Nos écrits de février 2023

A VICTOIRE

Nos portes sont maintenant grandes ouvertes.
C’est presque irréel. Réapprendre à sortir sans contrainte, à fouler le sol sans surveiller sa montre.
Cela prendra du temps forcément.
Il faut aussi dé-calculer la distance de sécurité entre moi et toi, entre moi et moi, oser frôler de nouveau les mains et rechercher les regards qui fuyaient.
Il faut dire qu’on nous a bien rééduqués à nous dire comment se parler sans se parler, comment se supporter à dix dans neuf mètres carrés, comment ne plus s’écouter pour éviter de s’entretuer, comment prendre la revanche sur son boulanger.
Les supposées solutions à nos problèmes fabriqués de toutes pièces me sautent à la gorge.
Oui, il y a urgence à mettre de la distance entre moi et mon écran.
Ma préoccupation première, mon expédition spontanée n’est pas de me rendre au restaurant ou chez le coiffeur.
Non, après une overdose d’informations culturelles virtuelles, parfois jusqu’au gavage, je me précipite au musée du Louvre. Et c’est comme je le pensais, il est quasiment désert. Il faut croire que l’information par écran interposé n’est pas totalement digérée.
En haut de l’escalier principal, Elle trône, magnifique, la Victoire de Samothrace.
Vous, Madame, qui avez traversé les siècles, les guerres, les famines, voilà qu’une nouvelle catastrophe atteint le monde. C’est un autre mot nouveau qui nous arrive, après le tsunami.
Mais qui est-il cet ennemi ? Un minus virus, semble-t-il, mais qui sait faire plier les grands et appauvrir les pauvres. La puissance ne serait donc plus l’apanage des géants de ce monde ?
Il faut croire que nous avions pris nos aises.
Est-ce une punition ? Une malédiction ? Une vengeance de dieux invisibles ? Un rappel à davantage d’humilité ?
A quels saints se vouer désormais ?
Impuissante face à de tels questionnements, c’est à vous, Victoire, que je m’adresse, les yeux dans les yeux. Et vous avez le bras long, m’a-t-on dit.
Je fouille dans les interstices de votre robe. Vous avez la sagesse que nous n’avons plus.
Oui vous, Madame, en résumé, quelle est donc votre opinion à ce sujet ?

Cécile Even

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