Le chemin de fer et la littérature
Guy de Maupassant
Bel Ami
La chambre du jeune
homme, au cinquième étage donnait, comme sur un abîme profond, sur l'immense
tranchée du chemin de fer de l'Ouest, juste au dessus de la sortie du tunnel,
près de la gare des Batignolles.
Duroy ouvrit sa fenêtre et s'accouda sur l'appui de fer rouillé.
Au-dessous de lui, dans le fond du trou sombre, trois signaux rouges
immobiles avaient l'air de gros yeux de bête ; et plus loin on en voyait
d'autres, et encore d'autres, encore plus loin. À tout instant des coups de
sifflets prolongés ou courts passaient dans la nuit, les uns proche, les autres
à peine perceptibles, venus de là-bas, du côté d'Asnières. Ils avaient des
modulations comme des appels de voix. Un d'eux se rapprochait, poussant toujours
son cri plaintif qui remplissait qui grandissait de seconde en seconde, et
bientôt une grosse lumière jaune apparut, courant avec un grand bruit ;
et Duroy regarda le long chapelet des wagons s'engouffrant sous le
tunnel.
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Puis il se coucha bercé
par le sifflet des trains.
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On apercevait d'abord une
petite toile de Jean Béraud, intitulée : Le haut et le bas. C'était
une jolie Parisienne montant l'escalier d'un tramway en marche. Sa tête
apparaissait au niveau de l'impériale, et les messieurs assis sur les bancs
découvraient , avec une satisfaction avide, le jeune visage qui venait vers eux, tandis que les hommes debout sur la plate-forme du bas considéraient les
jambes de la jeune femme avec une expression différente de dépit et de
convoitise.
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Il se dit : "Je
tiens le moyen." Et comme il se sentait maintenant la peau brûlante il
rouvrit la fenêtre.
Le jour naissait, calme et glacial. Là-haut, les étoiles semblaient mourir au
fond du firmament éclairci, et dans la tranchée profonde du chemin de fer les
signaux verts, rouges et blancs palissaient.
Les premières locomotives sortaient du garage et s'en venaient en sifflant
chercher les premiers trains.
D'autres dans le lointain, jetaient des appels aigus et répétés, leurs cris
de réveil ; comme font les coqs dans les champs.
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Madame forestier l'avait
conduit à la gare. Ils se promenaient tranquillement sur le quai, en attendant
l'heure du départ, et parlaient de choses indifférentes.
Le train arriva, très court, un vrai rapide, n'ayant que cinq wagons.
...
Un employé criait : "Marseille, Lyon, Paris, en voiture". Duroy monta,
puis s'accouda à la portière pour lui dire encore quelques mots. La locomotive
siffla et le convoi doucement se mit en marche.
Le jeune homme, penché hors du wagon, regardait la jeune femme immobile sur le
quai dont le regard lui suivait.
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Le train traversait
doucement la longue gare de Batignolles, puis franchit la plaine galeuse qui va
des fortifications à la Seine.
Duroy et sa femme, de temps en temps prononçaient quelques mots inutiles, puis
se tournaient de nouveau vers la portière.
Quand ils passèrent le pont d'Asnières une gaîté les saisit à la vue de la
rivière couverte de bateaux de pêcheurs et de canotiers.
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Il aimait partir avec
elle par un jour clair sur l'impériale d'un train de banlieue et traverser en
disant des bêtises gaies, la vilaine campagne de Paris où bourgeonnent
d'affreux chalets bourgeois.
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