La restauration du locotracteur N°4 du CFC

MAD

Cet article semblera redondant pour le lecteur assidu de LVDC car il reprend tout ce qui a été écrit dans cette revue au sujet du locotracteur N°4 depuis son arrivée sur notre chemin de fer. Pour certains ce sera de la redite pour les autres, qui nous ont rejoints plus tard, ce sera l'occasion de se familiariser avec celui-ci et de revoir, sur les photos, certains d'entre nous avec quelques années en moins.

Ce locotracteur est arrivé sur notre chemin de fer le 29 novembre 1986. Nous avions une semaine auparavant été le voir chez Henri Gaumont avec Jean Chapotel et Jean Bernard Mervaux. Henri Gaumont, qui exploitait à cette époque le parc de Risle Vallée à Thevray-sur-Ferrière commençait, à se séparer de son matériel dont une grande partie était garé dehors. La Bouillote, qu'il avait récupérée auprès d'un entrepreneur de travaux publics à Agen, avait déjà quitté Thevray pour Noisy-sous-Ecole dans la propriété de Jean Bernard Mervaux.
Jean Chapotel voulait acheter le locotracteur Decauville, Jean Bernard, le Gmeinder (le N°17 qui est aujourd'hui au CFC) et, pour ne pas rester spectateur de ces transactions, je me décidais à prendre le Campagne bien qu'il fut dans un triste état. Toujours est-il qu'avant midi les négociations étaient terminées et nous étions sur le chemin du retour. Il ne nous restait plus qu'à contacter M. Panizzi pour le transport. Le Gmeinder irait à Noisy, le Decauville et le Campagne viendraient au CFC.
Le 29 au matin le camion arrivait aux Chanteraines.

Le camion vient de pénétrer sur le grill du dépôt avec le Decauville et le Campagne.
Sur la photo de gauche à droite, Jean Bernard Mervaux, MAD, Gilbert Dumy et Guy Veyriras.
Les locotracteurs sont sommairement sanglés
Le N°4 sur la plate-forme du camion. Il n'est pas reluisant, mais il est complet et on a pris la précaution de boucher la cheminée. Il est dans son jus. Je sais qu'il y en a qui aiment ça...     ... et maintenant je regrette un peu de l'avoir repeint, enfin...
La semaine suivante, on l'a sorti du dépôt lorsque Gilbert est arrivé avec son vélo. Noter que la voie 9 n'était pas encastrée dans le béton, ce qui nous a valu de bonnes gamelles.

Très vite Gilbert qui connaît bien les moteurs CLM s'est intéressé à le remettre en marche et il y réussi très vite. Le locotracteur fut alors affecté aux manœuvres. A cette époque, nous étions très occupés à la restauration de la 020T N°3 et vu l'état du Campagne, j'avais entrepris sa restauration complète avant sa remise en service, donc le petit Decauville qui somme toute roulait, restait en plan, mais nous en profitions  largement pour effectuer les manœuvres.

Là on le voit à la manœuvre des bennes de Montebourg. En cette année 87, les voies n'étaient pas encore encastrées dans le béton.
Un autre photo prise en 87. Alors que la Decauville fume et est prête à partir pour un essai en ligne, le Decauville est tous capots ouverts. A cette époque Jean Michel Baudin qui travaillait, entre autres, pour Chausson avait pu faire réparer le radiateur, la seule pièce défectueuse.
On le voit sur cette photo en 1990, un dimanche d'exploitation, Il manœuvre sa grande sœur. Noter le tuyau pour surélever l'échappement qui crachait de l'huile plus que n'en demande les vêtements des visiteurs.
Toujours un dimanche de 1990 devant le dépôt à l'occasion des journées Portes-Ouvertes.
En 1994 le jour où nous avons réceptionné la scie mécanique, c'est encore lui qui assure la manœuvre.

Pendant toutes ces années, il servait aux trains de travaux. Je me souviens des mercredis soirs de printemps après le travail, je l'utilisais pour aller graisser les appareils de voie. Le réseau s'étendait à l'époque du Pont d'Epinay au Passage de Verdure. Je commençais par le côté Pont d'Epinay et au retour je le suivais à pied le long de la Seine. Il tirait bravement son train à côté de mes pas.
Malheureusement ce locotracteur discret n'a jamais été sous le feu des lumières et des objectifs et en rédigeant ces souvenirs, je me rends compte que des années ont sauté sans qu'un cliché ne soit sorti de la boite magique.

En 1990 avec le train de travaux sur la voie 1. Les voies ne sont pas encore cimentées. La société Drouard a amené son matériel pour l'entretien de la voie. Sur la voie 5, les deux Decauville sont sorties. 
Toujours en 90, c'est l'hiver, on revient de balade
En 1991 vue arrière. On voit bien le moteur CLM. A gauche le levier de frein, à droite le changement de marche et l'embrayage. Au centre le cercle blanc est le manomètre. Au premier plan le coffre à outils qui sert de banquette pour le mécanicien.
Toujours en 91, vue en élévation. A l'arrière le toit est prolongé par une tôle froissée que nous avons gardée inutilement pendant longtemps. Derrière, la construction du bâtiment Marcel Villette. Les voies viennent d'être encastrées.

Le Decauville a toujours été le "vilain petit canard" du CFC  à cause de l'huile abondante qu'il laissait s'échapper de son tuyau malfaisant et qui faisait fuir les visiteurs. C'est la raison pour laquelle il  a souvent été relégué au fond du dépôt même à l'occasion des journées Portes-Ouvertes.

Photographié par David Mummery à l'occasion du 20ème anniversaire du CFC. Une fois de plus il n'a pas été sorti du dépôt.

En Juin 2005 Jean Chapotel nous le cédait. Le petit Decauville allait alors sortir de sa léthargie.

Juste avant sa grande révision sur la voie 1.
La plaque Decauville N°643 de 1933.
et même en video Noter comme il fume.
Fin novembre 2005, nous le sortions une dernière fois dans un paysage de neige. Jacques Harribey en a gardé des traces sur ses vêtements.

Ce fut sa dernière sortie avant sa grande révision qui nous occupa pendant toute l'année 2006.

La restauration 

Le démontage a commencé en Mars 2006. L'ensemble de la cabine, radiateur, moteur et boite de vitesse étaient descendus, laissant à nu le châssis et les essieux accouplés par une chaîne.
Sa construction rustique dont chaque élément est facile d'accès, nous a simplifié largement la tâche.

Dépose du toit...
... et de la cabine. Le moteur est resté sur le châssis, la boîte quant à elle a été déposée.

Le mois suivant nous commencions le nettoyage des pièces et envoyions les essieux chez Merlin-Castets pour en refixer les roues sur la fusée. Ce travail a nécessité l'extraction de chacune des roues, la reprise au tour des fusées, la pose d'une bague entre la roue et la fusée puis le calage. Opération lourde mais nécessaire. Au dépôt nous en profitions pour ouvrir la boîte de vitesses et en vérifier l'état des différents pignons.
Je profitais du printemps pour gratter et repeindre le châssis.

La boîte de vitesses a été ouverte et nettoyée. Elle est en excellent état, sa mise en peinture n'a pas tardé.
Les essieux vont être envoyés chez Merlin-Castets qui a l'habitude de nous faire les réparations lourdes. L'essieu arrière avec le double pignon (boîte et transmission), et l'essieu avant avec seulement le pignon pour recevoir la chaîne de transmission.
Les accessoires ont été démontés, nettoyés, peints et rangés avant le remontage. Ici les pendules de frein, les ressorts de suspension, les attelages à ressort avec leur fixation, la grille de protection du radiateur.
Le châssis mis à nu a bien été protégé par la graisse. Après nettoyage et dégraissage, il a été repeint. Noter les nombreux rivets.
Le moteur est encore en attente de révision.

Au début de l'été, le châssis était terminé, la boîte de vitesses refermée et repeinte, mais nous n'avions toujours pas ouvert le moteur. Nous laissions passer les Journées Portes-ouvertes et celles du Patrimoine se dérouler sans toucher au Decauville. 
A l'automne, nous en reprenions les travaux. Les essieux revenus, ils furent remontés sur le châssis, après un grand nettoyage des boîtes dont les garnitures de graissage furent complètement refaites. 

Le châssis flambant neuf dans sa nouvelle livrée.
Gros plan sur l'essieu avant. Essieu de récupération marqué Petit Bourg. Sûrement de la récupération car le loco a été construit en 1933, bien après l'époque "Petit Bourg".
La chaîne d'accouplement prise sur l'essieu arrière (essieu moteur). Noter les points d'ancrage du moteur CLM.
Essieu avant. Les 4 cales sont sur les points d'ancrage de la boite-inverseur.
Le plancher de la cabine avant mise en peinture. Le levier de frein vient d'être remonté.

Le moteur CLM type industriel allait être traité par Jacques H.
Jacques H. a déculassé le moteur et sorti les deux pistons qui travaillent en opposition dans l'unique cylindre. Le segment coup de feu du piston supérieur était cassé et un nouveau nous a été gentiment offert par Pascal Durand (Merci Pascal). La chemise a été glacée à l'aide d'un outil spécial qui nous a été prêté pour la circonstance. Jean-Claude a fabriqué un outil pour extraire la partie supérieure du piston afin de remettre en place les deux segments dont le "coup de feu". Mais en fait on a pu remettre le segment "coup de feu" sans en faire usage, avec simple précaution.

Le carter de la pompe à combustible, du régulateur et de la pompe à huile. Le bouchon en haut à droite sert au remplissage d'huile en cours de marche. Ce type de moteur est industriel et fonctionnait sans interruption pendant de longues périodes. On pouvait alors compléter l'huile sans l'arrêter.

Après le remontage du moteur, Gilbert qui connaît bien les moteurs CLM est intervenu pour tarer la pompe d'injection. 

Pendant ce temps, j'ai fini de peindre le châssis, les essieux et la timonerie de frein a été remontée et réglée. Différentes pièces ont également été nettoyées et mises en peinture. Le moteur a ensuite été remonté et sa compression n'a plus rien à voir avec celle qui précédait le démontage. Le remontage final suivait et il ne restait encore que quelques tôles (capot et toit) à redresser avant leur mise en peinture.

Le Decauville en cours de remontage vu de derrière.
Mise en peinture de la cabine.

Début mars nous le sortions fièrement du dépôt. 

Jean Claude, Michel, Claude et Gilbert. Le N°4 Decauville, une des premières sorties, ça fume encore, mais c'est mieux. On va enfin pouvoir le présenter au public

Quelques jours après Guy d'Houilles de Sequana me donnait un coup de main pour la construction du coffre à outils dont les dimensions sont L=97 cm, l=25 cm, h=30 cm

Guy d'Houilles en train de raboter les planches du coffre à outils.

Maintenant on a la certitude que le N°4 circulera pour les journées Portes-Ouvertes.

Lundi 26 Février, lors de la visite de notre ami Arnoud Bongaards du Decauville Spoorweg Museum, le N°04 a fait quelques tours de roues pour le plaisir de notre invité.

Ceux qui ont participé à sa restauration

La restauration de ce locotracteur a été le travail d'une équipe entière, chacun apportant sa compétence au moment où elle était nécessaire. Je profite d'avoir le clavier entre les mains pour remercier François Borie, Michel Dubuis, Gilbert Dumy, Pascal Durand, Jacques Harribey, Jean-Claude Lalande, Guy Lécuyer, Vincent Timcowsky, Thibault Zwiller qui m'ont aidé dans cette restauration qui, je crois, est réussie.


Il existe trois autres exemplaires en France dont un identique. Trois sont dotés d'un moteur CLM monocylindre vertical à refroidissement par eau, d'une boîte à deux vitesses avec inverseur et d'un embrayage par friction. Leur puissance est de 10 Cv, et la conduite facile et agréable. Sur le CFC, le N°4 est affecté aux trains de travaux. Avant le CFC, ce locotracteur était dans une briqueterie, puis au Parc de Risle Vallée dans l'Eure. Des recherches sur son histoire sont en cours, mais il est difficile d'en retrouver les traces.
Toute information à son sujet est la bienvenue

Les petits frères

Le locotracteur N°686 de Pascal Durand. Ce locotracteur vient également de Risle Vallée. Henri Gaumont avait acheté les deux à une ancienne briqueterie à une date inconnue. Il est un peu différent. En outre les cornières de la cabine sont inversées (le L vers l'extérieur, et la barre de renfort sous le châssis au niveau de la cabine n'existe pas).
Le locotracteur Decauville N°659 de 10 cv  conservé au musée des Travaux Publics Emile Pico dans les Bouches-du-Rhône. http://e.pico.free.fr/decauville1.htm. C'est exactement le même que celui du CFC à l'exception du toit qui est horizontal et non pas de forme arrondie.
Le locotracteur Decauville un peu plus petit qui a servi d'enseigne à la célèbre firme pendant des années.
(photo G.Stouvenel, extraite du livre "Decauville ce nom qui fit le tour du monde" - Bailly - Editions Amattéis - 1989).
Avec l'aimable autorisation des
Editions Amattéis.
Un des premiers locotracteurs de cette série le n°607 de 1928. Il est équipé d'un moteur à essence Ballot type 4, n°40643 toujours accompagné de son wagonnet en voie de 50. Le capot moteur est plus large, les portes semblent plus longues et possèdent deux poignées.
Curieusement, le radiateur est à l'intérieur de la cabine, mais c'est bien le même style que sur le N°643. A droite on reconnaît bien les leviers de changement de marche et de vitesse. Ils sont inversés par rapport aux autres locos. En revanche, le levier de frein a une implantation différente. Quant à la sablière en bois, elle est plus rustique, mais à la même place. Noter le klaxon à poire. Le coffre à outils a disparu.
Le châssis est plus léger, moins renforcé, mais de même encombrement et sauf erreur, il peut accueillir un roulement en voie de 60, vu la distance entre la roue et la boîte.

Ce modèle a été construit à 89 unités de 1926 à 1939.

Nous n'avons pas abordé les moteurs CLM qui ont, par ailleurs sous la plume de Vincent Timcowsky, fait l'objet d'un article détaillé dans le n°77 

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