de d'Amilly pour la remettre à l'eau et reprendre le dimanche 7 notre marche normale. Notre priorité est de mettre Vigie en sécurité.
Voilà la situation telle qu'elle se présentait avant notre départ. 
Les avaries de cette nature (fuite importante) n'arrivent qu'une ou deux fois par décennie. C'est arrivé la semaine dernière. Une fissure s'est formée sur plusieurs mètres vidant le bief en moins de deux heures. Par bonheur aucune inondation n'a été à déplorer.
Après tant d'heures de préparation, de repérage des lieux, de demandes d'autorisation, cette situation est bien regrettable... Nous avons oublié de sonder le fond du canal.
Même pour, les bateaux qui ne nécessitent pas de grutage la situation est critique car hormis Châtillon-Coligny, il n'y a pas de cale de mise à l'eau.


La Loire

À l'origine la Loire qui prend sa source au mont Gerbier de Jonc à 1420 m. d'altitude se dirigeait vers le nord pour rejoindre naturellement la Seine mais un phénomène survenu au milieu du myocène1 l'en détourna pour lui donner son cours actuel.
C'est depuis cette époque que deux bassins distincts, dont les eaux se jettent pour l'un dans l'océan Atlantique et pour l'autre dans la Manche, se sont formés.
C'est précisément à Briare que le cours d'eau de la Loire oblique vers l'ouest et l'éloigne du bassin de la Seine en faveur des Pays de Loire. Une autre Loire prenant sa source à Gien (Loiret) serait le lit originel du fleuve atlantique alors que l'ancien lit de la Loire séquanaise serait le tracé du Loing actuel.
Son bassin occupe une superficie de 117 000 Km2.
De part sa longueur remarquable, sans compter ses nombreux affluents, la Loire apparaît comme "Le chemin de la mer jusqu'au cœur de la France" (René Boylesve).
À forte vocation de transport, la Loire et ses affluents permettent d'écouler les produits naturels ou manufacturés de régions occupant le cinquième de la France et cette vertu n'échappe pas à la vue de la capitale qui aimerait bien en capter une partie
C'est ainsi que depuis la nuit des temps, le rapprochement des deux fleuves a été une préoccupation économique et politique sans cesse renouvelée.


Bassin hydrographique de la Loire (Wikipédia)

Bassin hydrographique de la Seine (Wikipédia)

C'est la construction du canal de Briare, puis celle du Loing qui vont réunir les deux fleuves aux caractères bien différents. Mais plus que deux fleuves, ce sont deux marines, deux cultures batelières bien trempées, deux traditions à en en croire les nombreux musées évoquant le vie et les activités de chacun des fleuves.

Quelques musées de la batelerie

En Seine

 

En Loire

Le canal de Briare, lien entre les deux fleuves

Photo Pierrick RoynardLe canal de Briare dit aussi "Canal Henri IV" participait dans l'esprit du roi Henri IV et de son ministre Sully au redressement du pays ruiné après vingt cinq années de guerre civile2. Pour relancer l'agriculture, le commerce et l'industrie il fallait des moyens de communication modernes mettant la capitale à portée des approvisionnements dont elle avait besoin. Ainsi la capitale, dont la population au début du XVIIème Siècle s'élevait à 400 000 habitants, serait protégée des famines qui entraînent des risques de soulèvement populaire.
Une des voies de communication majeures est la réunion des deux grands fleuves de France qui permettrait de développer un immense réseau couvrant une grande partie du royaume3. En réunissant les deux bassins, les produits du Val de Loire peuvent suppléer aux blés de la Beauce, aux vins de l'Auxerrois et aux bois du Morvan.
C'est Hugues Cosnier hydraulicien tourangeau, qui à l'extinction de la chandelle, remporte l'adjudication des travaux. Il commence les travaux du "canal de Loyre en Seyne" en 1605, mais emporté par une maladie en 1629 il ne verra pas l'ouverture du canal qui a lieu 1642. Canal dit de "partage des eaux" l'ouvrage fait appel à une échelle d'écluses à Rogny-les-Sept Écluses qui aligne une série d'écluses jointives rattrapant un dénivelé de 24 m. Deux autres échelles existent au Moulin Brûlé (5 sas) à Dammarie-sur-Loing et et au Chesnoy (3 sas).
Après d'autres tentatives infructueuses de reprise, les travaux, reprirent en 1638 avec Antoine Coëffier de Ruzé d'Effiat, ami de Richelieu et le Sieur Cosnier mais ces travaux furent à nouveau interrompus à cause de leur décès respectif. Il ne manquait alors qu'une dizaine de kilomètres pour atteindre Montargis.
En 1638, François et Guillaume Boutheroüe-Desmarais créèrent la « Compagnie des Seigneurs du canal de Loyre en Seine » et achevèrent les travaux en septembre 1642. 

Une des particularités de ce canal est le bief de partage des eaux. En effet réunissant deux bassins contigus, un bief de partage a du être construit par lequel se fait l'alimentation en eau par captation des eaux d'étangs situés plus en amont. Pour accroître cette alimentation une usine élévatoire fut édifiée à Briare en 1895 pour refouler l'eau de la Loire 45 m. plus haut.

Long de 54 Km. avec ses 41 écluses, le canal de Briare est au gabarit Freycinet et offre un tirant d'eau de 1,80 m. pour un tirant d'air de 3,50 m.

Briare
Briare ou Briare-le-Canal serait un patronyme justifié parce que la ville ne possède pas un canal mais trois.
Outre le "Canal de Loyre en Seyne", la ville reçoit en 1838, en amont de son écluse de Baraban, le canal latéral à la Loire qui descend de Digoin.
De l'autre côté du Fleuve atteignable par un chenal créé l'écluse de Mantelot à Châtillon-sur-Loire et sa gare d'eau où autrefois les bateaux attendaient le halage par cheval puis le touage pour traverser le fleuve.
Puis, en 1896, est construite une nouvelle branche du canal latéral qui traverse le fleuve par le Pont-canal de Briare ouvert en 1896 sur une longueur de 662,69 m. Cette nouvelle branche du canal latéral à la Loire reçoit le surnom de « nouveau canal » ou « canal neuf ». Le pont-canal est l'œuvre de la Société Eiffel pour la structure maçonnée et de l'entreprise Daylé & Pillé pour l'ossature métallique. Cette dernière repose sur 14 piles en maçonnerie et comprend 15 travées de 40 m. chacune. Sa largeur totale est de 11 m. et la largeur navigable de 6 m. Son tirant d'eau de 2,20 m.
Les pilastres d'angle ont été dessinés par l'ingénieur en chef Mazoyer.

Le pont canal remplace l'ancienne traversée de la Loire que devait effectuer les embarcations venues de Digoin et voulant accéder au canal de Briare. Sa construction s'étala de 1890 à 1896 et est due aux ingénieurs Léonce-Abel Mazoyer et Charles Sigault. Mazoyer était alors chargé de la mise au gabarit Freycinet de toute la ligne fluviale Roanne—Briare et d'une partie du canal du Nivernais, ainsi que le pont-canal de Briare qui s'inscrivait dans ce programme. Gustave Eiffel construisit les piles et culées en maçonnerie qui supportent la cuvette métallique, fabriquée par l’entreprise Daydé & Pillé4 de Creil.
Les chimères et les lampadaires sortent des Fonderies Magnard et Compagnie de Fourchambault et des forges de L. Gasne dans la Meuse.
Le pont du chemin de fer édifié lors de la construction de la ligne Paris—Nevers (1850).
Si Briare est réputée pour des émaux de renommée mondiale, ici, c'est la fabrique de bouton qui figure sur ce cliché du début XXème.
Le Briare du XIXème  n'avait rien de commun avec celui d'aujourd'hui. Briare était une ville industrielle et les voies d'eau n'étaient que des voies de communication pour acheminer le charbon et les expédier les produits finis.

Le canal de Briare, comme celui d'Orléans ou du Loing était autrefois parcouru par de gabares, sapines, salambardes et autres chalands qui transportaient des marchandises diverses : vins, céréales, engrais, bois & charbon et autres. Au XVIIIème S. un coche d'eau reliait la capitale en cinq jours. Un siècle plus tard ce sont les péniches motorisées qui assurent le transport des marchandises et aujourd'hui les canaux sont parcourus par les bateaux de plaisance, house boat, quillard et bateaux mouche, à la vitesse autorisée de 6 Km/h.
La fonction des canaux est pérennisée et les chemins de halages sont devenus le paradis des promeneurs.
Les berges connaissent des haltes et même des ports dans lesquels une animation grandissante voit naître d'autres activités comme le tourisme.
Oui le canal est bien vivant ! Il se mérite comme un instant de bonheur.

   

   


La passerelle du Rialto.

Les nombreuses passerelles ont été construites par J.F. Bapterosse, fondateur de la Manufacture de boutons dans le but de faciliter à ses nombreux ouvriers d'accéder plus rapidement à leur lieu de travail.

 


 


Équipage
Vigie: Marc André Dubout, Jean-Jack Gardais, Pierrick Roynard
Équipage Père tranquille : Jean-Jacques Garavoglia
Équipage Woodbine : Françoise et Joël Druel

Mercredi 3 juin départ 4h30 de Rueil pour rejoindre Jean-Jacques à Lorris (45). Objectif, acheminer le "Manitou" et la remorque vide à l'écluse n° 24 de Châtillon-Coligny pour assurer la sortie de l'eau de Vigie samedi 6 juin. Départ de cette expédition à 7 heures, 40 km. à parcourir avec le Manitou à la vitesse de 20-25 Km/h. suivi du camion avec la remorque de Vigie. Moins de deux heures plus tard nous arrivons à l'écluse n° 24 de Châtillon (1886) où une darse desservant des silos possède un quai adéquat pour recevoir les béquilles de l'engin qui assurera la manutention dans quelques jours. 

Nous verrouillons la remorque avec des chaînes puis Jean-Jacques pose le bras du Manitou sur le ber de façon à éviter le déplacement malencontreux de la remorque.

Suit une petite visite de courtoisie à l'Office de Tourisme de Châtillon-Coligny pour saluer M. Michel Bonneau qui nous a averti de l'incident sur le canal et le remercier de nous avoir prévenu.

Nous en profitons pour jeter un coup d'œil sur la machine à vapeur Dujardin n°671 de 1906 qui a servi dans une distillerie du Gâtinais.

Puis retour à Lorris pour charger les sacs de bois, prendre "Père tranquille" et nous reprenons la route en direction du port de plaisance de Briare pour mettre le bateau à l'eau.
Nous nous dirigeons vers le ponton où la Vigie est amarrée. 

Au retour nous passons par Montbouy qui se situe sur le bief accidenté du canal (bief de Marolle). Il ne reste que peu d'eau dans cette partie vidée. 
Entre temps nous avions demandé à V.N.F. les lieux idoines pour sortir et remettre à l'eau les bateaux, sans quoi l'aventure s'arrêtait là.
À notre retour l'autorisation de V.N.F. de circuler temporairement sur le chemin de contre-halage, rive gauche du canal de Briare, bief de la Marolle, sur la commune d'Amilly, dans sa section allant du PK 48,670 (ancien poste des essences) au PK 48,855 (rue de la Tuillerie) pour la remise à l'eau de trois embarcations, dans le secteur enclavé avec le chariot élévateur de 8 tonnes de PRT
La présente autorisation en poche, tout nos espoirs étaient permis pour accomplir la mission que nous nous étions donnée.

Je passe un moment à vérifier la machine, serrage des boulons, visualisation des parties mobiles, graissage, etc.
Quelques heures plus tard Joël et Françoise nous rejoindront avec Woodbine. Cette deuxième mise à l'eau effectuée, le bateau également amarré, nous attendrons Jean-Jack et Pierrick les deux autres membres d'équipage de Vigie. Les retrouvailles se feront devant une bière fraîche d'un caboulot de Briare.
Luc nous rejoint au Musée "Des deux Marines" de Briare que nous visitons avec grand intérêt. 

Le Musée des deux Marines

 

150603_042.jpg (24822 octets)La soirée se passera à l'auberge du Canal, près du Pont-canal. Avant de retrouver nos couches sur le ponton du port nous traverserons le pont canal illuminé.
Vue en direction de Châtilllon-sur-Loire.
Et la nuit tombera dans une douce chaleur sur la Loire paisible.

 

Notes :

  • 1 Miocène (± 4,477 à 4,495 Ga, -23,030 à -5,332 Ma, D = 17,698 Ma) est caractérisé par la mise en place des continents et principalement par la séparation des Amériques du Nord et du Sud. En Europe, c'est l'époque de la formation des montagnes jeunes (les Alpes) qui modela le paysage que nous connaissons et ses grands bassins fluviaux. 
  • 2 Les guerres de religion opposant catholiques et protestants ont ruiné à huit reprises le royaume de France. En 1598, l'Édit de Nantes promulgué par Henri IV met un terme à cette guerre en accordant des droits de culte, des droits civils et des droits politiques aux protestants. 
  • 3 La Navarre, royaume médiéval fondé en 824 par les Vascons, est rattachée au royaume de France en 1589 sous le règne d'Henri IV, "Roi de France et de Navarre".
  • 4 On doit à l'entreprise Daydé & Pillé plusieurs constructions de ponts, viaducs ferroviaires et autres armatures métalliques :

    pont Mirabeau à Paris (1896)
    pont-canal de Briare (1896)
    gare Saint-Jean à Bordeaux (1898)
    le Grand Palais à Paris (1900)
    les ponts métalliques de la ligne Saint-Gervais - Vallorcine (1900)
    le Viaduc de Passy, renommé ultérieurement pont de Bir-Hakeim à Paris (1905)
    le Pont Notre
    Dame à Paris (1914)
    le Pont Daydé, de l'île Seguin à Boulogne-Billancourt (1928)
    le Pont de Neuilly (1942)
    et plus récemment le Pont de Tancarville (1959)

  • 5 Il n'était pas rare que les hommes de troupe participent aux percements de canaux ou autres grands travaux .

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