L'ABV sur la Rance

Marc André Dubout

17 mai 2012, la sortie annuelle de l'ABV est cette année la Rance1 . Nous profitons de ce long week-end pour faire flotter nos embarcations sur les eaux saumâtres de ce magnifique fleuve qui se jette dans la mer entre St Malo et Dinard.
Le premier jour est réservé à la mise à l'eau et à la préparation des bateaux. Certains ont même déjà navigué, sans compter ceux qui ont anticipé en arrivant avant la randonnée. Sur plus de 20 km, les rives de l'estuaire de la Rance se cisèlent en baies, petits ports fluviaux, presqu'îles prisées par les randonneurs et les pêcheurs. Avec Bruno, nous arrivons le soir après une escapade du côté de Franceville. Les bateaux sont déjà à l'eau ; quelques sifflets retentissent sur le fleuve.

 

 

Port de Lyvet (PK 85) à La Vicomté-sur-Rance où nos bateaux ont été accueillis pour le week-end de l'Ascension. 
Ce port doit son développement à la canalisation de la Rance et à la construction de l'écluse dite « du Châtelier » (1830) qui a permis aux chalands de naviguer sur le canal d'Ille-et-Rance et pouvoir ainsi remonter jusqu'à Dinan.


Port de Lyvet aujourd'hui,

Port de Lyvet autrefois.

Le temps est très "bretonnisant", la volupté des nuages materne nos embarcations, empêchant que les structures en bois sèchent.

La flottille abévienne est composée de :

Vendredi 18 mai
10 heures départ en flottille pour remonter la Rance jusqu'à Dinan puis ensuite les écluses 47 de Léhon (PK 76) et de Pont Perrin  (PK 74).

Préparations de Nosca et d'Iris sous le ciel gris. La pression monte doucement un peu de bois et du charbon aussi.
La machine de Nosca, une Stuart 6A, chaudière Serey (Bègles, 33), modèle Yarow en acier. Timbre 16 bars, surface de chauffe 1,88 m2. Bois et charbon. Au premier plan la barre.

Puis Nosca prend le fleuve en direction de Dinan. Michel et Claire ont ouvert un côté.

L'équipage d'Iris est au complet : Daniel, Bruno et Claude. Moi je vide le cendrier.
La machine d'Iris, une Stuart 6A,  tourne rond et rythme la balade 240 tours/mn, c'est agréable à l'oreille et l'odeur du charbon complète l'ambiance.
Courend'hère (Elisabeth, Sylvère Thomas) nous rejoint sur tribord.
10h52 nous sommes dépassés par le Corsaire de Dinan qui rejoint son port d'attache.
Ondine (Éric et Laure) et Lili (Isabelle et François) ne sont plus loin.
La flottille se regroupe et prend son rythme de croisière au milieu du fleuve qui ressemble plus à une rivière, mais la Rance se jette dans la mer, alors...
Quelques kilomètres plus loin, les premières maisons de Dinan (PK 79) bordent les berges.
Lili avec François, Isabelle et Vanille (Filliote) suivi de Courend'hère.
Courend'hère et sa chaudière gothique. Machine Reeves "Commander".
Puis nous approchons du port, au centre de la ville.

Passés sous les ponts de la ville nous poursuivons notre route, épousant les méandres de la rivière.

jusqu'à l'écluse de Léhon (PK 76) où nous sortons le déjeuner des paniers.
Le ponton avec Courend'hère et Lili à couple.
Les bateaux amarrés nous pouvons déjeuner avant de visiter la ville.
Alors que Nosca poursuit sa navigation tranquille vers l'écluse suivante, nous allons visiter l'abbaye de Saint Magloire entourées de maisons typiques et charmantes.
La rue principale qui donne accès à l'Abbaye.

La petite bourgade de Léhon est pleine de charme et d'authenticité. Elle présente un patrimoine historique et religieux médiéval à travers l'Abbaye de Saint Magloire, fondée au IXème sur les berges de la Rance. 
Cette royale abbaye a été fondée en 850 par le roi de Bretagne Nominoë et six moines bâtisseurs. Brûlée par les Normands, elle fut reconstruite dès le XIIème siècle par les bénédictins, puis agrandie au XVIIème siècle. À la Révolution, elle fut abandonnée et c'est au XIXème siècle que sa restauration fur entreprise, elle dure encore de nos jours.

Le cloître et les bâtiments conventuels sont du XVIIème Siècle. Le réfectoire des moines du XIII ème est la pièce maîtresse de cet ensemble architectural.

Avant de poursuivre nous croisons Jaman IV qui vient de passer l'écluse et remonte la rivière.

Le pont à deux arches de Léhon.
Puis l'écluse à la descente.
Au retour nous nous arrêtons à Dinan pour une visite de la vieille ville et de ses rues typiques de Jersual et du Petit Port.
Au fond le viaduc routier de Dinan construit en 1852.
À noter que l'arrivée du chemin de fer en 1879 a fait perdre de l'importance au port qui se transforme peu à peu en destination de villégiature, particulièrement prisée par les Britanniques.
Il faut reconnaître que les bateaux ont un certain succès.
Les Corsaires de Dinan ont remplacé les Vedettes dinardaises mais ont toujours autant de succès auprès des touristes.

Dinan est une ville "artistique" : de nombreux artistes et artisans ont leurs ateliers et galeries dans les petites rues typiques du centre ville : peintres, sculpteurs, créateurs de bijoux ou vêtements, travail du verre ou du cuir, la variété ne manque pas. 

    

   
Quelques vues au début du XXème S. 
Le viaduc de Dinan vu comme on ne le verra jamais à bord d'un bateau à vapeur.

Ensuite, ce fut le repas du soir pris ensemble dans un bistrot du port et le retour à Port de Lyvet par la Rance entre "chien et loup". Une journée bien remplie.

Samedi 19 mai
10h30 départ des bateaux en direction de St Suliac après une rapide escapade à la brocante marine d'un village voisin.
Aujourd'hui j'embarque sur Nasca de Michel et Claire.

 

 

 

 

Immédiatement après le départ, c'est le passage de l'écluse du Châtelier3
Cette écluse fonctionne de 6 h à 21 h, seulement si la cote de Saint Suliac est égale ou supérieure à 8,50 m. Elle fonctionne à la demande. Aucun canal VHF ne lui est réservé.
Thierry a embarqué sur Woodbine avec Joel et Françoise
Déjà au début du XXème, des bateaux de voyageurs dans l'écluse
Et aussi des bateaux à vapeur
L'écluse du Châtelier est reconstruite aux dimensions actuelles en 1837. Ce qui permet de remonter vers Dinan les produits agricoles et forestiers dont le trafic augmente alors rapidement. Une passerelle est construite en 1896 et détruite par les Allemands en 1944. Aujourd'hui, un pont tournant construit en 1970 permet le passage de grosses unités. Le trafic commercial diminuant, Lyvet devient un port de plaisance et un centre touristique dans les années 1960. La construction de la digue du Châtelier a des conséquences très marquées sur l'envasement du bief amont et entraîne la constitution d'un bouchon vaseux en aval. 

Puis ce sont les cabanes de pêcheurs avec les filets particuliers. La pêche au carrelet était très pratiquée sur la Rance.
Le carrelet est un filet carré d'une superficie de quelques mètres carrés tendu sur une armature plane et descendu horizontalement au moyen d’un treuil depuis un ponton qui avance en mer et sur lequel est généralement construit un abri, voire un petit logement. Après quelques minutes d'attente, pour dissipation du trouble causé par la descente, le filet est remonté assez rapidement, emprisonnant en principe les poissons qui se trouvaient entre lui et la surface (un appât peut être placé en son centre).
C'est une pêche très réglementée en raison de la construction d'un ponton sur le domaine maritime. 
Le pont de chemin de fer de la ligne ?? reconstruit après les bombardements de 1944.
Le premier pont du chemin de fer (1879) était en fer d'une seule travée. 
Et à y bien regarder il y avait déjà des bateaux à vapeur.
Iris en aval du pont ferroviaire.
Puis nous passons au droit du Chêne Vert à Plouer-sur-Rance
Au début du Siècle, presque le même cliché.
Le pont St Hubert enjambe la Rance entre Le Port-Saint-Hubert sur la commune de Plouër-sur-Rance et Le Port Saint-Jean sur la commune de La Ville-ès-Nonais. Il relie la rive gauche de la Rance située dans le département des Côtes-d'Armor à la rive droite située en Ile-et-Vilaine.
Ce pont suspendu a été construit de 1913 à 1928. Il était à péage jusqu’en 1933 (ça existait déjà) et a été bombardé par les Alliés le 12 juin 1944.
C'est l’entreprise Baudin-Châteauneuf (Châteauneuf-sur-Loire) qui, en 1959, a construit le nouveau pont en béton armé long de 286 mètres avec une travée suspendue de 173 mètres.
Enfin la bourgade de St Suliac apparaît sur notre droite, nous y accosterons à la cale.

 

Après l'accostage des huit bateaux à vapeur de cette belle randonnée, nous déjeunons à bord sous la pluie qui n'a pas cessé depuis le début de la journée.


La jetée il y a un siècle et la cale où nos bateaux se sont amarrés.

Nous partons ensuite à la découverte de ce charmant village de pêcheurs.
Ce village portuaire typiquement breton est situé sur la Côte d'Émeraude et s'étend autour de son église et de son port. Il est situé sur une presqu'île, avec 12 km de rivage. C'est un des rares villages véritablement maritimes de cet estuaire, entre Saint-Malo et Dinan.

 

Les filets sur la façade des maisons sont là pour rappeler aux passants que ce village vivait de la pêche.

Et puis marre de la pluie, nous allons au bistrot, nous buvons et le temps passe...
                ...et au retour le marnage a fait son effet et les bateaux sont sur leur quille.

Il est 16h42, il faudra attendre que la mer remonte.
Et la pluie ne fait pas remonter le niveau.
Enfin nous remontons la Rance en flottille jusqu'au Port de Lyvet.

Le soir nous dînerons sur le Maltess.

Sans oublier de souhaiter deux anniversaires, celui de Claire et celui de Thomas.

Et il pleut toujours !

Dimanche 20 mai
Nous nous réveillons sous une forte pluie qui ne nous abandonnera pas de la journée.
Direction le Moulin du Prat où nous nous retrouvons vers 10 heures. 

Bien que la date de sa construction reste incertaine il ne serait pas invraisemblable de la situer vers le XVIème S. sûrement contemporain du Château de la Bellière  dont il dépendait. Au cours du temps il s'est agrandi d'une maison meunière construite attenante, logement du meunier qui au rythme du calendrier lunaire, jour et nuit, faisait tourner "son" moulin et entretenir la réserve qu'il devait périodiquement dévaser. Cette vase était prisée des paysans qui avec force charrette venaient de fort loin pour en transporter le précieux engrais. Mais il devait aussi entretenir la digue, sans laquelle la précieuse énergie de l'eau s'évanouissait.
En 1955, la propriété est rachetée par la commune de La Vicomté et une association du moulin est créée dans le but de restaurer ou plutôt "reconstruire" le moulin et le site qui l'environne dans les règles de l'art c'est à dire en se rapprochant le plus possible de l'authenticité.

Le Moulin du Prat est un moulin à marée, c'est à dire qu'il utilise la marée comme force motrice pour fonctionner.
À proximité du moulin, il y a une digue comportant des vannes à sens unique et qui isole une réserve d'eau qui sera utilisée pour faire tourner la roue.
À marée montante, la mer remplit le bassin. Lorsque la marée recommence à descendre, les vannes se ferment et empêchent le bassin de se vider. À marée descendante, quand la différence entre le niveau du bassin et de la mer est suffisamment important, les vannes sont ouvertes : l'eau du bassin se déverse alors dans la mer en actionnant la roue du moulin.
À la différence des moulins à vent qui nous sont plus familiers, le moulin à marée ne peut fonctionner que durant une partie de la journée, lorsque le niveau de la mer est plus bas que celui du bassin (par exemple 6 heures toutes les 12 heures) et de plus la durée est plus courte lorsque le coefficient de marée est faible, En revanche il ne dépend pas des conditions météorologiques comme les moulins à vent, ni des des étiages comme les moulins à eau, son énergie est inépuisable.

Sur les 100 000 moulins cumulés de France, il reste environ 140 moulins à marée dont une centaine en Bretagne et 15 sur les bords de la Rance (beaucoup ont disparu).
Une application actuelle de ce type de moulin est l'usine marémotrice de la Rance, construite en 1967 et qui produit 500 GWh/an d'électricité.

Rendons hommages à d'autres bénévoles, comme nous, qui ont enlevé plus de trois mètres de vase autour et dans le moulin avant de retrouver la roue à aubes. Reconstruction de la digue, construction et pose de la porte à marée, dévasement de l'étang, restauration du bâtiment abritant la minoterie et construction de l'ancienne maison d'habitation (2001) d'après des cartes postales anciennes. 
Aujourd'hui, la roue tourne ... comme autrefois

 

Le Moulin du Prat vue de la terre.
La réserve ou étang qui permet d'alimenter la roue du moulin à marée descendante.
Le bâtiment reconstruit par l'association.
Notre groupe est très attentif aux explications de Monsieur le Maire qui a dirigé la restauration et fait des recherches historiques sur le Moulin du Prat.
La roue entraînée par l'eau gardée prisonnière dans l'étang.
La meule. Il y avait deux meules : 
  • celle du bas, fixe, la dormante 
  • celle du haut entraînée par la roue la tournante.

À elles deux, la tonne y est.

L'intérieur du moulin.
La porte à marée. Lorsque la marée monte, la porte bascule pour laisser entrer l'eau. Au contraire quand elle descend, la porte retient l'eau prisonnière dans la réserve. Elle s'ouvre au flux et se ferme au reflux.
Étonnant palier en pierre vitrifiée par le frottement de la fusée.
La roue à aube du moulin du Prat. Douze tours par minute.
 

Avant le régulateur à boules,le babillard.
Ne considérons-nous pas pas trop souvent le régulateur comme une invention de James Watt ?
Ce cher Watt n'a-t-il pas tout simplement repris le système du babillard utilisé fort antérieurement en minoterie ?
Le babillard est une pièce en bois à facettes fixée sur le fer de meule qui produit le "tic-tac" du moulin, qui rythme sa vitesse et secoue un auget qui fait descendre le blé par le trou central de la meule du haut (la tournante).
Le babillard est un véritable régulateur permettant non pas de réguler la vitesse de rotation de la roue mais selon le déplacement des boules indique par un timbre si le moulin va trop ou pas assez vite pour moudre correctement.
Le régulateur à boules de James Watt a la réputation d'avoir été l'un des premiers mécanismes de rétroaction, utilisé pour ouvrir ou fermer l'admission des machines à vapeur. En ce sens il a donné naissance aux systèmes d'asservissement qui a eu plusieurs applications industrielles. Les considérations de ces mécanismes d'un type nouveau donnèrent naissance plus tard à des réflexions comme la cybernétique et à des sciences comme l'automatique.
Disons qu'en transformant le babillard en régulateur, Watt a fait passer l'application du domaine agricole au domaine industriel.

Les deux boules situées aux extrémités du pantographe tournent autour de l'axe vertical. Plus elles tournent vite et plus les boules s'écartent, ce qui avait pour effet de lever des ergots fixés sur la partie inférieure du pantographe. Sur la base de ce pantographe sont fixés deux ergots un simple et un double, espacés de quelques centimètres. En fonction de la vitesse la position du pantographe change. Si la vitesse est trop faible l'ergot simple vient frapper le timbre. Si la vitesse est correcte, aucun ne vient frapper le timbre et au contraire, si elle est trop rapide ce sont les deux ergots qui viennent frapper le timbre et font réagir le meunier.

À la fin de la visite, la pluie tombait toujours, imperturbable. Aussi Thierry nous a invité à prendre notre "déjeuner sorti du panier" dans sa maison de Bourseul. Sur le chemin des remorques reprenaient déjà la direction du retour.

L'après-midi Marie-Dominique nous fit visiter son musée de la poupée. Univers féerique. Le jardin des poupées est aussi celui des fées de notre enfance. Le temps est suspendu entre rêves et réalité, entre imaginaire et existence. Nous montons l'escalier et nous nous retrouvons derrière le miroir. 
Dis Marie-Do, c'est comment le cœur d'une poupée ?  Et alors, elle se mit à nous expliquer. Mais voyez plutôt.

 

 

 

 

Le temps passe mais ne suspend pas son vol, nous redescendons du grenier aux trésors... 

                    le virtuel redevient réel... 

                                    il faut sortir les bateaux de l'eau.

 

 et rentrer à Paris.

La presse en a parlé :

 

Notes : 
  • 1 La Rance prend sa source dans les monts du Méné à Collinée, dans le département des Côtes-d'Armor, et se jette dans la Manche entre Dinard et Saint-Malo dans le département d'Ille-et-Vilaine.
    Sa longueur est de 102,2 km et elle est canalisée d'Évran à l'écluse du Châtelier. Ensuite, c'est la Rance maritime qui court jusqu'à l'usine marémotrice de la Rance.
  • 2 SBF : Sans Bateau Fixe
  • 3 Lécluse du Châtelier marque la limite entre la Rance fluviale (eau douce) et la Rance maritime (eau saumâtre), soumise aux marées décalées de l'usine marémotrice

Sources :

Sites :