Pour que la Mémoire ne meurt
Le petit train de l'ancienne scierie de Marchenoir
Marc André Dubout
La forêt de Marchenoir
Laissons
place à la description délicieusement poétique de l'Extrait du journal des
débats politiques et littéraires du 28 avril 1908.
Sur
cette plaine monotone et morose, vide et comme infinie l'œil cherche en vain
l'oasis féconde, génératrice de ces grumes. La forêt de Marchenoir,
n'apparaît d'abord que comme un brouillard voilant les clochers lointains, puis
soudain, à quelques kilomètres seulement, comme un épais rideau tiré entre
les champs de blé du Vendômois et les glèbes du Dunois, isolée des grandes
voies, sise à plus de 20 kilomètres de Blois, Beaugency, Châteaudun ou
Vendôme, à plus de 40 Km de la Forêt d'Orléans" la forêt de
Marchenoir s'étend sur une longueur de 7 kilomètres et une largeur de 4.
Parcellée régulièrement, chaque carreau de coupe mesurait 425 m de côté et
était délimité par un pied dit "cornier".
En comptant approximativement 174 carrés de coupe à 18,06 Ha l'unité on
obtient 31,43 Ha de futaie.
Dès 1888, la forêt est traversée du Nord au Sud par la ligne des Tramways du
Loir-et-Cher où un embranchement particulier entrait dans le chantier de la
scierie afin de pouvoir charger directement les wagons in situ, sans avoir à
transborder le bois à la gare de Marchenoir-St Léonard éloignée de quelques
kilomètres.
Offrant une
végétation vigoureuse et de puissantes
réserves, les Ducs de Luynes et de Noailles, propriétaires de la forêt
songèrent à tirer profit de la richesse accumulée c'est ainsi que vers 1905
une Société concessionnaire fut constituée sous la présidence de M. Vizcaya
pour en exploiter les bois. Cette même année, "237 hectares de taillis
furent mis en vente avec une réserve de seulement 52 baliveaux de toute
dimension à l'hectare". N'ayant pu faire honneur à ses affaires, la
Société fut dissoute et remplacée par la Société française d'exploitation
forestière (1907) sous la Présidence de M. Franqueville avec l'objectif de
réaliser 80.000 m3 de bois-d'oeuvre tout en continuant
l'exploitation des taillis. La Société avait deux banquiers : le Crédit
Lyonnais et une maison de Cologne ou de Francfort. Le montant du capital de
cette Société s'élevait à 1.600.000 Francs et les ducs de Luynes et de
Noailles en furent partie prenante.
En novembre 1907, 66 hectares de taillis avec une réserve de 69 baliveaux à
l'hectare furent mis en vente.
Le cahier des charges prévoyait que "les taillis fussent coupés à la
cognée, le plus près possible de terre, sans endommager les racines qui
devront rester en terre".
La forêt de
Marchenoir à partir de ce moment s'est subitement réveillée de sa léthargie
séculaire qui en fit sa richesse. Elle réveilla par ailleurs des animosités
locales eu égard à la population autochtone qui ayant des prétentions de
soldes trop élevées se vit écartée au profit de bûcherons Berrichons et
Belges moins gourmands.
Cette situation nouvelle se substitua aux tâches hivernales que les habitants
locaux inoccupés l'hiver avaient l'habitude de pratiquer afin d'améliorer leur
ordinaire. Il en était de même pour les marchands de bois dont la concurrence
acharnée s'est subitement effacée devant le monopole affirmé par la Société
exploitante.
Il faut dire que les années précédentes, de nombreuses grèves de bûcherons
eurent lieu dans les forêts de Fréteval, d'Écoman et de Marchenoir. Des
bûcherons avaient été licenciés, le désaccord portait sur la quantité de
callots6
que les ouvriers avaient le droit de garder pour eux-mêmes. Dans les années
1900, les associations fraternelles de bûcherons reprirent mais avec beaucoup
mois de vigueur que dans les années 1894-95.
Le
contexte syndical des bûcherons de la forêt de Marchenoir au début
1900.
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Cette parenthèse de courte durée a été un épiphénomène dans la vie séculaire de la forêt qui est retombée dans sa nonchalance extrême et accueillante rythmée par la nature simplement.
* * *
Mais promenons-nous dans les bois au fil des cartes postales dont l'objectif a fixé pour toujours les hommes au travail, les modes de vie précaire, les techniques désuètes alors employées, les paysages aujourd'hui disparus.
Souvent,
c'est derrière les pas du père que les enfants devinrent bûcherons mais
les premières tâches n'étaient pas l'abattage mais le débitage de la
charbonnette2
et il fallait couper droit pour ne pas gâcher inutilement les coups de
scie à bûche. L'abattage se faisait à la cognée, le sciage au passe-partout plus commode et que l'on graissait pour qu'il glisse mieux. |
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Les
équarrisseurs dans une coupe de futaie. Tout comme les scieurs de long
ces ouvriers voyageaient de chantier en chantier, ils se sentaient libres
et proches de la nature. Les scieurs de long étaient deux : le chevrier perché sur la chèvre et le renardier, jambes écartées, dans la partie inférieure. Il suffisait ensuite de suivre le tracé sur la bille. Les madriers ainsi débités servaient en charpente. Ils besognaient à la demande, les sédentaires habitaient des cabanes en bois proche de la scierie. Au fond les chevaux. Celui de gauche est attelé à la charrette, celui de droite attend pour le débardage. |
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Les
écorceurs avec au fond la hutte, (cul-de-Loup ou loge selon que l'on se
trouve en Sologne ou en Pithiverais) qui servait d'habitation pour les
saisonniers. Les premiers ouvriers qui vinrent pour abattre les arbres furent des bûcherons Piémontais, suivis peu après des Belges. Il se logeaient en pleine forêt dans des huttes faites de mottes de terre circulaires montées en forme de cônes. On nommait ces huttes "Culs de loup" (d'après Monsieur Henri Terrier d'Autainville). Sur cette carte postale, on distingue la cognée3 utilisée pour abattre les arbres et fendre les bûches. Les personnages qui portent la casquette semblent être les gardes ou inspecteurs forestiers attentifs au bon respect des coupes, et garants des affaires de police forestière tandis que l'homme au chapeau doit être le directeur de la scierie. |
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Une coupe de
futaie. Les bûcherons, outils à la main au sein de l'ancienne
exploitation. Ces hommes libres aimaient vivre au fond des bois sans
dieu ni maître. Rappelons que La masse volumique brute : masse brute/volume avec écorce pour le chêne est de 0,95 t/m3. |
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La
voie du Decauville au cœur de la forêt. La maréchalerie pose pour le
photographe. Le bâtiment est toujours debout aujourd'hui. Une plaque Château de l'Étoile y est apposée. D'après Monsieur Henri Terrier, cette maréchalerie forte de 18 chevaux était située au croisement de la route du Baron et de la route du Ramage qui relie Autainville à St Léonard-en-Beauce. À titre indicatif, le prix de la journée de deux chevaux avec leur conducteur dans les Vosges était de 16 fr . Dans les deux cas, pour m'être rendu sur place, plus aucune trace n'est visible aujourd'hui et ne permet d'opter pour l'un ou l'autre endroit. |
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Le bois
abattu et débité était débardé par les chevaux qui le sortaient des
coupes jusqu'au bord du chemin pour être ensuite chargé sur des
charrettes ou sur les wagonnets du chemin de fer forestier. Ce sont les chevaux qui vont tirer les wagons jusqu'à la scierie. Au fond deux wagons à traverses pivotantes chargés de grumes attendent d'être acheminés vers la scierie. Ces deux cartes postales sont sans doute antérieures au roulage par locomotive dont la première n'apparaît qu'à l'automne 1903. |
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Type de wagon pour les transport de bois de chauffage avec deux ridelles d'extrémité. Ceux-ci sont munis d'une plate-forme serre-frein. |
Dans son ouvrage "Construction et exploitation des chemins de fer à voie de 60" - 1891, M. Régis Tartary mentionne que les chevaux peuvent parcourir 30 Km par jour dont la moitié en wagons chargés et l'autre en vides. Un cheval peut tracter deux couples de grumiers d'une charge pouvant atteindre 7500 Kg. On peut en déduire une desserte de la forêt en direction de chacun des quatre points cardinaux rayonnant à partir du parc à grumes de la scierie soit 4 fois 10 Km.
La
voie du Decauville, route du Baron, longe les habitations des ouvriers en
face de la scierie. Au premier plan la voie mène à la scierie. Vue en direction Nord-Ouest. À droite, la même prise de vue en juillet 2018. La route du Baron existe toujours et sa tenue de voirie est bien carrossable. |
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Vue en sens
opposé, vers le carrefour de l'Étoile (Juillet 2018). La scierie était
sur la gauche et la voie Decauville sur l'accotement droit de la route du
Baron. À droite de la route se tenaient les logements des bûcherons. Aujourd'hui, il ne reste absolument aucune trace comme si la scierie n'avait pas existé. Même l'œil averti ne peut soupçonner son existence. |
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La
Route Sainte Barbe perpendiculaire à la route du Baron (la scierie était
à gauche). Point 41 sur la carte. À Droite la route Sainte Barbe en direction de Marchenoir. Quelques centaines de mètres plus loin, elle était rejointe par la voie du tacot qui la suivait en accotement jusqu'à la gare de Marchenoir-St Léonard. |
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La route de
Motteux perpendiculaire à la route du Baron. Point 49 sur la carte. Aujourd'hui le quadrillage n'est plus aussi évident, certaines allées sont difficilement reconnaissables. |
L'acheminement
des grumes
L'acheminement des
grumes se faisait par un chemin de fer Decauville dont la longueur était de 40
Km. "La forêt de Marchenoir est devenue une fourmilière ou une ruche
de vie intense. Sur toutes les avenues, des trains courent sur des rails
Decauville, drainant vers le siège central de l'exploitation ou vers
Autainville, les grumes, les traverses, les poteaux de mine. Partout des chênes
gisent lamentables sous la feuillée. Des chevaux vont les chercher dans les
taillis et les transportent vers les artères principales dotées de 40
kilomètres de voies ferrées".
La forêt était quadrillée d'allées plus ou moins importantes (il y a un
peu plus de 130 Km. d'allées). On peut penser que les 40 Km correspondent
approximativement à 100 allées de 425 m. de côté).
Une voie ferrée prendra moins de terrain à la forêt, exigera moins de
terrassements, et se prêtera bien mieux à la condition de choisir un bon
matériel roulant au transport de longs bois.
Une étude des prix de transport d'une tonne de bois dans la forêt de
Senones (Vosges) donne 0,31 Fr de la tonne kilométrique. À
cela il faut rajouter (par tonne) 0,40 Fr pour le chargement, 0,25 Fr pour
le déchargement des grumes, 0,30 Fr pour le chargement et idem pour le
déchargement des bois fabriqués (planches).
Le poids d'un mètre cube de bois de service ou d'industrie est compté à 750
Kg. Pour un stère de bois de chauffage on comptera 500 Kg.
Dans son ouvrage "Construction et exploitation des chemins de fer à voie de 60" - 1891, M. Régis Tartary mentionne une proportion de 1 wagon à marchandises de 900 Kg de tare et 3000 Kg de force portative au kilomètre, ce qui pour une longueur de réseau de 40 Km. reviendrait à 40 wagons pouvant former 20 couples grumiers.
La
"Grande Scierie"
C'est
le nom que les habitants de la région lui attribuaient. Installée, au cœur de
la forêt (carreau de coupe n°41), sur la route du Baron entre les routes de
Motteux et de Sainte Barbe, à l'intersection avec la ligne des tramways du
Loir-et-Cher (TLC).
En reprenant le témoignage manuscrit de Monsieur Henri Terrier d'Autainville1
"En 1905, le Duc de Luyne, propriétaire de la très belle forêt de
Marchenoir, avait vendu au baron de Vizcaya pour, dit-on à l'époque, 7
millions et demi de francs, somme fabuleuse compte-tenu de la valeur de la
monnaie française de cette époque. Pour cette somme, parait-il seuls les
arbres étaient propriété de l'acheteur, le duc de Luynes restait
propriétaire du terrain.
Il y avait dans cette forêt de très beaux chênes. Le chêne en était presque
exclusivement l'essence qui croissait en ces lieux".
La scierie commença son activité en juillet 1906 et cessa définitivement
en 1909. Elle travailla exactement 2 ans et 7 mois. À ce rythme, elle aurait
fait disparaître complètement la forêt en très peu de temps. En effet, l'Extrait
du journal des débats politiques et littéraires du 28 avril 1908 mentionne
une population de 70 ouvriers, plus 23 chargeurs et charretiers. On
estimait à l'époque qu'elle pourrait fonctionner six ans à plein rendement,
elle a fonctionné en réalité seulement la moitié de cette durée.
Mise en liquidation, la vente de la scierie eut lieu en mars 1911.
Le parc à
grumes
Les grumes étaient acheminées à la scierie par le petit chemin de fer
Decauville et stockées à l'extérieur dans le parc à grumes qui formait le
stock de l'entreprise. Avec l'apparition du chemin de fer forestier, l'usage du
tri sur coupe s'efface. En effet, il arrivait que certaines d'entre elles soient
fendues, ou atteintes de pourriture, etc.
Les bois nets de nœuds destinés à la construction ou à l'industrie et ceux,
noueux dont le meilleur parti est le débit en planches, sont triés sur le
chantier même à proximité du lieu de transformation.
D'autre part l'enlèvement des bois se fait plus rapidement et l'établissement
d'une voie ferrée mobile temporaire cause mois de dégâts que l'introduction
de chevaux et de voitures au milieu de peuplement jeune et délicat.
Peu de contemporains connaissent l'existence de cette vie forestière qui avant la Grande Guerre a occupé et fait vivre des familles au cœur de cette forêt de Marchenoir.
L'embranchement
particulier (EP)
La scierie était
embranchée sur la ligne Orléans—Bois—Vendôme,
La création de la ligne Blois—Ouzouer-le-Marché des TLC en 1888 qui traverse
la forêt de Marchenoir du nord au sud a permis l'implantation d'un
embranchement particulier vers la scierie facilitant largement le transport des
bois.
La pointe de l'aiguille était en pleine voie, au PK 36,976, orientée, coté Orléans.
Archives du
Loir-&-Cher AD_41_5_S_485_a, b
La maison du
directeur et les bureaux
La maison du directeur
et les bureaux étaient situés route du Baron en pleine forêt au croisement de
la route et de la voie métrique de la ligne Orléans—Blois.
Elle aurait brûlé dans les années 1970 et par conséquent disparu. Seul le
soubassement en pierre demeure avec les escaliers d'accès.
Les bâtiments
Les bâtiments sont construits en bois et tuiles de manière économique.
Le banc de
sciage
Les grumes (appelées aussi billes) étaient ensuite apportées sur le banc de
sciage pour y être débitées une par une.
Le sciage des grumes se faisait longitudinalement, par des plans parallèles à
un axe approximatif. La première et la dernière lame de bois sont des dosses
qui contiennent essentiellement de l'écorce et de l'aubier et qui iront
directement au rebut ou dans la chaudière de la machine à vapeur. Les tranches
suivantes s'appellent des plots. Les opérations ultérieures de transformation
étant à la charge de l'utilisateur final qui transforme les planches en
produit fini. En France, l'unité conventionnelle de travail en sciage est le
"pouce du Roi", soit 27 mm. On a ainsi des plots de 1", 2",
3", 4", etc. Les largeurs courantes vont de 1" à 12".
En fonction des commandes reçues dans l'entreprise, l'ouvrier saisit
l'épaisseur du bois à découper et règle sa lame en tenant compte de son
épaisseur. L'épaisseur du trait de scie, conséquence de l'épaisseur de la
lame est de 1 mm pour une scie à ruban jusqu'à 5 mm pour une scie circulaire.
La longueur est définie par le tronçonnage des grumes et la largeur par le
diamètre de la bille.
Aujourd'hui ces mesures se font de manière automatique par des caméras.
La bille passe plusieurs fois au niveau de la scie à ruban (ou scie de tête)
si le banc n'en compte qu'une, ou ne fait qu'un seul passage si plusieurs scies
sont associées les unes aux autres. Les scies peuvent être de simples scies
circulaires classiques ou de grands rubans également circulaires.
En matière de bois de structure, la plupart des sections portent un nom
dérivé de l'usage qui en est fait en construction : madrier, bastaing,
chevron, liteau, volige, planche, etc.
Pour faire tourner la scierie, "une machine à vapeur de 250 Cv
actionnait les 14 bancs de scie, circulaires, à ruban ou alternatives. En outre
elle produisait de l'électricité pour éclairer le chantier dont le travail se
terminait à 19 heures." C'est sans doute le sifflet de la machine qui
ordonnait la "prise" et la "fin" de service.
En visitant la scierie musée de Sainte-Croix-aux-Mines, on se rend compte que
le sous-sol d'une scierie, qu'on ne voit que rarement, est le haut lieu de la
transmission des machines par arbre, renvois, poulies et courroies. C'est là
que le bâti des machines est fortement ancré et scellé dans le sol dans des
blocs de pierre ou de béton. On y trouve également la transformation des
chutes et la récupération des sciures qui alimentent la machine à vapeur à
raison de deux caisses toutes les dix minutes.
Les logements
ouvriers
En face de la scierie,
de l'autre côté de la route du Baron, un coron fait de maisons de bois avait
été construit pour loger les ouvriers étrangers
à la région et leur famille. Ceux de la région qui travaillaient sur
le chantier, habitaient les communes voisines à quelques kilomètres autour de
la forêt.
Pour
créer un lieu de vie, un puits de 97 mètres fut creusé en bordure de la
route. Une pompe remontait l'eau dans un château d'eau composé d'une
cuve rivetée posée sur un socle en maçonnerie. Le tout était abrité
sous un édifice en ciment. |
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Comme dans
beaucoup d'autres scieries, les ouvriers étaient logés avec leur nichée
dans des baraquements de fortune auprès du chantier. Photo prise en hiver
route du Baron bordée de cabanes en bois qui abritaient les familles de
bûcherons. D'autres moins sédentaires restaient en forêt et logeaient dans des huttes construites à l'aide de branches recouvertes de mousse et de terre avec pour seul ouverture une porte toujours située au levant pour éviter les fortes pluies. Noter la voie au premier plan qui se dirige vers la scierie. Vue en direction Nord-Ouest. |
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Les corons
pour loger les ouvriers et leur famille. Un alignement de baraques en bois
sommairement construites le long de la route à proximité de la scierie. "Une vingtaine de maisons construites, tant pour les ménages qui auraient dû se loger à trop grande distance que pour les célibataires qui eussent difficilement trouvé, à des prix raisonnables, un domicile à St Léonard ou Marchenoir-Ville. Ces derniers sont logés dans un local commun. Aucun débit n'existe au voisinage du hameau et l'hygiène des travailleurs n'en est qu'améliorée". |
Les chemins de
fer forestiers
Les
chemins de fer forestiers sont globalement contemporains de l'apparition des
chemins de fer portatifs, tel que les avaient imaginés, inventés et mis en
oeuvre conjointement Paul Decauville et le Capitaine Prosper Péchot en 1888.
La construction d'un chemin de fer forestier est favorable au développement du
grand commerce qui demande à écouler sa marchandise le plus vite possible.
Dans son ouvrage "Petits chemins de fer forestiers" - 1892 -
(Edmond Thiéry 1841-19??), le professeur Thiéry (Professeur à l'École
nationale des Eaux et Forêts de Nancy) s'inspire de ce mode de manutention
déjà en pratique en Suisse et en Allemagne dans le Bulletin de la Société
industrielle de l'Est.
Il aborde dans son ouvrage l'établissement de la voie, le matériel roulant, et
les conditions pour lesquelles il y a intérêt à introduire des voies ferrées
dans les forêts. Cette étude, très détaillée et alimentée des techniques
en vigueur à l'époque, examine les arguments développés par les utilisateurs
contemporains comme les grandes compagnies.
Il fait, pour la voie, référence à la Maison Decauville et au chemin de fer
d'Abreschviller.
Si l'on compare les coefficients de roulement des divers modes de transport, sur
voie ferrée il est de 0,006, sur les chemins empierrés de 0,03 - 0,07 et sur
les chemins en terrain naturel de 0,10 on se rend compte que sur une voie
ferrée, il faut cinq fois moins d'effort que sur un chemin empierré et 17 fois
moins que sur une allée en terrain naturel comme il est question à Marchenoir.
Par ailleurs, la forêt de Marchenoir n'ayant pas de déclivités notables, le
rapport entre les coefficients de roulement reste constant. En effet, les rampes
et pentes l'auraient fait varier considérablement.
Un autre aspect des bienfaits de l'implantation d'une voie ferrée sont les
avantages résultant d'une économie importante dans les frais de transport. À
ce sujet, il serait intéressant de savoir si la création des allées est
contemporaine de la mise en oeuvre du chantier ou antérieure au projet.
Le prix du transport sur un chemin naturel était, l'époque de 4 Frs la tonne.
Avec la pose d'une voie ferrée il s'abaisse à 1,6 Fr la tonne. L'empierrement
du chemin pour le roulage aurait rendu le prix à 2,4 Frs la tonne.
Dans le cas où aucun chemin n'existerait la largeur à créer pour la pose
d'une voie ferrée aurait été de 2 m. au lieu de 5 m. pour une route
empierrée.
La Voie
La voie était posée en accotement à même le sol avec ballast. Elle avait un
travelage assez serré et était bien dressée sur la route du Baron. Le rail
était au moins du 9,5 Kg ce qui permettait de supporter une charge de 3000 Kg
à l'essieu.
Le gabarit d'une largeur habituelle de 1,80 m. laissait une largeur libre pour
les rouliers ou charrons de 5 m.
Le ballast remplit des conditions multiples. Tout d'abord, c'est lui qui assure
la stabilisation de la voie et donc la transition entre la charge des essieux et
la plate-forme. Il faut que les traverses soient soigneusement bourrées à la
batte de façon à ce que le ballast soit bien appuyé contre la traverse. Si
cette dernière est en fer, l'auge renversée formée par la traverse doit être
complètement garnie. Il assure en outre la circulation de l'eau de manière à
ce qu'elle ne puisse stagner autour des traverses et des rails. Pour ce type de
voie étroite, le cube de ballast est d'environ 400 m3 au kilomètre
mais on peut penser que cette valeur préconisée par les manuels de travaux
publics ne soit pas atteinte par souci d'économie et de temps de pose.
La route du Baron mainte fois photographiée est, semble-t-il par sa position,
l'artère principale aboutissant à la scierie et certaines cartes postales
montrent que ces dispositions semblent avoir été remplies. Il doit en être
autrement pour les autres routes y menant où les voies mobiles sont simplement
jetées et éclissées à la demande d'autant que la topographie n'est pas
accidentée.
Les courbes pouvaient descendre à 30 m. de rayon. Cette valeur pouvant être
encore diminuée sur le chantier ou à l'intérieur des carreaux de coupe. En
ouvrant ou serrant les joints de voie, on peut se donner une certaine souplesse
dans les raccordements.
Les
locomotives de Marchenoir
Il y eut 3 locomotives à Marchenoir deux Decauville type 34
et une O&K non identifiée.
une
locomotive Decauville type 3 n°284 de 1899 qui portait le nom de Porthos.
Elle a été livrée le 12 janvier 1899 à Dequéker & Jardins. Sa
chaudière a été éprouvée le 24 octobre 1898.
La Société Française d'Exploitation Forestière, Domaine de Marchenoir
l'aurait acquise d'occasion le 3 septembre 1913. Or sur certaines cartes
postales des dates antérieures, apparaissent. Il s'agit sûrement de
l'année 1903 et non 1913, le "Decauville Steam locomotives, a works
list" mentionne une date d'épreuve hydraulique le 31 mai 1901.
Elle passe ensuite aux sucreries Retheloises dans les Ardennes.
une autre Decauville n°508, "Françoise" livrée neuve le 17 août 1908 à la même Société à Marchenoir. Sa chaudière n°5018 ayant été éprouvée le 31 juillet de la même année.
une O&K non identifiée (recherche en cours).
Les
locomotives Decauville du type 3
Les machines
Decauville du type 3 de 5 tonnes à vide et 6 t. en ordre de marche ont 4 roues
couplées. L'essieu arrière est commandé par la bielle motrice et celui
d'avant par une bielle d'accouplement.
Les roues ont un diamètre de 60 cm. au roulement. Les bandages sont en acier
laminé, les rayons et le moyeu en fer forgé. La saillie du mentonnet est de 22
millimètres.
Le foyer est en cuivre rouge entretoisé, la grille en fer forgé assemblée
avec des triangles.
La chaudière est en tôle de 22 millimètres d'épaisseur avec double rivure.
Les tubes au nombre de 51 sont en laiton et ont un diamètre intérieur de 40
mm. et une épaisseur de 3. Ils sont sertis sur les plaques tubulaires (côté
foyer et boîte à fumée). Le timbre de la chaudière est de 12 bar. Dans les
forêts, la cheminée est de type "américain" avec une grille
empêchant la projections de flammèches. Le cendrier est basculant.
La distribution est du type Waelscherts. Le frein à vis agit par
l'intermédiaire de sabots en bois ou en fonte sur l'essieu arrière.
Coté plate-forme, la chaudière présente tous les accessoires de sécurité et
de conduite de la machine : niveau d'eau et jauges, manomètre, injecteurs et
sifflet. Une pompe alimentaire, est asservi sur le mécanisme pour introduire
l'eau dans la chaudière. À l'arrêt ce sont les injecteurs qui assurent cette
fonction.
L'approvisionnement en charbon ou en bois est stocké dans des caisses donnant
accès à l'intérieur de la cabine. L'eau est stockée dans des soutes
latérales, le long de la chaudière. Leur contenance est de 500 litres. Leur
remplissage peut se faire à partir de mares grâce à un éjecteur Friedman. Il
faut environ 5 minutes pour remplir les 500 litres d'eau.
La machine est munie de soupapes de sécurité et d'une sablière.
Les machines de type 3 peuvent fournir sans tender, un trajet de 12 à 15
kilomètres en remorquant 15 à 20 tonnes utiles avec des rampes allant jusqu'à
15 millimètres par mètres.
Une machine de ce type valait à l'époque 14 800 Francs.
Le chêne
Le
chêne présente un bois dur et résistant ce qui valorise son utilisation
en ébénisterie et en menuiserie. Sa densité est comprise entre 0,61 et 0,98.
Il peut vivre jusqu'à 600 ans mais dès le XVIIème Siècle on
s'accordait à le couper à l'âge de 250 à 300 ans. Cet âge, aujourd'hui, par
souci d'économie et de rentabilité tend à se réduire.
Sa forte teneur en tanin le protège contre les champignons et le insectes. Son
bois est prisé depuis le Moyen-Âge et sous Louis XIV, Colbert le faisait
abattre en forêt de Tronçais pour la construction navale et autres
constructions de charpente en bois (églises, châteaux, monuments historiques).
Il est utilisé également en menuiserie, en parqueterie et en tonnellerie. Les
fûts de vin, cognac, whisky fabriqués en chêne favorisent le vieillissement
des spiritueux et contribuent à leur saveur.
Pour connaître le volume et la valeur des bois d'œuvre, on mesure le diamètre
de la grume à 1,30 m. et des barèmes de cubage donnent le volume en fonction
de la distance du sol aux premières branches.
On distingue 4 classes de qualité de bois qui donneront du merrain pour la
meilleure qualité, des plots ou planches non délignées pour la deuxième, de
la charpente et des avivés7
pour la parqueterie, ou enfin le bois à usage industriel : traverses de chemin
de fer, palettes, etc.
À droite, le chêne Pattu mesurant 9 mètres de circonférence aux
racines.
Épilogue
Dans
le journal La Croix n°7862 du jeudi 12 Novembre 1908 troisième colonne
dans la rubrique "Chambre des Députés", "Budget de
l'agriculture" on peut lire..."La destruction des forêts qui
depuis quelques années se poursuit pour le plus grand préjudice de la richesse
nationale".
L'article site les cinq principaux destructeurs au nombre desquels,
"la Société Viscaya en Loir-et-Cher (forêt de Marchenoir) où 3500
hectares ont disparu, une scierie s'est installée au beau milieu de la forêt
dont les deux tiers sont déjà ruinés."
Cette critique rappelle que la coupe doit normalement être à la fois
opération de récolte et opération de culture, ce qui n'était pas la
préoccupation principale en forêt de Machenoir.
Contrairement à l'approche de l'art forestier né au XVIIIème S. et
appliqué aux forêts domaniales, l'activité de cette forêt était purement
économique avec une vision moderne pour l'époque, de la mécanisation
industrielle (machine à vapeur, bancs de scie divers, chemin de fer à voie
étroite, etc.).
* * *
Tout semble avoir
disparu à une date inconnue après la cessation de l'activité en 1911. Ce
serait à cause de la vétusté des bâtiments construits à l'économie, vu l'éphémérité
de l'exploitation, qu'aucune trace de bâtis n'a subsisté. Le matériel a dû
être revendu, c'est le cas de la locomotive Decauville type 3 qui est passée
aux sucreries Retheloises, les constructions en bois ont été démolies et la
nature a repris tout naturellement sa place. Les belles allées rectilignes
superbement tracées, elles aussi ont disparu sous la végétation à
l'exception de quelques-unes encore nécessaires à l'entretien de la forêt et
pour la chasse.
En effet sur le site pas de marques au sol à l'endroit où se trouvaient les
édifices. La maison du directeur, le garage, le bureau n'ont pas laissé de
marques au sol, pas non plus les deux grands bâtiments qui abritaient les bancs
de scie. Il ne reste absolument rien. Le ballast de l'ancienne ligne de chemin
de fer a également disparu.
Homme libre, toujours tu chériras la forêt
* * *
En
1917, le Camp forestier de Marchenoir, composé de bûcherons et d'ingénieurs
fut créé pour produire des traverses de chemin de fer. Le camp se trouvait à
la croisée des chemins de Marchenoir, Lorges, et Le Plessis l'Échelle au
lieu-dit de l'Étoile.
La scierie abandonnée en 1911 reprit-elle alors de l'activité ?
Il fallait compter cinq jours pour installer complètement une scierie. Des
Américains importèrent des scieries modernes actionnées par des machines à
vapeur qui étaient prévues pour produire de 3 à 6000 mètres linéaires de
bois scié par jour.
Selon Gérard Boutet dans son livre "Les Forestiers", les
Américains qui "bivouaquaient à l'Étoile et à la Grande Scierie pour
s'éviter d'épater les arbres qu'ils devaient abattre, ils les coupaient à un
mètre du sol. Un massacre... Les passe-partout américains, bien affûtés,
avaient beaucoup plus de mordant " que ceux des gens du cru.
Selon une information orale, la scierie aurait été équipée (date inconnue)
pour adapter le cas échéant des mitrailleuses.
Le chantier J.
Borderel
Peu d'information sur
ce chantier, sis en ou près de la forêt, hormis les quelques cartes postales
de l'époque qui nous en donnent une idée de l'importance.
La gare de
Machenoir-St Léonard8
Située sur le bord de la route reliant les deux villages, la gare en
portait les deux noms. Elle a été construite en 1897 onze ans après
l'établissement de la ligne Orléans—Blois par Oucques avec embranchement
vers Vendôme et Châteaudun des TELC5.
Lors de la construction de la ligne en 1888, ce n'était qu'une simple halte
sans abri pour les voyageurs. C'est la commune de Marchenoir qui supporta les
frais de la construction. En 1931 la gare reçut l'électricité.
Les produits finis étaient ensuite expédiés par le chemin de fer en gare de
Marchenoir-St Léonard. Les wagons chargés à la scierie y stationnaient dans
l'attente d'être attelés à un train de marchandises.
Pour plus d'informations sur la gare de Marchenoir-Saint Léonard, consulter le Bulletin municipal 2010 de Saint Léonard-en-Beauce.
Je remercie MM. Jean-Claude Bigot et Sylvain Monédière pour les documents précieux qu'ils m'ont transmis.
Notes
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Sources :
Sites :
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