Le chemin de fer et la littérature

 

 

Georges Labrousse

Les yeux de Nina
ou la vie d'une famille paysanne en Périgord avant la grande guerre de 14-18

Jeudi 3 septembre 1914, Justin Descombes se retrouve sur le quai de la gare de Bergerac, comme des centaines d'autres soldats, dans un brouhaha infernal. Les locomotives lancent des jets de vapeur semblables à des panaches blancs en ébullition tandis que les cheminées crachent, par saccade, une fumé noire et âcre qui prend à la gorge. Des coups de sifflet intempestifs ponctuent la manœuvre des convois en formation, tandis que les wagons, dans un concert de chocs métalliques, viennent se bousculer pour former les rames. Les employés de chemin de fer s'interpellent au milieu de tout ce vacarme, lançant un ordre bref ou donnant une précision à leur supérieur. Les exclamations des réservistes, comme lui,  venant de reconnaître un ami, un voisin ou un parent qu'ils n'ont pas eu l'occasion de rencontrer lors de ces  quelques jours passés à la caserne, à qui ils lancent la question fatidique :"Où est-ce qu'on t'envoie ?" s'ajoutent à ce charivari.
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Le lundi matin, Aristide conduisit le jeune couple à la gare de Mauzens avec la jardinière et la jument.
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Nina avait eu l'occasion de voir le train dans la plaine de Malmussou ou bien en allant rendre visite à ses cousins de Manaurie puisque la route qu'elle empruntait longeait la voie ferrée. Elle éprouvait d'ailleurs une certaine crainte à l'approche de cette grosse machine fumante et haletante qui faisait tressaillir les animaux et s'emballer parfois les chevaux nerveux que les cochers avaient du mal à maîtriser. Mais elle n'avait jamais emprunté de moyen de locomotion. Aussi fallait-il bien la présence de Justin qui avait voyagé par le chemin de fer pendant son service militaire pour la rassurer. Nina s'émerveilla de mille choses pendant ce voyage. Ce fut d'abord le passage sur le viaduc de La Loulie qui l'enchanta, elle qui ne l'avait jamais vu  que depuis la route qu'il enjambe, puis le tunnel de La Gélie, où dans le noir, elle se blottit un peu plus contre son mari, vaguement inquiète, et enfin, les grands étangs bordant la voie, beaucoup plus étendus que les mares qu'elles connaissait dans les environs de Pech Aumont.
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Lorsque le train longeait de larges vallées occupées par de beaux champs bien plats et bien alignés, elle ne pouvait s'empêcher de glisser à Justin : "Tu as vu comme elles doivent être faciles à cultiver ces Terres ? ".
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Le train s'arrêtait souvent car les gares n'étaient qu'à quelques kilomètres les unes des autres, mais partout, il régnait une atmosphère bien particulière. Le passage du train provoquait une agitation inconnue de Nina : on apercevait des jardinières attelées à un cheval attendant des voyageurs, des charrettes chargées de bois que l'on allait empiler sur des wagons, des employés s'affairant autour de la locomotive tout en se lançant des consignes.
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Le convoi s'arrêta en gare de Saint Georges, faubourg de Périgueux, où de nombreux voyageurs descendirent. Il était certain que beaucoup de ces voyageurs venaient de la  région de Belvès, du Buisson ou du Bugue où ils avaient passé le jour de Pâques en famille, chez les parents, chez un frère resté à la ferme ou chez des cousins. Beaucoup de ces nouveaux citadins avaient été embauchés par  des ateliers depuis l'arrivée du chemin  de fer à Périgueux en 1860 et dont le développement demandait de plus en plus de main-d'œuvre. Ils restèrent dans le train suivant les consignes de l'oncle Sylvain qui leur avait bien précisé de ne pas descendre à la station de Saint Georges, quartier situé trop loin de son domicile.

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Bazile évoqua le déraillement volontaire de deux wagons de marchandises que l'on avait provoqué à Agonac car ils étaient partis à la dérive de la gare de Thiviers et on disait qu'emportés par leur élan, ils avaient traversé des gares de Nérondes et de Ligueux, à 100 Km/h
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Vers Huit heures, les voisins commencèrent à arriver, chapeau de paille sur la tête et mouchoir à carreaux noué autour du coup... Les flammes ronflaient dans le foyer de la locomobile et quand Bartusse en ouvrit la porte, l'appel d'air les plaqua au fond. Avec un tel tirage, la vapeur devait être prête à actionner la machine. Il remplit à nouveau le ventre de la bête de belles bûches et tira la poignée du sifflet qui appela les batteurs à leur poste. Le ronronnement de la batteuse mue par la grande courroie de transmission alla en s'amplifiant.
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  • 2004

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