Le Chemin de fer de l'Exposition universelle de 1889
Concours ouvert pour la construction et l'exploitation du chemin de fer de visiteurs
Marc André Dubout
1. Ouverture du
concours
L'étendue considérable des espaces affectés à l'Exposition de 1889
rendait nécessaire l'établissement d'une voie ferrée, pour le transport des
visiteurs entre les diverses parties de l'enceinte.
En 1887, un concours fut ouvert pour la construction et l'exploitation de la
voie ferrée du "Chemin de fer intérieur".
Il
s'agissait alors d'un chemin de fer partant de l'angle de la rue de Constantine
et du quai d'Orsay, suivant ce quai, traversant à niveau le Champ de Mars,
longeant l'avenue de Suffren et l'École militaire, empruntant, mais avec un
tracé aérien, la partie de l'avenue de La Motte-Picquet comprise entre le
Champ de Mars et l'esplanade des Invalides, contournant l'esplanade près de
l'Hôtel des Invalides et le long de la rue de Constantine, revenant ainsi à
son point de départ et formant par suite un circuit complet. C'eût été un
chemin de fer de ceinture.
Le concours n'a pas abouti.
Trois concurrents formulèrent des propositions.
Une Commission de seize membres, à laquelle étaient adjoints avec voix
consultatives les trois directeurs généraux1
et le chef du service mécanique et électrique, fut constituée pour le
jugement des projets.
Diverses circonstances empêchèrent l'administration de donner suite à ces
trois projets que la Commission avait placé en première ligne.
2. Concession à MM.
Gaillot et Gallotti
La
Direction générale des travaux reprit l'étude de la question sur de nouvelles
bases. Elle renonça, avec raison, au circuit fermé qui
n'était nullement nécessaire et qui eût présenté le double inconvénient de
comporter une dépense considérable et d'entraver la circulation dans l'avenue
de la Motte-Picquet. D'après le projet auquel elle s'arrêta définitivement,
le chemin de fer partait de l'angle de la rue de Constantine et du quai
d'Orsay, suivait ce quai, passait à la base du Champ de Mars, longeait l'avenue
de Suffren et avait son terminus près du Palais des machines.
Un cahier des charges fut dressé en vue d'une adjudication restreinte.
Ce cahier des charges définissait soigneusement le tracé, imposait la double
voie sur tout le parcours, assignait à l'écartement des rails la limite
maximum de 1 mètre et la limite minimum de 0 m.60, et prescrivait, tant pour la
construction que pour l'exploitation, toutes les mesures propres à faciliter la
visite de l'Exposition, à assurer la sécurité publique et à sauvegarder les
intérêts de la circulation sur les avenues, boulevards ou rues traversées,
tout en réduisant les dépenses à ce qui était indispensable. Le
concessionnaire ne recevait ni subvention, ni garantie ; il assumait
complètement les charges de l'opération et s'en rémunérait par la perception
d'une taxe de 0 fr.25. pour chaque voyageur transporté, entre deux points
quelconques de la ligne ; L'administration de l'Exposition prélevait, à titre
de redevance, une quote-part de la recette et c'était sur le taux de cette
redevance que portait l'adjudication.
Seuls MM. Gaillot et Gallotti acceptèrent les conditions fixées par
l'administration ; ils ne consentirent d'ailleurs qu'une redevance pour ainsi
dire nominale de 0 fr.10 par 100 francs de recette.
La concession leur fut accordée par arrêté du ministre du commerce et de
l'industrie, en date du 19 juillet 1888.
3. Concession entre
MM. Gaillot et Gallotti, d'une part, et de M. Decauville, d'autre part
Au terme d'un traité du 9 novembre 1888, approuvé le 25 du même mois par
le ministre, MM. A. Gaillot et P. Gallotti transmirent à la Société
Decauville Aîné une partie de leur entreprise.
Les bailleurs fournissaient gratuitement la plate-forme, non compris les
bâtiments des gares et haltes, qui étaient fait à frais communs avec le
preneur. Celui-ci faisait la superstructure et assurait l'exploitation avec du
matériel lui appartenant et entretenu par ses soins ; toutefois les bailleurs
devaient supporter pour moitié les dépenses de personnel, celles d'achat de
combustible, les indemnités d'accident, la redevance due à l'administration.
MM. Gaillot et Gallotti d'une part, et la Société Decauville, d'autre part,
percevaient en communauté les recettes afférentes au transport des voyageurs,
à la publicité dans les gares ou haltes, dans les voitures et sur les
clôtures, aux produits des restaurants et débits, à la revente des gares,
haltes et abris.
4. Construction
À partir de son point d'origine, près du Palais de l'Algérie, la ligne
traversait à niveau l'esplanade des Invalides, suivait la contre-allée du quai
d'Orsay entre deux rangées d'arbres voisines des maisons, franchissait (encore
à niveau) le boulevard de La Tour-Maubourg, entrait en tranchée à 90
mètres de l'axe du pont de l'Alma, passait le carrefour Rapp sous un pont de 20
mètres de longueur, regagnait par une tranchée de 78 mètres le niveau de la
contre-allée, continuait à suivre le quai, traversait à niveau l'avenue de La
Bourdonnais, près de laquelle elle se reliait à la voie du dépôt,
présentait une nouvelle tranchée de 196 mètres pour le passage de l'avenue du
pont de Iéna qu'elle franchissait en tunnel sur 40 mètres, arrivait à la
chaussée de l'avenue de Suffren, puis en empruntait le trottoir convenablement
élargi jusqu'au terminus du Palais des machines.
Les ouvrages d'art consistaient en un pont sous le carrefour Rapp et en un
tunnel près du pont d'Iéna.
Au carrefour Rapp, il fallut tout à la fois relever de 1 m. 50 le
niveau de la chaussée et écrêter l'égout collecteur sur une hauteur de
1m. 20, ce qui du reste laissait encore 2 mètres pour le passage des
ouvriers et des wagonnets dans cet égout. Le pont était en charpente ; la
voûte de l'égout était remplacée par un plancher, partie en rails jointifs
de 30 kilogrammes sous les voies, partie en madriers sous l'entrevoie et les
accotements, le tout recouvert de ballast : la tranchée aux abords avait des
parois verticales, solidement maintenues par des blindages en bois.
Près du pont d'Iéna, des dispositions analogues furent adoptées pour le
tunnel et les tranchées aux abords ; mais comme il n'y avait pas d'égout à
franchir, on put abaisser les rails et ne pas modifier le relief de la
chaussée.
La circulation publique put être ainsi préservée de tout perturbation
sérieuse, aux points où elle était le plus active et où il importait de ne
point l'entraver.
Le profil assez accidenté, comportait des pentes de 0. 025 et même de 0. 0287.
Le rayon des courbes descendait à 30 mètres en pleine voie. Il existait une
courbe de 43 mètres de rayon faisant le quart de cercle complet.
L'une des sections les plus difficiles du tracé était située immédiatement
au delà de l'avenue de La Bourdonnais ; elle comportait une courbe et
contre-courbe de 30 mètres de rayon, sans alignement droit intercalé, à
cheval sur deux rampes fort prononcées.
Les voies, de 0m. 60 d'écartement, étaient formées de rails en acier pesant 9
Kilogr. 500 par mètre courant et rivés sur des traverses également en acier ;
ces traverses affectaient la forme d'un U renversé et avaient leurs abouts
fermés au marteau-pilon, de manière à mieux résister au glissement dans le
ballast. Chaque élément de voie, long de 5 mètres, comportait huit traverses.
Entre les stations extrêmes étaient échelonnées trois haltes : la première
dite de l'Agriculture, près des rues Jean
Nicot et Malar ; la seconde dite de l'Alimentation,
à mi-chemin entre le carrefour Rapp et l'avenue de La Bourdonnais, la
troisième, dite de la Tour Eiffel, près du
pont d'Iéna.
Des dispositions bien étudiées avaient été prises pour assurer l'ordre et la
méthode dans l'embarquement et le débarquement des voyageurs.
Le chemin de fer était pourvu de clôtures.
La ligne offrait deux types de signaux ; les uns à la main, les autres
électriques. Les signaux à la main étaient de simples disques commandés par
des leviers et des fils de transmission. Les signaux électriques, du système
Baillehache
5. Matériel roulant
Les machines en service étaient au nombre de neuf, la plupart du système
Mallet-Compound, articulées à quatre essieux. Elles s'inscrivaient dans des
courbes de 20 mètres de rayon. Leur poids ne dépassait pas 9 tonnes à vide et
12 tonnes en ordre de marche. Leurs chaudières étaient timbrées à 12
kilogrammes et les valves d'admission dans les grands cylindres à 6
kilogrammes. D'après une déclaration de la Société
Decauville, elles étaient susceptibles de remorquer 280 tonnes en palier et
alignement droit ; dans le service de l'exposition, elles ont traîné non
compris leur propre poids 50 tonnes, dont 23 tonnes de matériel et 27 tonnes de
voyageurs.
Il y avait 49 voitures en service, correspondant à 7 rames de train et se
décomposant ainsi : 4 voitures de luxe fermées à deux essieux de 20 places ;
7 voitures de luxe ouvertes, montées sur deux bogies, d'une longueur de 9 m.
25, d'un poids de 3 tonnes et d'une contenance de 56 places ; 38 voitures
analogues de 2ème classe.
Un dépôt avec remise à locomotives, fosse de réparation, atelier, magasin,
bureau, etc., avait été établi sur un terrain mis à la disposition de
l'exposition par la Ville de Paris, dans l'angle du quai d'Orsay et de l'avenue
de La Bourdonnais.
6.
Exploitation
La pose de voie a été achevée le 1er mai entre l'esplanade des
Invalides et la tour Eiffel, et le 15 juin, entre tour Eiffel et le Palais des
machines.
L'exploitation était dirigée par un ingénieur en chef.
Le nombre total des agents a varié de 278 à 285, pour le minimum de 278, il se
décomposait ainsi :
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Le
mouvement des trains a atteint 298 par jour. Chaque train, composé d'une
voiture de luxe fermée, d'une voiture de luxe ouverte et de cinq voitures
ordinaires, représentait 356 places.
Il fallait douze minutes pour franchir le distance totale de l'esplanade des
Invalides au Palais des machines.
Tableau des principaux chiffres relatifs au trafic, tels qu'ils ont été
fournis par les concessionnaires :
Malgré
l'intensité de la circulation, il ne s'est produit qu'un accident imputable à
l'inobservation des règlements.
La consommation moyenne de combustible a été de 4 kilogr. 24 et le prix de
revient kilométrique des trains de 5 fr. 90.
7. Résultat
financier
Les dépenses d'établissement et la valeur du matériel fixe ou roulant
peuvent s'évaluer ainsi :
Dépenses
en travaux (pose de la voie, signaux, bâtiments, clôture) : Valeur du matériel fixe (voie aiguillages, signaux, etc.) : Valeur du matériel roulant : frais de remise en état des lieux : Total : |
300
000 fr. 109 000 fr. 348 000 fr. 50 000 fr. 807 000 fr. |
Quant aux dépenses et aux recettes d'exploitation, elles ont été les suivantes :
Notes
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Source :
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