Nos écrits d'octobre 2022
LE METRO
C’était comme un vendredi habituel. Je m’étais préparée, toute pimpante
et guillerette pour aller à l’émission de radio. J’étais impatiente de
retrouver Georges dans notre petit restaurant attitré. Nous échangions
sur le calendrier culturel de l’émission, si tout était au point, nos
impressions sur l’actualité, nos dernières lectures et notre prochain
invité. Un moment de calme, de convivialité, de bonheur. Sans oublier
André, le serveur, un sacré personnage à lui tout seul, qui n’avait pas
la langue dans sa poche, un vrai titi parisien, avec sa gouaille, mais
toujours aimable, serviable et un petit mot approprié à chacun de ses
clients. D’ailleurs tout le monde l’appréciait et lui donnait la
réplique.
J’allais donc d’un pas déterminé prendre mon RER direction Paris.
Il faisait doux, je ressentais sur mon visage la chaleur des premiers
rayons du soleil. Le printemps était enfin arrivé. Comme c’était
agréable, j’étais plongée dans mes pensées et en même temps éblouie par
les cerisiers du Japon qui étaient en fleurs, quelle merveille !
Vraiment une belle journée qui s’annonçait. Il était 13H30. J’étais en
tête du quai pour avoir tout de suite la correspondance. Dans le RER,
pas trop de monde et je trouvais facilement une place assise. A Auber je
me dirigeais vers la ligne 7 du métro, direction La Courneuve pour
descendre à la station Louis Blanc. Là par contre beaucoup de gens, du
brouhaha, de la vie.... Cette ligne est la quatrième plus fréquentée du
réseau métropolitain, 136 millions de voyageurs en 2018 (ligne 7 bis
incluse) ce n’est pas rien. C'est également une des plus longues avec
vingt-deux kilomètres et comptant le plus grand nombre de stations,
exæquo avec la ligne 8. Bref une ligne bien sollicitée… Je poursuivais
mon périple et descendais à la station Louis Blanc pour prendre la 7bis.
Particularité de cette ligne, elle forme une boucle et c’est après la
ligne 3bis, la ligne la plus courte. Elle mesure 3,066Km pour 8
stations. Changement de quai, j’attendais le métro. Les informations
données par la RATP se vérifiaient. L’atmosphère était bien différente,
moins d’agitation, moins de bruit, ambiance plus feutrée et public plus
discret, plus effacé. De plus il n’y avait pas beaucoup de lumière et
des courants d’air. Tout était réuni pour plomber l’ambiance. Donc ce
n’était pas très gai et je dirais même un peu lugubre. Ma foi, je
patientais tout comme le peu de personnes présentes. Je m’aperçus même
en y regardant de plus près, qu’il n’y avait que 6 personnes sur le
quai. Cela confirmait bien le manque de fréquentation de cette ligne.
Pas très rassurante cette situation. De plus, toutes ces personnes
avaient l’air perdu dans leurs pensées, isolées, un peu bizarres. Il y
en avait même une, qui recroquevillée sur elle-même, maugréait une suite
de mots incompréhensibles. Un homme un peu plus loin tournait en rond,
en agitant son chapeau. Les quatre autres avaient un teint grisâtre, ils
ne semblaient pas respirer la santé. Plus je les observais, plus ils me
déplaisaient et me faisaient un peu peur. J’avais trop d’imagination, il
fallait que je me calme et que je fasse taire ces pensées négatives qui
m’assaillaient.
Ouf ! Le métro arrive, tant mieux, c’est une bonne chose. Je regarde
vers quel wagon les autres se dirigent afin de les éviter. Trois montent
avec moi. Le métro démarre. Il y a neuf stations : Louis Blanc, Jaurès,
Bolivar, Buttes Chaumont, Botzaris, Place des fêtes, Pré Saint- Gervais
avant Danube, fin de mon parcours. Mince, panne de courant à Buttes
Chaumont, aucune information du conducteur, décidemment… J’étais en
train de lire, je relève la tête, je m’aperçois qu’il n’y a plus qu’une
personne avec moi dans le wagon. Les minutes s’égrènent, enfin nous
repartons. Puis nous arrivons enfin à Danube. Je suis seule dans
le wagon, je ressens une petite pointe d’angoisse. C’est peut-être la
ligne la plus courte mais elle me paraît interminable avec toute cette
pression accumulée. Je vais enfin pouvoir sortir à l’air libre. Mais
incroyable, le métro ne s’arrête pas. Il continue sa boucle sans
stopper, inlassablement. Je crois rêver, c’est impossible. Je me pince
le bras avec force jusqu’à me faire violence. Je tente de me raisonner.
C’est une farce du conducteur ou un problème mécanique. Il va y avoir
une annonce. Non, rien du tout….Alors je vais pour tirer le signal
d’alarme, tout est décroché, impossible de communiquer, également mon
téléphone ne capte plus. Je commence vraiment à prendre peur. Les
stations suivantes, je m’élance vers la porte pour tenter de l’ouvrir
mais c’est ridicule et en même temps effrayant. A travers la
vitre, je vois les visages des personnes sur les quais qui s’approchent
de la rame. Ils sont comme ahuris, ils grimacent et tendent leurs bras
vers moi. Je n’ai pas l’impression qu’ils veulent m’aider. C’est
étrange, même malsain. Je me demande si je ne suis pas en train d’avoir
des hallucinations. Je vis un véritable cauchemar.
Mais comment vais-je m’en sortir ? Je suis prise dans un piège sans
issue. Je n’ai même pas le temps de réfléchir à une solution que les
wagons se mettent à tanguer dangereusement à cause de la vitesse qui
s’accélère de plus en plus…incontrôlable. C’est de la folie. La rame de
métro va dérailler. Tout bouge avec fracas, la ferraille, les
banquettes, moi ballotée dans tous les sens. Je tente de me protéger
mais en vain. Je suis terrorisée. J’ai mal au cœur, je ressens des
palpitations, je vais vomir. Je tombe par terre et ma tête heurte le
sol. Je suis complétement KO. Et dans un sursaut, la dernière chose qui
me vient à l’esprit est le drame qui a eu lieu le 11 mars 1918 et qui a
fait soixante-six victimes lors d’un violent bombardement. La foule
prise de panique s’est écrasée sur les portes d’accès bloquées vers
l’intérieur de la station Bolivar alors aménagée en abri-anti-aérien.
Puis je me sens aspirée dans une spirale qui n’en finit pas et je
m’évanouis. C’est le trou noir !
Je reprends connaissance, je ne sais pas au bout de combien de
temps. Il me semble que cela fait une éternité. J’ai très mal à la tête
et un peu de sang sur mon manteau qui est plutôt abîmé, même plus
qu’abîmé, en lambeaux ainsi que mes autres vêtements. Je tâte mon front,
je sens une blessure pas trop profonde d’ailleurs, que je vois se
refléter ainsi que moi-même. Où suis-je ? Je regarde autour de moi et
quelle stupéfaction ! Je suis enfermée dans un coquillage, assise en
tailleur sur ses spirales. Comment ai-je pu échouer là ? J’écarquille
les yeux, épouvantée, la bouche grande ouverte. Et en même temps, je
suis subjuguée par la grande beauté de ce coquillage avec ses spirales
et sa forme parfaite. On dirait « Un Nautilus », un trésor caché au fond
des océans. Ce fut la dernière chose que je vis avant que ma vision
s’obscurcisse définitivement.
NICOLE ROBERT 11/04/22