Ondée, le dernier souffle

Marc André Dubout

L'Ondée dernier bateau à vapeur de la Marine Nationale munie d'une machine alternative a donné son dernier souffle fin août début septembre 2015 au Havre dans le chantier de déchirage Gardet Bézénac.
Plusieurs projets de sauvegarde avaient été envisagés depuis ses dernières navigations dans les années 2000 et il avait même fait l'objet d'une étude de cas dans une réflexion sur les Méthodologies et approches de la sauvegarde, la conservation et la valorisation du patrimoine maritime du port-arsenal de Brest en 2008 à l'Université de Bretagne occidentale (UBO) dont un atelier exploratoire avait eu lieu en avril 2013 au Centre François Viète.

Son histoire

Cette citerne à vapeur de la Marine Nationale avait été commandée le 4 janvier 1934, et construite par les Forges et Chantiers de la Méditerranée (Établissement de Graville-Le Havre). Elle est mise en service en 1935, et son port d'attache est Brest.
Après guerre elle est coulée au fond de la Penfeld et renflouée une première fois pour reprendre du service dans le cadre du ravitaillement en eau douce des navires de la Flotte, puis pour celui des îles de Sein et Molène en pénurie d'eau l'été.
En janvier 1982, l'Ondée est de nouveau retrouvée coulée au fond de la Penfeld et une nouvelle fois renflouée. Elle reprend du service pour rallier régulièrement Molène en 19851.
En février 1986, elle assure la même mission de ravitaillement pour l'île Longue, mais cette fois pour des besoins militaires.
En 1988, on la voit aux fêtes de Douarnenez où elle est immortalisée par une peinture de Philippe Brobeck .
En 1993, elle est retirée du service et reste à flot au fond de la Penfeld, en attente d'autres aventures.
Le site http://www.netmarine.net nous livre que "l'Ondée a été condamné le 8 janvier 2013 (n° de condamnation Q864). En attente, au fond de la Penfeld, la coque de l'Ondée est destinée à la démolition."

Voilà l'Ondée meurt là où elle est née

En juillet 2008 à l'occasion de "Brest 2008", j'avais eu l'opportunité de me rendre à bord et de faire plusieurs photographies du bateau et de sa machine voir l'article 
Depuis divers projets de sauvegardes ont été évoqués par des organismes ou associations : Fédération Régionale du Conservatoire du Patrimoine Maritime (FRCPM), l'association "Mémoire en devenir". 
J'avais rencontré à ce sujet un responsable de la sauvegarde du patrimoine à Brest.
Une expérience similaire de sauvegarde avait été mise en oeuvre par Joël Le Guen avec la machine à vapeur triple expansion de 500 Ch de 1938 qui équipait "la Persistante" aujourd'hui stockée dans le réserves du Musée de la Marine (Paris). L'article de presse de l'époque.

Plus récemment
En 2013, un intérêt de la part du la Préfecture maritime de Brest et des MH (DRAC Bretagne) renaît et l'Ondée bénéficie d'une conjoncture favorable. Un problème de taille reste cependant à résoudre : la présence d'amiante, l'état de la coque (oxydation et présence de béton dans les fonds), la remise en état qui s'en suivrait, puis la prise en charge par une collectivité territoriale.
Au sujet du désamiantage le chiffre de 35 K€ m'avait été transmis à Brest lors de ma visite de 2008. Aujourd'hui les devis ont été multipliés par dix, sans compter que le désamiantage de la sole passerait par une découpe de la coque sans soulever la chaudière. 
Des échanges entre le Président d'AMERAMI Thierry d'Arbonneau et le chef d'État Major de la Marine ont fait renaître l'espoir d'une sauvegarde, non pas du bateau (à cause de l'état de la coque), mais de la machine et divers accessoires à l'occasion de la déconstruction décidée par la Marine. C'est alors que Jean Blanchard, Dominique Martel et moi sommes allés rendre visite au chantier Gardet Bézénac du Havre pour voir la machine précieusement mise de côté en vue de sa sauvegarde.
Parallèlement, des contacts pris avec le Musée maritime et portuaire du Havre ont permis de trouver une solution d'hébergement pour ce colis de 14 tonnes, inscrit dans un volume 2x4x3 mètres.
Entre temps nous avions, au vu de notre visite, dressé un inventaire des accessoires à sauvegarder 

- la sirène,
- le transmetteur d'ordres timonerie,
- le transmetteur d'ordres machine,
- le parquet machine, niveau vilebrequin,
- le parquet machine, niveau moteurs,
- le parquet machine, niveau têtes de cylindres,
- la machine à vapeur auxiliaire monocylindre, circulation eau condenseur,
- face de la chaudière, gueules de chargement charbon,
- outillage spécifique chaudière et machine.
- l'hélice...

Ne restait plus qu'attendre la décision finale de cession prise par le Ministre de la Défense. Cette décision, positive, nous est parvenue le 18 novembre 2015. 
La machine à vapeur de l'Ondée sera cédée gratuitement à l'association AMERAMI. 
À la suite de quoi divers contacts ont été établis pour la logistique à mettre en place en vue de son transfert au Musée Maritime et Portuaire du Havre.

Quelques photographies prises en septembre 2015

La machine mise, à l'écart du chantier de déconstruction en attente  de cession par la Marine.
Jean qui pose à côté donne une idée de son volume. Noter la sortie d'échappement à côté du cylindre BP
À droite vue côté cylindre HP. En haut à droite le tuyau d'admission. La machine tournait sous 13 bars.
Le graisseur de tiroir cylindrique est encore en place ainsi que les soupapes des trois cylindres HP, MP et BP.
Au premier plan l'excentrique, les bielles de distribution et le secteur.
Le bâti a gardé sa peinture verte en bon état.
La puissance de la machine est de 300 Cv.
La chaudière à double foyer et retour de flamme. On distingue en haut le tuyau de prise de vapeur. En façade les huit tirants longitudinaux. En-dessous la double batterie de tubes et en-dessous les deux gueulards et les trappes de cendriers et en-dessous encore la trappe de visite encadrée de deux tirants supplémentaires.
Les tubes sont dudgeonnés. 
À gauche du gueulard, la vanne de remplissage de la chaudière.
Noter la double rangée de rivetage raccordant la plaque de tubulaire avant au corps de chauffe et la corrosion du corps de chauffe duquel des plaques de rouille se détachent.

En 1956, la chaudière est remplacée par celle du remorqueur Pen'Hir.
La partie où se trouvent les tubes était enfermée dans ce qui constituait la boîte à fumée (retour de flamme) comme l'illustre cette photo prise en 2008.
Deux portes s'ouvrant sur le devant permettait le ramonage des tubes de fumée.
Vue latérale du corps de chauffe. Noter le chapelet de rivets qui ferme la virole. C'est du sérieux.
Les joints d'amiante nous a-ton dit se trouvent au niveau des bandes blanches (c'est leur signalement).
Sur la photo de droite on remarque une corrosion importante de la virole.
Le foyer bâbord, en bas les deux plans de grille en longueur.
Noter le bosselage du ciel de foyer offrant ainsi une surface de chauffe plus importante
Les ringards sont restés en place.
Le cendrier bâbord. Au-dessus les deux plans de grilles longitudinaux.
L'hélice à trois pales de 2 mètres de diamètre.


Quelques accessoires qui seront également sauvegardés (pompes, génératrices, etc. ).

La Coque
La coque a été jugée irrécupérable. Comme l'atteste ces photos, la corrosion est importante dans les oeuvres vives (11 mm. à l'origine).
La coque en acier riveté avait une épaisseur de 11 mm. dans oeuvres vives et 8 pour les oeuvres mortes.

Au dessus de la ligne de flottaison, ce qui reste de la lisse en bois dont l'épaisseur initiale était de 15 cm. permettant la mise à couple avec le navire ravitaillé.
Les membrures en cornière de 80 x 60 x 8. étaient espacées de 700mm. 
Noter l'épaisseur de ciment répandu au fond de la coque.


Le ciment abonde en fond de cale sur toute la longueur du bateau.

 

Voilà ce qui reste d'une unité qui a servi de 1935 à 2015. Quatre-vingt ans d'existence.
Bien sûr d'aucuns auraient aimé revoir naviguer cette citerne emblématique (j'en faisais partie) mais il faut aussi parfois se rendre à l'évidence, le temps fait son chemin.

Notes :

1 les travaux de la construction de la digue ont été gros consommateurs d'eau douce.

Voir aussi :

Sources :

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