Rêve d'une nuit d'été

MAD

On dit que lors des nuits qui suivent le solstice d’été, d’étranges créatures viennent sous la pâleur de la lune, enchanter la ferme de Bois Briard. Des elfes, des esprits des bois alentour, surgissent de nulle part, comme par enchantement ; on dit même que les arbres se mettent alors à raconter des histoires. Nul n’a su dire jusqu’à ce jour d’où proviennent ces phénomènes : s’agit-il de songes qui prendraient corps spontanément, de réminiscences du passé, ou bien d’une fantaisie bucolique occulte orchestrée par un certain Hugo Briardus, premier maître connu des lieux aux alentours de l’an 1200 ? Ceux qui en parlent ont-ils été victimes d’hallucinations, ou bien s’étaient-ils assoupis par mégarde au pied d’un arbre centenaire ? Nul ne le sait. Il y a cependant fort à parier que ceux qui oseront s’aventurer jusqu’à la ferme les 26, 27 et 28 Juin 2008 à la nuit tombée, assisteront à un étrange et somptueux spectacle, réunissant tous les arts de la scène : chant, danse, théâtre, escrime, grande illusion, pyrotechnie. La ferme de Bois Briard se changera alors pour quelques nuits en un jardin extraordinaire, qui évoquera avec faste et fantaisie quelques grandes pages, connues et inconnues, de l’histoire de Courcouronnes et de ses environs. On y découvrira une histoire ré - enchantée, re-visitée très librement pour l’occasion, en une fantaisie joyeusement onirique. C’est ainsi que l’on apercevra, entre autres, l’âme de Saint Guénault surgissant à la poupe d’un drakkar, un combat de templiers éméchés revenant de Lisses, l’inauguration en fanfare d’un train à voie étroite sortant des usines Decauville. Certains prétendent qu’on assistera également à une lévitation magique, à un feu d’artifice, ou encore à un incendie grandeur nature. 
Lorsque la nuit tombe et que l’imagination prend ses aises, la véritable histoire et la fantaisie se retrouvent enfin pour créer, en quinze tableaux colorés, un spectacle inédit en plein air, qui nous mène tout droit au pays des rêves et de l’imagination : quelque chose comme un songe d’une nuit d’été en somme.

Et oui vous avez bien lu "l’inauguration en fanfare d’un train à voie étroite sortant des usines Decauville". Il fallait bien pour illustrer cette scène un véritable train Decauville en vrai grandeur, décor dynamique. : c'est ce que nous avons proposé.

C'est en  mai 2008 que Jean Michel Chaillou, le président de l'association Le Lac en Fête m'a contacté via notre site internet et sa rubrique "Un véritable train à vapeur dans votre ville"qui lui a donné l'idée d'inclure dans le spectacle un train grandeur nature. Nous souhaiterions mettre en valeur le petit train Decauville en interprétant d'une part l'air écrit pour l'inauguration du petit train lors de l'exposition universelle et d'autre part en relatant l'inauguration de ce petit train entre autres aventures .
La présence d'un véritable train de l'époque nous paraît entièrement souhaitable
.
Très rapidement, rendez-vous fut pris pour un repérage des lieux, en vue de faire une proposition, la plus proche du projet. Vu la nature du terrain et la faible longueur de la voie dans le décor (80 m) la vapeur et les voitures fermées étaient malheureusement exclues (à cause du poids de la machine), il restait le locotracteur Decauville n°4 et les petites baladeuses du père Noël qui s'accordaient avec l'esprit Decauville. Après discussion, le metteur en scène souhaitait également voir des wagonnets (toujours du Decauville) poussés par des ouvriers dans la cour de l'usine, aussi avons-nous transporté deux wagonnets type Lorraine de 1925 pour illustrer cette scène.

Le N°4 et une baladeuse "Père Noël" avec en projet la fabrication d'un dais, réalisé par Vincent en un temps record.
Les wagonnets type Lorraine de 1925 récupérés à la scierie Barillet (Loiret)

Pour la circonstance Vincent a fabriqué un dais pour la baladeuse qui accueillera Paul Decauville, Madame et le préfet.

Lyon (Rhône). Tramway électrique Decauville de l'Exposition Universelle de Lyon de 1914 d'après un document Decauville.

L'installation
Le transport des rails a eu lieu le 16 juin, suivi immédiatement du montage et du réglage de la voie selon le plan établi avec l'association "Le Lac en Fête". Aucune difficulté ne fut rencontrée et le jeudi suivant lors du transport du matériel roulant, les essais furent concluants.

Sur la A86, puis la A6 en direction de Courcouronnes
La ferme de Bois Briard, haut lieu de la famille Decauville
Le montage de la voie.
La voie serpente au milieu des scènes et gradins
Sur la A86 le matériel roulant en route pour Courcouronnes.
Déchargement des voitures...
... et c'est le train complet qui est sur les rails.

Les premiers essais sur la courte ligne eurent lieu sous le regard étonné voire surpris des personnes présentes qui laissèrent bien vite leur occupation pour regarder évoluer le train.
Le démontage de la voie s'est fait après la dernière représentation à la lueur des projecteurs qui étaient eux aussi démontés. Quatre personnes nous ont aidés, ce qui a largement contribué à la rapidité et à l'efficacité de l'opération. 
A quatre heures du matin nous étions chez nous.
Le matériel a été rapatrié aux Chanteraines le lundi suivant.

Les répétitions

Le lundi 23 avec Vincent nous avons transporté les deux bennes basculantes. Sitôt arrivées et déchargées, elles furent prises d'assaut par les enfants qui sautèrent dessus et les firent rouler. 

Le déchargement des bennes Decauville.
Répétition de la scène de la construction de l'usine Decauville. On s'amuse plus qu'on ne répète, mais ça fait aussi partie de la fête.

Au moment où nous nous apprêtions à partir, le metteur en scène nous a demandé de faire une répétition avec le petit train. Plusieurs petits films ont été enregistrés dont celui du discours d'inauguration que nous retransmettons avec l'autorisation de l'association "Le Lac en Fête"

Mesdames et Messieurs,

Ce n'est pas sans une réelle émotion que nous allons inaugurer aujourd'hui le petit train de l'exposition qui reliera la Concorde au Champs de Mars pour la plus grande joie de plusieurs millions de visiteurs.
Petit, il l'est par la taille, on dirait presque un jouet. Il est frêle, coquet, joli et pourtant sa renommée est mondiale, jugez plutôt. Huit mille kilomètres de voies étroites ont déjà été posés dans le monde. Aujourd'hui même un train sorti des ateliers de notre ville est en route vers le Turkestan et chargé à dos d'éléphants. Un autre permet d'entamer dans les meilleures conditions les travaux du tunnel sous la Manche... et je pourrai vous citez bien d'autres exemples de part le monde. C'est pourquoi, je puis affirmer sans exagération aucune qu'à l'exposition Universelle de 1889, il n'y aura pas un mais deux monuments incontournables, symboles du génie de notre patrie, la fabuleuse tour de Monsieur Eiffel et l'extraordinaire petit train de Monsieur Decauville
(applaudissements).
Comment doit-on vous appeler : Monsieur le maire, Monsieur l'inventeur, Monsieur l'industriel, Monsieur l'agriculteur, Monsieur le bienfaiteur, peu importe après tout car avec vous en ce jour, on ne sait plus où donner de la tête
(applaudissements).

Aussitôt le discours achevé, Le Préfet, Paul Decauville et sa famille prennent place dans la voiture avec dais, juste derrière la locomotive. L'assemblée monte à son tour et le train démarre lentement. Il n'a pas fait trois mètres que voilà qu'il déraille. En effet entre temps une sévère pluie est tombée et le terrain s'est amolli et un camion a roulé sur la voie, entraînant un tassement. Le premier essieu du loco sort des rails, une dizaine d'acteurs se précipitent, une partie à l'arrière sur le porte à faux pour soulager l'avant et Vincent à l'avant qui soulève le tout pour remettre l'engin sur les rails. Calage de la voie, essai à nouveau et la scène est bien vite rejouée cette fois sans incident.

Le petit train entre en scène au moment où les enfants entonnent une chanson.
Le lendemain pour la générale, Jacques R. a décoré le Decauville. Son entrée en scène n'est pas passée inaperçue.
et le résultat est plutôt de meilleur effet, il ne reste plus que la lampe à allumer.

 

Quelques photos d'ambiance des répétitions

La scène est installée derrière la maison de maître de la ferme de Bois Briard, dans un parc fort agréable et très arboré, le décor s'avère idéal pour le spectacle. La nuit tombe sur Courcouronnes, les acteurs vont revêtir leur costume, le silence envahit le lieu, le spectacle commence.

Le corps du bâtiment d'habitation. Une très belle maison de maître du XVIIIème

Le jour de la générale une classe d'Evry est venue interpréter la "chansonnette-galop" de l'Exposition universelle de 1889, paroles de Marcello, musique de F. Durieux. 
C'est le p'tit Decauville, qui file, qui file, c'est le p'tit Decauville, qui file, qui file... 


Le spectacle

Le spectacle a eu lieu les soirs des 26, 27 et 28 juin. Cette fantaisie onirique a été conçue et mise en scène par Olivier Besson, la chorégraphie est de Myriam Le Bail et la direction musicale de Benoît Noeppel.
Les 15 tableaux présentés retracent l'histoire de Courcouronnes depuis le Moyen-Âge jusqu'à nos jours. Pas moins de 500 costumes ont été fabriqués pour les quelques 80 acteurs tous bénévoles et dont le talent s'est ressenti à travers les applaudissements.

L'Association "Le Lac en fête" a fêté ses 20 ans d'existence l'année dernière. Elle a plus d'une quinzaine de spectacles de qualité à son actif et l'enthousiasme de ses membres laisse présager encore de belles réalisations.


L'exposition de 1889

Rappelons que l'Exposition Universelle de 1889 permit que soit modifiée la loi excluant le transport des voyageurs sur les lignes à l'écartement de 0,60 m. 
Désormais, le Decauville cesse d'être à usage exclusivement militaire, industriel ou agricole. 
Il devient un chemin de fer à part entière
.
Le 6 novembre 1889, 68 684 voyageurs furent transportés dans 292 trains, le parcours durant 21 mn.
Au total 6 342 446 visiteurs prirent place dans le Decauville.
Decauville remplaçait la route.

De cette exposition deux noms resteront : Eiffel et Decauville

 


La ferme du Bois Briard, domaine des Decauville
C'est en 1750 que David De Cauville devient fermier de Bois Briard, alors que son frère Martin exploite celle voisine de St Guénault. Vingt-six ans plus tard les Decauville achètent le domaine qui restera près de deux siècles en leur possession.
C'est dans cette ferme qu'est né le "porteur Decauville". 
Automne 1875, l'arrière saison est pluvieuse à souhait et la récolte de betteraves abondante sur les 150 hectares de la ferme de Petit Bourg. Lorsque le sol est détrempé, le débardage est impraticable, les attelages s'enlisent infailliblement et neuf mille tonnes de betteraves sont à débarder. En juin de la même année le porteur Decauville en voie de 40 est déjà inventé "Petit chemin de fer portatif tout en fer pour culture et industrie", mais il n'a pas encore reçu d'application. La récolte présente une occasion unique de voir l'efficacité de sa mise en oeuvre. A la brouette et au tombereau Decauville ajoute le wagonnet. Ce fut un succès extraordinaire et inattendu. "Le chemin de fer lilliputien qui transporte les montagnes" était né. Les carrières, travaux publics, mines et usines étaient demandeurs de ce nouveau moyen de manutention qui allait faire "le tour du monde".  
Et Paul Decauville d'écrire : "Je suis un vrai cultivateur, dans toute l'acceptation du mot, mais un cultivateur à la recherche de tous le progrès et comme je ne pouvais réaliser les progrès à attendre des réformes économiques, je m'occupais spécialement des progrès à attendre de l'amélioration des moyens de transport et mes efforts ont été couronnés de succès, je suis arrivé en 1876, à trouver le petit chemin de fer, dont le développement a dépassé toutes mes espérances.
Je puis bien dire que j'ai trouvé ce petit chemin de fer pour débarder mes champs de betteraves, comme un malade trouverait un remède pour se guérir. Je me suis guéri et me suis fait médecin pour guérir les autres".
En 1876 l'atelier Decauville comptait 35 ouvriers et en 1889 il est passé à 900.

C'est Armand Fidèle Constant Decauville (1795-1855) qui habite la ferme de Bois Briard. Il est cultivateur et le nom de Bois Briard est resté près de deux siècles attaché à celui de la famille Decauville. Aîné de la fratrie, il quitte Bois Briard, comme le veut la tradition, et loue les champs voisins de Petit-Bourg où il fonde en 1854 les premiers ateliers de Petit Bourg plus connus sous le nom de Decauville Aîné. Agriculteur à gros capital Armand Decauville était également maire d'Evry-sur-Seine.
Son fils Paul Armand Decauville (1846-1922), développe l'entreprise de son père, non seulement dans l'esprit de profit, mais aussi dans celui des saint-simoniens et des idées nouvelles de la philosophie, économique et sociale. C'est lui le père du "porteur Decauville".

Aujourd'hui la ferme de Bois Briard offre encore quelques secrets aux visiteurs attentifs à la voie étroite du célèbre inventeur. Dans un corps de bâtiment une voie de 50 encastrée dans le pavement de la salle est encore visible pour l'œil averti. Dans le prolongement de cette voie les traces d'une ancienne plaque tournante donnent accès à l'extérieur du bâtiment. Un peu plus loin une estacade d'environ un mètre de haut supporte une autre voie conservée en bon état, mais pas visible parce que recouverte de lierre, lierre qui l'a protégée secrètement depuis 1866 jusqu'à aujourd'hui.

La voie de 50 dans le corps de bâtiment. Espérons qu'à l'occasion des travaux de réaménagement en elle ne sera pas supprimée.
Un peu plus loin, en face d'une porte donnant sur l'extérieur une plaque tournante ou une plaque de ripage.
A l'extérieur, l'estacade. La voie est dissimulée sous le lierre...
...mais si on soulève la végétation alors on découvre le rail de 4,5 kg avec éclisse et crampon.

Ce sont là, les plus anciennes voies Decauville que nous puissions connaître.
Les elfes et trolls qui rôdent la nuit sur l'ancien domaine du Sieur Briardus ont su préserver quelques secrets pour les passionnés de la voie étroite.

 

Le P'tit Decauville 
a parcouru 1170 m et 
transporté 270 figurants et enfants des écoles 
en 13 voyages 
sur 90 m de voie portative.


Le Chemin de Fer des Chanteraines est heureux d'avoir pu faire évoluer son matériel Decauville sur les terres de Bois Briard, événement qui depuis plus d'un siècle et demi ne s'était pas produit.
C'est aussi notre façon, à nous bénévoles du CFC, de rendre hommage à Decauville, ce nom qui autrefois fit le tour du monde et qui, aujourd'hui fait encore rêver plus d'un passionné.
Nous remercions
Jean Michel Chaillou président de l'association "Le Lac en Fête" pour la confiance et la sympathie qu'il nous a témoignées pendant cette semaine passée dans ce haut lieu de la famille Decauville.
Nous remercions également les bénévoles qui nous ont aidés au montage et démontage de la voie.

Le retour.
Sources et informations diverses

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