De Namur à Dinant sur le Touriste I

Marc André Dubout

De Namur à Dinant sur le Touriste I c'était il y a encore trois ans une balade classique sur un bateau dont les touristes ne soupçonnaient même pas son histoire unique. On embarquait, le bateau larguait ses amarres et l'on suivait la rivière qui jusqu' à Namur, qui jusqu'à Dinant et les jours se suivaient ainsi au fil de la Meuse, au gré des écluses. Puis le bateau est resté dans sa darse en amont de Dinant et les semaines et les mois ont passé il était à couple du Touriste IV non pas abandonné mais un peu oublié. Une génération de bateaux plus jeunes, plus modernes, plus confortables aussi s'étaient substitués, ils avaient pris la relève mais le charme s'était évanoui. Et oui un bateau ce doit être beau, ça doit avoir du charme, ça doit faire rêver et bien nous, nous avons rêvé le temps d'une remonte de Namur à Dinant. Les croisières fluviales dans cette belle région remportent un franc succès. Actuellement plusieurs affréteurs organisent des croisières régulières entre les deux villes et accueillent des événements. Mais la nôtre de fut autre chose.

Samedi 27 octobre 2012
Avec Pierrick nous sortons de l'hôtel Ibis il fait beau alors que lorsque nous sommes arrivés la veille il pleuvait et le froid avait gagné la Wallonie. Nous montons dans la voiture de notre hôte direction le port de Namur. le Touriste I est à couple d'une péniche de fret, il est resté là quelques semaines, le temps de draguer la darse où il est normalement à poste.

.Nous longeons la coursive de la péniche et pénétrons à bord. Christian un ancien marinier qui connaît bien les rivières de Belgique mais aussi celles d'Allemagne et de France est déjà là, c'est lui qui va acheminer le bateau à Dinant et nous l'accompagnerons pendant le voyage.
Nous descendons dans le local machine un GM de 180 CV un ancien moteur de char américain installé en 1962 assure encore aujourd'hui la propulsion. Vérification d'usage, niveau huile moteur, niveau d'huile de l'inverseur tout est en ordre, branchement de la batterie, bouton poussoir et le moteur se met en marche.
8h58 nous larguons les amarres. Marche arrière pour éviter qu'un tronc d'arbre se prenne dans l'hélice, nous décollons du quai, puis avant. Nous gagnons la rive gauche de la rivière pour remonter sur Dinant. Nous laissons à droite d'anciennes usines qui ne semblent plus fonctionner, des bâtiments industriels au charme désuet mais pas dépourvus d'élégance. La rivière traverse la ville.
Puis nous passons sous le pont du chemin de fer. Sur l'eau on n'est jamais loin du rail. Il est juste 9 heures. Un cheminot n'est-il pas un peu marin ?
Sous le pont du chemin de fer.
Le Parlement de la région Wallonie et derrière la Citadelle.
Au loin apparaît le pont de Jambes également appelé "Pont de Meuse". C'est un très ancien pont de pierre enjambant la Meuse entre Jambes (rive droite) et le pied de la citadelle de Namur (rive gauche). Il date vraisemblablement de l'époque romaine mais bien sûr il a été mainte fois reconstruit subissant des modifications. Dans son aspect actuel il mesure 145 m. de long et comporte sept arches, dont celle du centre est plus large afin de permettre le passage de convois fluviaux. C'est au milieu de celle-ci que nous passerons.
Sur les rives de magnifiques villas s'élèvent au bord de la rivière. Capitale de la Wallonie, Namur est construite entre Sambre et Meuse. Le tourisme est devenu un réel outil de développement et grâce à cette activité, nombre d'emplois directs et indirects ont été créés. La région de Namur attire chaque année des millions de touristes.
9 h10 nous approchons de la première écluse, l'écluse de la Plante (n°9). Il y en aura cinq en tout. Ancien marinier, Christian manœuvre à merveille. Entrée "avant lente" puis un "petit coup d'arrière" avec la barre en bonne position et le bateau vient caresser le bajoyer de droite. Toutes les manœuvres se feront ainsi. Même son épouse oeuvrera de même avec grand art. C'est çà le métier, en toute simplicité, en toute efficacité. L'amarre autour de la bite, le bateau s'immobilise et on attend que le niveau monte.
Maison éclusière typique de la Meuse. Beaucoup sont construites sur le même modèle, trois fenêtres et un étage.
Le trafic ce samedi était peu important, aussi n'avons nous pas eu à attendre. VHF canal
22, à Paris on connaît, on n'est pas dépaysé.
Nous profitons de l'éclusage pour photographier le bateau. Trois quart avant, trois quart arrière. Au fait le bateau il faudrait en parler.
121027_12.png (266405 octets) Le "Touriste" le voilà dans son environnement originel et naturel. Nous sommes en 1889 sur la Seine au pied de la jeune Tour Eiffel récemment construite pour la grande Exposition Universelle1, qui s'est tenue du 6 mai au 31 octobre. C'est la dixième exposition de ce type, répartie sur cinquante hectares dans Paris. Le Champ de Mars et le Palais du Trocadéro accueillent l'art et l'industrie, tandis que l'esplanade des Invalides est dédiée aux expositions des colonies françaises et du ministère de la Guerre.
La France réalise une grande exposition universelle2 sur les deux rives de la Seine pour le centenaire de la Révolution. Des navettes fluviales assurent le transport des visiteurs sur le site de l'exposition, et les Grands Magasins du Louvre de Paris constituent une petite flottille de quatre de ces bateaux pour leur promotion. Ces bateaux sont facilement identifiables sur les photos en raison de leur fastueuse décoration de proue et de poupe.
Onze ans plus tard pour l'Exposition Universelle de 1900, 120 bateaux de ce type, transportèrent 42 millions de passagers en un an, c'est dire si leur succès était plébiscité par les visiteurs. Tous les points fluviaux de Paris étaient desservis et puis notre bateau  se propulsa jusqu'au Pecq juste en dessous de la Terrasse de St Germain.
121027_28.jpg (60196 octets) Il assure alors la liaison Gare d'Orsay—Le Pecq. 
Le Pecq, embarcadère du Touriste terminus de sa course sur la Seine en amont de l'Île Corbière.
Caractéristiques du bateau :
Longueur 31,30m.
Largeur 5,46 m.
Tirant d’eau

1,80 m.

Tirant d’air 4,30 m.
Tonnage 34 tonnes (avec chaudière)
Capacité passagers 300 à l’origine, 120 actuellement
Vitesse 18 Km.
Et puis un jour il s'est évadé en Belgique sur la Meuse3 entre Namur et Dinant. Il a mis une semaine pour effectuer ce voyage sur les flots des rivières et canaux et maintenant il est là dans la darse mais aujourd'hui nous avons ce privilège de naviguer à bord. Le bateau pour nous seuls.

Nous continuons notre route dans les belles couleurs, d'automne auxquelles l'élégance des villas font honneur.

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10h02 nous arrivons à l'écluse de Tailfer où nous attendons la bassinée.
J'en profite pour descendre dans la deuxième salle des machines, la vraie, celle de 1889 avec sa machine à vapeur et sa chaudière. Et oui la croisière c'est pour les touristes, le vrai trésor il est en bas où personne ne descend. La machine à vapeur actuelle vient des ateliers Prud’homme & Prion (Huy, en Belgique). Ici la centrale de graissage et au-dessus la plaque constructeur.
La machine est une machine compound à tiroirs cylindriques. Au premier plan le tiroir (on ne voit pas sa soupape sur la face opposée), puis le cylindre HP, le cylindre BP et au fond le tiroir BP. Noter les soupapes sur cylindres HP et BP. Le tuyau d'admission a disparu, en revanche on voit bien la vanne d'amission.
Vue générale de la machine avec au premier plan les bielles de tiroir HP, à droite la pompe à vide. et son anti-bélier. Le levier à gauche avec sa double poignée est le changement de marche. Sa puissance est de 100 CV, diamètre des cylindres : 270 et 480 mm, course des pistons : 300 mm.
Régime : 180 t/mn.
Elle a été arrêtée en état de fonctionnement dans les années soixante.
Gros sur les pompes à vide et d'alimentation et leur anti-bélier.
À gauche le levier de changement de marche avec ses crans d'avance, au milieu une des deux colonnes en acier qui supportent le groupe de cylindres-tiroirs.  À l'opposé ils sont appuyés sur le châssis. À droite les excentriques, bielles et secteur du tiroir HP (distribution Stephenson classique). En bas l'hélice d'origine ? Va savoir...
121027_31.jpg (57629 octets) Tête de bielle HP et ses transmissions alternatives aux pompes à vide et alimentaire. Noter les godets de graissage.
La chaudière d’origine a été construite par les établissements Boulet à Paris. Ensuite remplacée en 1909 par chaudière DEPREZ (Jemmapes sur Meuse) vers 1912. 
C'est une chaudière marine à retour de flamme classique. On voit ici la porte de gueulard où l'on chargeait le charbon.
La partie boîte à fumée avec les tubes à fumée d'assez gros diamètre.
Pour joindre les deux extrémités de la virole une triple rangée de rivets bien alignés.
Mais nous quittons enfin l'écluse je remonte sur le pont. Il ne fait pas chaud heureusement par les baies vitrées l'intérieur du bateau se réchauffe un peu. Ah ! cet effet de serre aujourd'hui il a du bon. Au passage noter l'élégance de l'escalier d'accès au pont inférieur où se trouvent non seulement la machine mais aussi deux salons dont celui d'arrière a reçu le moteur GM de 180 CV.
L'escalier en tôle décorée par des vides.
Le double escalier de proue donnant accès au pont inférieur.
Dans le salon avant les frigos restés dans le style.
121027_50.jpg (50447 octets) Pierrick à la barre, juste pour apprécier sa maniabilité.
Derrière nous, un sillage mais pas de remous sur l'eau.
10h47, l'écluse de Rivière.
Une autre photo prise du bajoyer opposé. Le Bateau lors de sa transformation a perdu sa frise qui entourait les pavillons. Si les baies vitrées sont appréciées par temps de froid, elles ont participé au désembellissement du bateau originel.
L'intérieur du pont supérieur. De simples bancs fixés au sol avec au milieu une barre qui empêche que tous les passagers se trouvent du même côté. Il ne faudrait quand même pas chavirer.
11h37 l'écluse de Hun. Comme les autres, elle sur la rive gauche de la Meuse.
12h11 Le pont-rail de la ligne de chemin de fer qui suit la Meuse.
12h18 L'écluse de Houx.
12h45 l'entrée de la darse fin de notre périple.
Notre Touriste I rejoint le Touriste IV déjà à poste. Ce bateau a gardé son pont supérieur ouvert et est resté dans "son jus" des années 89. Seul le poste de conduite a été déplacé vers l'arrière. Sa machine et sa chaudière ont disparu et pour compenser le déficit de lest, du béton a été coulé, lui bouchant son avenir sur les fleuves et rivières.
Nous remercions Christian et son épouse pour cette balade unique sur la Meuse, pensez donc le Touriste de l'exposition Universelle pour nous seuls et quittons le bord.
Une dernière photo du Turry qui nous ramène à la rive. 
Aujourd'hui il a perdu sa décoration de proue qui représentait des dauphins, des chérubins et des feuilles d'acanthe que l'on voit si souvent sur les cartes postales de l'Exposition Universelle. Il a cependant gardé sa forme si caractéristique des bateaux de Seine de cette époque.

 

Historique du Touriste

Commande et début de construction (1888)
Entrée en service sur la Seine 1889 
Mise en vente des 4 bateaux « Louvre ». 
  
- Les "Bateaux parisiens" en achètent un en janvier 1890, un autre est vendu à M. Decauville
  
- Achat par M. Ernest Marchal–Gesnot, Société des bateaux à vapeur de Namur 1891
Entrée en service sur la Meuse : 3 juin 1892
Classement patrimoine historique en Belgique Wallonne : 28 mars 1995
Désarmement du service actif et hivernage : 2008

 

Affiche publicitaire des excursions des bords de Seine de Paris à St Germain par le bateau à vapeur le Touriste.
"Café restaurant à bord".

 

Notes : 
  • 1 À l'Exposition Universelle de 1889, de nombreuses machines à vapeur, horizontales ou verticales sont présentées dont celles de Joseph Farcot, déjà primée en 1878, et qui l'est à nouveau en 1889 puis en 1900. Les chaudières ne sont pas en reste et les différentes améliorations intéressantes sont présentées.  Les chaudières à vapeur brevetées en 1867 par les Américains G.H. Babcock et S. Wilcox, font l'admiration des visiteurs.
  • 2 C'est à Jean-Charles Alphand (un proche collaborateur du baron Haussmann), ingénieur à la ville de Paris, Qui a organisé cette exposition. La Galerie des Machines dont la nef mesure  110 m de large par 420 m de long présente une structure métallique la plus grande d'Europe Elle sera démolie vingt ans plus tard.
    Pour desservir les différents pavillons, un chemin de fer Decauville, attractions préférées des visiteurs circule entre le Champ de Mars et les Invalides sur une distance de 3 km, traversant deux tunnels : celui de la Tour Eiffel et celui de l‘Alma. Cette ligne provisoire transporte 6 342 446 voyageurs payants. Ce chemin de fer est inauguré le 4 mai 1889. Par la suite, le ministère des Transports autorise l'utilisation de chemins de fer à voie étroite pour le transport des personnes sans les dérogations auparavant obligatoires
    .
  • 3 La Meuse est une rivière de 950 kilomètres de long dont le bassin, relativement étroit, est orienté sud-nord. Elle traverse la France, la Belgique et les Pays-Bas et se jette dans la mer du Nord. Elle prend sa source à 409 mètres d’altitude. En Belgique wallonne elle pénètre dans la province de Namur où elle reçoit la Sambre par la gauche et prend la direction est-nord-est. À l'entrée de Dinant, elle reçoit la Lesse sur la droite puis continue, arrosant ensuite Yvoir et Godinne. 

Sources :

  •  Mon voyage à bord du Touriste avec Pierrick.

Sites :

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