Le chemin de fer et la littérature

 

 

Sim

La baronne de la tronche en biais

Le lendemain, la baronne de la Tronche en biais arrivait en gare de Lyon par un train du matin. Son compartiment de wagon-lit encombré par un nombre imposant de bagages, le visage encore plus défait que ses valises, elle frappait désespérément à la vitre inouvrable de ces convois modernes dans l'espoir d'attirer l'attention d'un porteur introuvable. Le contrôleur passa dans le couloir.
- Madame, on ne peut pas ouvrir les vitres dans les trains à grande vitesse.
Adélaïde se retourna, très énervée.
- Ah bon ? Et comment fais-je pour avoir un porteur ?
- C'est pareil, madame. Les porteurs sont remplacés par des chariots qu'il faut pousser soi-même.
Elle eut la vision fugitive des anciens chemins de fer de la Compagnie eu P.L.M. qui la trains portait vers la Riviera de sa jeunesse, des locomotives qui fumaient le cigare en flânant dans la campagne, des wagons restaurants où la bonne cuisine 
était servie avec des gants blancs, et des vaches qui regardaient passer les trains sans être devenues folles. Ces fragiles souvenirs disparurent sur une injonction du contrôleur.
-Faut pas rester là, madame. Le service du nettoyage va passer tout de suite.
La baronne empoigna ses bagages tant bien que mal, en maugréant.
- C'est quand même malheureux de voir ça ! Ah, il est beau le progrès ! Il faut poinçonner soi-même les billets, manger sur ses genoux, porter ses valises. pourquoi ne pas conduire la locomotive pendant qu'on y est ?
Elle descendit sur le quai, presque poussée par des femmes de ménages venaient d'investir le w wagon à grands renforts de cris étrangers. Ses mains prises par deux valises, un gros sac en, bandoulière une boîte en fer à ses pieds, la situation 
semblait figée jusqu'à l'aide proposée par un petit vieux qui passait dans le flot des voyageurs.
- Puis-je vous aider Madame ? Adélaïde ! s'exclama-t-il. Que faites-vous là ?
Elle rajusta ses lunettes décadrées par l'effort et découvrit un personnage datant des débuts du chemin de fer. Chapeau à bord roulé, manteau raglan, bottines à guêtres, il donnait l'impression d'être parti d'u siècle dernier et d'avoir beaucoup 
souffert du voyage.
La baronne le reconnut malgré tout.
- Oh cher vicomte ! Vous étiez sur la Côte, vous aussi ?
- Non malheureusement ! Mes moyens ne me le permettent plus, le viens parfois à la gare de Lyon dans l'espoir d'y rencontrer d'anciennes relations et d'assister aux retours de ceux qui peuvent encore partir.

Source

  • La baronne de la tronche en biais - Sim - Plon - 1997 - p. 119-121

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