Le carnet du CFC

La cannonière Farcy à l'Exposition universelle de 1889

MAD

Eugène Farcy, officier de Marine inventeur des canonnières

Eugène Farcy est un officier de Marine et homme politique français né le 19 mars 1830 à Passy (Seine) et décédé le 26 février 1910 à Paris.
Embarqué à 9 ans sur un navire-école, il fait le tour du monde. Classé 49ème, il entre à l'École navale en 1845 et fait une carrière maritime banale. Il est lieutenant de vaisseau en 1859 et capitaine de frégate en 1873, au moment de prendre sa retraite. Ce n'est pas sa carrière de marin qui fait de lui un homme remarquable, mais plutôt son goût de la mécanique. En effet, on gardera de lui le souvenir de nombreuses inventions dans différents domaines de la construction navale. En 1869, il invente une canonnière qui porte son nom et dont deux exemplaires seront utilisés sur la Seine au cours de la guerre de 70 puis en Indochine.
Après avoir été élu député de Paris, Eugène Farcy meurt le 26 février 1910.

La canonnière Farcy est mise en chantier en 1869 sur ordre de Napoléon III. Construite à St Denis en 5 semaines par les ateliers Claparède1, elle ne coûte que 25.000 francs. C'est un affût flottant de 15 m. sur 4m,60, elle déplace 44 tonneaux et a un tirant d'eau d’un mètre, ce qui lui permet de passer au dessus des torpilles ennemies, et de toucher la côte à peu près partout. Naviguant sans roulis ni tangage, elle est rendue insubmersible par des caissons étanches. Son avant est armé d’un éperon. Sa vitesse est de 6,5 nœuds, ses deux machines développent 40 chevaux et actionnent deux hélices dont l’une permet de tourner sur place. Son artillerie consiste en un canon de 240, lançant des obus de 100 kgs. Il est muni d’un système de frein qui limite son recul à 40 cm. L’équipage est de dix hommes dont le commandant.
Cette canonnière résoudra l’important problème de la défense et de l’attaque dans les rades et rivières.
En 1870 survint la guerre contre la Prusse, Eugène Farcy obtint que sa canonnière participe aux combats. Elle est alors rattachée à la flottille de la Seine, qui comprend le yatch Puebla et huit autres unités.
En septembre 70, la flottille remonte la Seine et tire tout ce qu’elle peut sur l’ennemi à Sèvres et à Meudon. En novembre, six canonnières sont désarmées et livrent leurs canons aux batteries des forts. Il en reste trois, dont la Farcy qui causent de lourdes pertes aux Prussiens sur la Seine, à St Denis, à Choisy-le-Roi et sur la Marne à Champigny. Le 15 décembre, elles sont prises dans les glaces le long de l’Ile aux Cygnes, où les Parisiens viennent les admirer. En mai 1871, une nouvelle flottille de la Seine reprend le combat contre les Fédérés à partir de Rueil. Elle est rejointe par la seconde Farcy, baptisée la Mitrailleuse. La flottille remonte la Seine jusqu’à Bercy, où trois marins sont tués. Le 28 mai la Commune est vaincue.
Entre temps le lieutenant de Vaisseau Farcy a été élu député du 15ème arrondissement, il siège à gauche de l’Assemblée.

La canonnière Farcy à l'Exposition universelle de 1889

Dans la revue La Nature n°691 du 28 août 1986 un article présente la nouvelle canonnière Farcy qui a succédé aux précédents, ne se différenciant que ses dimensions, son artillerie et son aménagement. Sa forme est remarquable par son étrave semblable à celle des torpilleurs de l'époque. Cette nouvelle canonnière à une longueur de 20,50 m., 5 m. au maître bau et un tirant d'eau de seulement 60 cm. pour un déplacement de 29 tonneaux.
Les machines à vapeur au nombre de deux sont du type pilon et ont une puissance de 40 chevaux. Elles sont indépendantes et alimentées par une chaudière timbrée à 9 bars. Leur rotation est de 500 t/mn et entraînent chacune une hélice.
Elle est armée à l'avant d'un canon de 140 et de deux canons revolver Hotchkiss de 37 mm. fixés sur la super structure.

Dans le cours de la préparation à l'Exposition, on apprend que la canonnière fut transférée à l'aide de deux trucks Péchot à trois essieux2 et d'éléments de voie de 60 de cinq mètres, le 25 juillet.
En effet, la canonnière venue de Lyon par les canaux et rivières avait rejoint la capitale avec une escale à Corbeil où les ingénieurs des Établissements Decauville avaient étudié sa sortie de l'eau à l'aide de trucks Péchot.
Le jour dit, amarrée au pont de l'Alma, une voie de 60 fut posée et la canonnière fut hissée sur les deux wagons à l'aide de chevaux. Sur la berge une plaque tournante permit de donner à la charge la direction du Palais de l'Industrie vers lequel elle devait être présentée. Pour déplacer la canonnière, des coupons de voie de 5 mètres étaient posés devant le convoi puis une fois celui-ci avancé, ils étaient retirés derrière et réinstallés devant jusqu'à la destination finale à près de 2 Km3 loin. Cette prouesse technique résultait du travail d'une vingtaine d'ouvriers de chez Decauville et fut l'occasion de montrer au public les performance de l'utilisation de la voie portative qui fit la renommée internationale de Paul Decauville.

Malheureusement la largeur de la canonnière supérieure à celle du portail d'entrée ne permit pas de la placer à l'intérieur et elle resta posée à côté sur ses trucks.

Transport de la canonnière Farcy du Palais de l'Industrie au passage du Pont de l'Alma.
NdlR : Il s'agit ici du retour de la canonnière à la Seine. On notera quelques divergences entre le texte précédent de La Nature et celui-ci Mémoire et compte-rendu des travaux de la Société des Ingénieurs civils.
Alors que le premier relate le transport de la canonnière de la Seine au Palais de l'Industrie, le second rend compte de de l'inverse et les chiffres donnés semblent plus réalistes.

M. Cottencin rend compte du transport de la canonnière Farcy, auquel ont assisté un certain nombre de collègues, sur l'invitation gracieuse faite par le Commandant Farcy auquel la Société des ingénieurs civils adresse ses remerciements.
Cette canonnière appelée à naviguer dans les cours d'eau à faible tirant, tout en portant une artillerie de 9 000 Kg, a été étudiée en vue du passage sur les hauts fonds et du transport par terre lorsque les cataractes viennent entraver sa marche.
Ses dimensions sont en longueur entre perpendiculaires 20,4 m. avec largeur hors membrures de 5 m.. Elle cale 0,60 m.
La distance qu'elle devait franchir entre son point de stationnement, devant la porte du Palais de l'Industrie et la berge de la Seine, est de 1000 m. environ.
Pour cette opération, elle était portée par deux wagonnets à trois essieux roulant sur la voie Decauville n°114 en rail d'acier de 9 Kg au mètre, à jonction hybride et éclisses boulonnées, qui permettent de diriger les courbes à droite et à gauche indifféremment. Ces rails par bouts de 5 m. de longueur, sont montés à distance entre rails de 0,60 m., sur 8 traverses, système Péchot à section en U renversé, de 0,14m. * 0,029 m., débordant la voie de 0,20 m. Ces traverses sont fermées au marteau-pilon et sont fixées au rail par trois rivets ; la fermeture de leur extrémités permet de retenir le ballast et de substituer, dans le déplacement latéral de la voie, au frottement de terre contre fer celui de terre contre terre qui est bien plus grand, ce qui augment considérablement la stabilité de la voie.
Les plaques tournantes, pour cette voie, sont construites avec deux plaques en tôle épaisse d'acier, dont l'une possède un pivot central et un cercle de roulement et l'autre porte une série de galets en acier pour obtenir le roulement sur le chemin de la première plaque.
Pour le transport considéré, on avait placé dans l'axe de la canonnière au moyen de vérins, deux wagonnets à trois essieux portant chacun 3000 Kg5 par l'intermédiaire de deux ressorts inégaux reliés entre eux par un balancier, le plus grand ressort transmet la charge par une semelle.
Toutes ces pièces de ces wagonnets sont en acier et d'une construction robuste.
La canonnière reposait directement sur une fourche à pivot, munie de quatre galets, s'appuyant sur un cercle de roulement placé dessus du wagonnet.
La longueur de voie employée pour effectuer ce transport de un kilomètre, n'était que de 120 m. et, pour toute pièce accessoire, une seule plaque tournante de 1,30 m.
L'opération s'était faite très régulièrement jusqu'à la plaque tournante, permettant de déplacer à angle droit cette masse de 15 tonnes pour l'amener parallèlement au côté du Palais de l'Industrie et le premier wagonnet avait même passé sans encombre lorsque les matelots, qui étaient chargés de la manœuvre, agissant avec trop d'entrain, lors d'un coincement de la plaque tournante, brisèrent une plaque de garde d'essieux, ce qui nécessita l'arrêt momentané du transport et retarda la mise à l'eau.
Le lendemain on a continué le transport interrompu par ce petit accident. La canonnière a été amenée sans manœuvre de plaque tournante, au moyen de courbes, à très petit rayon, devant le jardin d'hiver ; à 4 heures et demie, le premier wagonnet était arrivé sur la plaque tournante, qui devait permettre le mouvement à angle droit de la canonnière, pour lui faire prendre la rampe de la berge et à 6 heures, le deuxième wagonnet avait passé la plaque tournante.
Cette partie délicate du transport s'est effectuée, cette fois, dans de très bonnes conditions.
Dans cette opération, il a fallu faire progresser (comme dans toutes circonstances analogues) les deux wagonnets sur deux parties à angle droit, de la même façon que les galets de l'appareil à tracer les ellipses.
M. le Commandant Farcy a mené ce mouvement à bonne fin, malgré les difficultés de toutes sortes qu'il a rencontrées dans ce parcours de un kilomètre où la foule entravait le travail ; de plus, les ouvriers, embauchés pour la circonstance, n'étant pas habitués à cette manœuvre de forces, ne pouvaient conduire cette opération avec l'habileté de praticiens expérimentés.
M. Farcy a donc montré que sa canonnière, au point de vue transport, avait l'avantage appréciable d'être déplacée par le matériel à voie étroite employé pour nos parcs d'artillerie.
Cette question est très intéressante pour la défense des villes ouvertes situées sur les cours d'eau ainsi que pour les colonies.

Il est vrai que dans son catalogue de 1890, Decauville présentait l'ensemble des applications possibles du chemin de fer portatif et il consacre un dessin au "matériel pour les explorateurs". En voie de 50 ou 60, il propose le transport de chaloupe à vapeur à l'aide du porteur en Afrique centrale. Lorsque les rivières explorées cessent d'être navigables, alors la chaloupe répartie sur deux wagonnets peut être transportée.

 

 

Notes :
  • 1 Claparède était un chantier naval (1882) équipé de chaudières à vapeur, de forges, de marteaux-pilons, de laminoirs, de scieries, et possédait quatre cales de construction.
    En 1888, La société des Ateliers et Chantiers de la Loire rachète les équipements qui sont transférés à Saint-Nazaire.
  • 2 La canonnière pesait 6 tonnes. Deux trucks à deux essieux auraient largement suffit puisque qu'ils avaient une capacité de charge de 5 tonnes chacun.
  • 3 Le Palais de l'Industrie construit pour l'Exposition de 1855, sur l'avenue des Champs-Élysées à Paris n'était pas dans le périmètre de l'exposition de 89. En 96, il laissera place au Petit Palais et au Grand Palais. 
  • 4 La voie Decauville n°11 figure au catalogue de février 1890.
  • 5 Les trucs Péchot à trois essieux peuvent admettre une charge de 9 tonnes.

Sources :

  • La Nature n°691 du 28 août 1986
  • Le chemin de fer à voie de 60 Vie et oeuvre du colonel Péchot - A. Meignier - 2007 - Éditeur Do Bentzinger
  • Mémoire et compte-rendu des travaux de la Société des Ingénieurs civils - année 1889 - Paris

     

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