Le carnet de MAD
Le quadruplement
des voies en tre Sens et Laroche
par M. DESALEUX, Ingénieur en Chef du 2e arrondissement de la Voie.
Sources : Bulletin du P.L.M. - n°11 septembre 1930
Avec le service d'été, au 15 mai dernier, ont été ouvertes à la circulation les quatre voies principales de Sens à Laroche.
C'est l'aboutissement de plusieurs années de travail qu'il paraît intéressant d'exposer ici.
LES PREMIÈRES ÉTUDES
C'est en 1923 que prit définitivement corps l'idée du quadruplement des voies entre Sens et Laroche, par la création de la Section de Joigny, pour en commencer les études. Cette création, décidée le 25 septembre, était réalisée effectivement au 1er janvier 1924.
Dès ce moment, le Service de la Voie commençait l'important travail de préparation nécessaire avant de passer à l'exécution proprement dite : au point de vue technique, lever le plan et les profils de la ligne et de ses
abords ; en vue des acquisitions, dresser le plan parcellaire des propriétés touchées par les
travaux ; étudier les modifications des routes et chemins, établir les plans des gares et de la pleine ligne.
C'est là une tâche peu apparente, mais indispensable à la présentation de projets bien au point et à une exécution rapide et sans à-coups. Le temps que demande cette préparation, s'ajoutant
à celui des formalités administratives et de l'exécution même, montre combien il est sage de prévoir plusieurs années à l'avance.
LE BUT A ATTEINDRE
A cette époque, la ligne Paris-Lyon comportait au moins quatre voies principales de Paris à Melun, puis de Melun à Montereau deux lignes à double voie, se prolongeant côte à côte de Montereau jusqu'aux bifurcations de Villeneuve-la-Guyard.
De ce point jusqu'à Dijon, abstraction faite de voies militaires entre Laroche et Saint-Florentin, s'étendait sur 225 kilomètres une seule ligne à double voie sur laquelle la circulation allait chaque année en augmentant.
Les trains rapides et express impairs par exemple, au nombre de 7 en 1880, de 21 en 1900 et de 29 en
1913, allaient passer à 37 en 1926, se suivant généralement à courts intervalles et se retardant mutuellement au moindre incident.
Les palliatifs employés pour faire face aux difficultés de la circulation : resserrement des postes de block, dispatching-system, malgré leur efficacité, ne pouvaient que retarder le moment où deux voies seraient impuissantes à assurer, sur une telle longueur, une circulation régulière.
Il fallait donc prolonger les quatre voies au moins jusqu'à Laroche.
Toutefois, ce long parcours ne pouvant s'exécuter en une seule fois, plusieurs étapes devaient être nécessaires. Celle de Villeneuve-la-Guyard à Sens, d'exécution plus difficile, fut ainsi ajournée.
Acquisition et enquêtes
Fin 1924, l'avancement des études et des plans parcellaires était suffisant pour passer à l'acquisition des terrains.
Ce furent alors pendant des mois, pour les chefs de district qui en étaient chargés, de
multiples visites aux très nombreux propriétaires de la région, pour décider le plus grand nombre possible d'entre eux à céder à l'amiable, et à des prix raisonnables, les terrains nécessaires.
Que l'on songe au morcellement des propriétés dans cette région - un seul kilomètre touchait à 150 parcelles
et certaines n'avaient que 3 mètres de large
-, que l'on pense aux démarches infructueuses, aux hésitations â vaincre, aux signatures parfois multiples à rassembler, et l'on aura une idée de la persévérance nécessaire aux agents d'acquisition.
En même temps, la Compagnie présentait, pour l'étape de Sens à Saint-Julien-du-Sault, les projets administratifs
nécessaires : projet d'acquisition de terrains, projet technique, projets financiers, projet de déviations de chemins, et ce dernier était soumis par l'Administration aux enquêtes légales. Celles-ci se terminaient en mai 1926 et donnaient lieu à des demandes de modifications discutées ensuite par la Compagnie. On aboutissait ainsi le 14 mars 1927 à une
décision ministérielle tranchant définitivement les points litigieux et
approuvant l'ensemble.
Dès lors, il était possible de passer à l'exécution.
Fig. 1. Pelle â vapeur en action dans la craie. | Fig. 2. Murs de soutènement exécutés â l'aide d'une bétonnière. |
LA PREMIÈRE ÉTAPE
C'est ce qui fut fait par une série d'adjudications échelonnées entre mars et août 1927. Elles répartissaient le travail en quatre lots s'adressant chacun à six kilomètres de voies environ.
D'une façon générale, et sauf certains points particuliers du tracé, le quadruplement se faisait
côté voie 2. Les voies anciennes devaient devenir voies impaires : les voies nouvelles paires, à l'entraxe de 3,75
m, devaient se trouver à 5 mètres des voies impaires. L'entraxe plus important ainsi réservé, et marqué sur le terrain par une séparation entre les ballasts des deux groupes de voie, avait été déterminé pour permettre aux agents surpris par l'arrivée simultanée de trains
des deux sens de s'accroupir en sûreté au milieu de la plate-forme.
Fig. 4. Un pont-route en béton armé.
La première opération nécessaire pour le passage des voies de terrassements des entreprises fut le déplacement des lignes télégraphiques. Les deux lignes anciennes existant à droite et à gauche de nos voies furent remplacées par une ligne unique à 120 fils, établie bien en dehors de la
plate-forme future. Puis, dès que possible, quatre excavateurs et cinq pelles, dont deux à chenilles, attaquèrent les
400000 mètres cubes de terrassements que comportait cette étape.
Simultanément se poursuivaient l'expropriation des propriétés qui n'avaient pu être acquises, la démolition des immeubles qui faisaient obstacle, la reconstruction de sept postes de block et de huit maisons de garde-barrières, l'allongement de 47 ponceaux ou aqueducs. Six ponts-routes en béton armé venaient remplacer sept passages à
niveau ; le poste 2 de Sens était remanié, allongé et porté de 50 à 70 leviers. Et, peu à peu, les terrassements achevés, il fallait mettre en place
140000 mètres cubes de ballast ou sous-ballast, poser ou remanier 67 kilomètres de voie, mettre en service 152 signaux nouveaux dont un grand nombre sur potences, enfin remanier, avec des phases délicates de travaux et de circulation, les gares de Sens, Etigny-Véron, Villeneuve-sur-Yonne et
Saint-Julien-du-Sault, où des bifurcations provisoires étaient aménagées.
En dépit d'un hiver très rigoureux, qui arrêta les chantiers presque complètement pendant plusieurs semaines, la première étape, de Sens à Saint-julien-du-Sault, put être livrée à la date fixée, 15 mai 1929.
LA DEUXIÈME ÉTAPE ET LES TRAVAUX ACCESSOIRES
En même temps, l'on entreprenait une partie importante de la deuxième étape, le passage des quatre voies sur l'Yonne à l'entrée de la gare de Laroche. Nous avons là un viaduc de 5 arches de 20 mètres, qu'il s'agissait d'élargir de 15 mètres pour laisser passer, outre les deux nouvelles voies principales, une voie de tiroir.
Fig. 3. Pont sur l'Yonne â Garoche (au cours des travaux et après achèvement).
Ce travail fut adjugé le 31 août 1927 et pendant deux ans se poursuivirent les battages de palplanches métalliques pour les batardeaux des fondations, la maçonnerie des piles, la pose des cintres puis leur déplacement à mesure de l'avancement du travail, enfin la confection des voûtes en moellons et béton. Le tout fut couronné par un encorbellement en béton armé supportant un trottoir
pour les agents de
manoeuvre.
Simultanément avec tous les travaux précédents, l'on entreprenait de modifier les installations des gares de Laroche et Saint-Florentin pour pouvoir utiIiser normalement les voies militaires existant entre ces deux gares. Ceci comprenait, en outre, un travail de renforcement et de raidissage de ponts métalliques supportant ces voies au passage de
l'Armançon.
Fig. 5.
Chargement de ballast en wagons automatiques par pelle à vapeur.
Enfin, d'août 1928 à janvier 1929, étaient adjugés les trois lots constituant la deuxième étape générale de l'ensemble. 7 nouveaux engins de terrassement entraient en action pour réaliser les 300000 mètres cubes nécessaires. 3 ponts-routes, 8 maisons de garde, 7 postes de block, l'allongement de 27 ponts ou aqueducs, etc., constituaient la partie maçonnerie. Enfin le 15 mai 1930, après qu'avaient été posés 132 signaux, mis en place 110000 mètres cubes de ballast et posés ou remaniés 57 kilomètres de voies, avec les gares de Saint-Julien-du-Sault, Cézy, Joigny et Laroche, la deuxième étape à son tour était livrée à la circulation.
Fig. 6. Maisonnette de passage à niveau
du dernier type.
CONCLUSION
Sept années bien remplies avaient donc été employées à cette réalisation. Mais maintenant, avec quatre voies principales sur 60 kilomètres entre Sens et
Saint-Florentin, de grosses facilités, sont données à l'Exploitation pour le dépassement des trains lents par les trains rapides, et même, en cas de désheurements ou d'incidents, pour augmenter le débit des trains rapides.
On ne saurait estimer trop haut l'importance de ce résultat.