Le chemin de fer et la littérature

 

Édouard Bled

Qui n'a pas eu entre les mains le fameux Cours d'orthographe d'Edourd Bled de l'école primaire avec la traditionnelle leçon suivie d'exercices. Enfant de l'école de la "République" Edouard Bled était aussi un référence pour les instituteurs qui ont eu à enseigner l'orthographe. Dans cet ouvrages, l'auteur nous livre un saisissant témoignage, de début du siècle au rythme de la sérénité des banlieues brainqueballées par le chemin de fer et le tramway.
"Sur  un cahier, je relevais mes observations, mes réflexions. Ce n'est  pas par plaisir que quinze enfants font la même faute ou s'engagent dans un mauvais raisonnement. J'essayais de trouver l'explication et la parade".

Mes écoles

Pour nous déplacer, nous empruntions le métro, de création récente, ou des omnibus tirés par des chevaux. Nous montions à l'impériale. C'était un enchantement. Nous allions souvent jusqu'au terminus, rien que pour voir changer les attelages. A certains endroits difficiles, montueux, sur le parcours des lignes qui conduisaient à Montmartre, Belleville ou Ménilmontant, des attelages supplémentaires attendaient. Les emplacements étaient signalés par un poteau portant une plaque "Chevaux de Renfort". Il n'y a pas si longtemps un ou deux de ces poteaux indicateurs existaient encore sur les Grand Boulevards. Certains de ces omnibus glissaient sur des rails. Nous prenions quelquefois le tramway à vapeur qui allait de la Place de la Nation au Louvre.

pages 38-39.

Nous faisions des voyages imaginaires. Nous transportions par voies d'eau, du charbon des mines du Nord à Briare ou à Montereau. Une autre fois, nous décidions de nous rendre par chemin de fer à Toulouse ou à Nice, où irions-nous prendre notre billet ? Quels seraient les principaux points d'arrêt  ? Le voyage Paris-Nice durait à l'époque près de vingt heures.
Les chemins de fer étaient partagés en réseaux. Les grandes lignes convergeant vers Paris tissent une  toile d'araignée. Sur les cartes, les fils noirs se détachaient alors sur un fond multicolore. Le réseau du Nord était ocre ; l'Est, bleu ; l'Orléans, jaune ; l'État, rose ; le PLM, vert ; le midi,
violet.
Le Midi, isolé au bas de la carte, entre la Garonne et les Pyrénées, faisait figure de parent pauvre. N'aboutissant pas à Paris, il semblait ne pas nous concerner. Il nous intéressait peu.
Nous ne disions plus Paris-Strasbourg, mais Paris-Avricourt. Un bref alinéa de la leçon, illustrée par une vue panoramique de Metz, nous ramenait au drame :   "Aujourd'hui, mieux que jamais, en dépit de l'annexion, l'Alsace-Lorainne se sent française de cœur. Elle a été conquise par la force, elle est française de droit ".
Des affiches des compagnies de chemin de fer décoraient les murs de notre classe. L'une d'elle représentait Nice, sa baie, son ciel lumineux, son arrière pays avec ses montagnes enneigées. Une grande et belle niçoise en costume régional, un bouquet d'œillet sur les bras, tenait tout un côté de l'affiche.

Pages 56-57.

Quelle épreuve quand nous accompagnâmes Sylvain et Jacques à la gare du Parc et que nous vîmes les lanternes du train s'éloigner, ne plus être dans la nuit que deux petits points rouges incertains, puis disparaître dans une courbe !
Notre cœurs étaient serrés à éclater. Vers quel destin allaient-ils ?

Page 191.

Note"Mes écoles" - Édouard Bled - Éd. Rober - Laffont - 1997.

"Mes écoles" le livre de l'émotion et de la mémoire.

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