De Denis Papin à nos esquifs fumantes
(Fiche de lecture de quelques grands noms et de bateaux historiques)

Marc André Dubout

Des premiers bateaux à vapeur à l'hélice
Que de rivières ou fleuves parcourus depuis le premier bateau à vapeur de Denis Papin jusqu'à nos fumantes esquifs d'amateurs éclairés.
De la machine à feu à la chaudière embarquée, la connaissance des propriétés merveilleuses de la vapeur a eu (entre autres) pour objet de construire des bateaux depuis presque trois siècles.
C'est en 1543 qu'apparaît la première application d'un appareil à vapeur capable de faire mouvoir un bateau de 200 tonneaux devisé La Trinidad. Son inventeur était Blasco de Garray 1 et l'ingénieuse machine fonctionna à Barcelone en Espagne mais était-ce réellement une invention pratique ? Ce n'est pas ce que laissent à lire les textes à ce sujet.
Il faudra attendre un siècle et demi pour voir apparaître en 1707 le bateau de Denis Papin qui a imaginé la machine à pistons qui se meuvent dans deux cylindres le tout faisant tourner des roues à bord d'une embarcation sur la rivière de la Fulda à Cassel. L'infortune de Papin, qui l'a persécuté durant toute sa vie, le frappe à nouveau sur la Weser interrompant son expérience qu'il comptait présenter en Angleterre qu'il avait l'intention de rejoindre avec son invention. Le bateau sera détruit par les bateliers qui lui refusent le passage sur la rivière, laissant l'inventeur dans la douleur sans ressources et sans asile. Mais son moteur imparfait n'aurait pas pour autant prouvé que son voyage aurait pu s'effectuer. En effet avant Fulton qui employa une machine de Watt véritable inventeur du moteur à vapeur, il est permis de douter que les tentatives d'invention aient eu une efficacité pratique reconnue.
En Angleterre à la même époque, Jonathan Hull est également considéré comme l'inventeur de la navigation à vapeur. Il réussit à transformer le mouvement de translation en mouvement de rotation mais le principe était alors fort compliqué (la manivelle n'ayant pas encore été inventée). À la différence de Papin, il employa une machine de Newcomen, pris une patente en 1736 et fit construire un bateau. Le résultat était fort modeste, mais l'amirauté britannique eu malgré tout tort de repousser l'invention si imparfaite fut-elle. Un grand pas dans l'obscurité scientifique du siècle était franchi.
Les bienfaits de la force de la vapeur ne suscitaient pas à l'époque l'intérêt du public. Au XVIIème siècle en France ce sont les fontainiers qui s'y intéressaient pour faire jaillir l'eau dans les parcs royaux et en Angleterre ce fut pour l'exhaure des mines que les pompes faisaient merveille. Dans les deux pays, on pensait à pomper l'eau mais pas à faire tourner un moteur en vue de fournir un travail.
En 1753, à Nancy un professeur, M. Gauthier s'intéressa à ces sujets sans qu'on lui démontra un enthousiasme pour ses recherches qui n'aboutirent point.
Il faut attendre 1775 pour voir apparaître le nom illustre du marquis de Jouffroy d'Abban qui fit mouvoir son Palmipède sur le Doubs. Là encore les résultats n'atteignèrent pas ceux espérés.
Il fait appel à la propulsion par des rames mécanisées(volets à charnières) entraînées par une "pompe à feu" 
Il fit naviguer le 18 août avant midi 1783 son "Pyroscaphe" propulsé par deux roues à aubes sur la Saône de Lyon à l'Ile-Barbe. Il remontera le courant plusieurs fois. Propulsion assurée par deux cylindres mû à la vapeur. Le procédé employé pour transmettre aux roues du bateau le mouvement d'oscillation des deux pistons est presque identique avec celui que Papin a proposé pour le même objet en 1690; De Jouffroy se sert d'une double crémaillère à rochets qui agit constamment sur une partie cannelée de l'arbre des roues; les rochets supérieur cèdent lorsque les rochets inférieurs poussent, ce qui imprime à l'arbre un mouvement de rotation.

Créateurs de la pompe à feu de Chaillot, les frères Perrier qui ne soutinrent nullement le projet du marquis (voyant en lui un concurrent affranchi) lancèrent sur la Seine un bateau à vapeur mu par une machine trop faible pour que la démonstration fut pertinente.
Mais notre marquis ne baissa pas la garde et rentré à Baume-lès-Dames il construisit un bateau mu par un système de nageoires mobiles, projet qu'il avait envisagé en 1759. Ce bateau s'appelait le Palmipède. Les essais eurent lieu en 1776 sur le Doubs mais là encore les résultats ne furent que peu probants.
Quatre ans plus tard, Jouffroy d'Abban abandonne son idée et fait construire à Lyon un grand bateau muni de roues à aubes. Les essais eurent lieu sur la Saône en 1783. Le temps a passé, l'idée a germé et cette-fois il remporte un franc succès devant une foule venue admirer la remonte du courant. Un procès verbal est dressé avec l'attestation d'un grand nombre de notables de la ville.
Fort de sa réussite il gagna Paris pour solliciter un "privilège" de trente ans pour exploiter son invention. Mais ces messieurs de l'Académie des Sciences, incrédules des témoignages lyonnais, voulurent voir pour croire. Jouffroy à bout de ressources abandonna à la veille de la Révolution. Soldat il disparaît jusqu'en 1816. À son retour, le 20 août, il lance sur la Seine un petit bateau le Charles-Philippe

En 1781, l'abbé Arnal fait des expériences de bateau à vapeur et en 1784, en Écosse, Miller construit un bateau double avec une roue motrice au milieu. L'essai a lieu sur un lac en 1789 puis on n'en entend plus parler.
Pendant ce temps Watt perfectionne ses machines à vapeur. À la même époque, en Amérique et en Angleterre, Ficht, et Ramsey font des expériences. C'est à Londres que l'ingénieur Ramsey rencontre Robert Fulton qui fut pris du désir de s'intéresser aux bateaux à vapeur. Ses préoccupations du moment furent davantage tournées vers des projets de canaux et de bateaux sous-marins. 
En 1801 à la veille de retourner en Amérique, il fit la connaissance de Livingstone, consul des États-Unis à Paris, épris lui aussi de ces sujets. Ensemble ils mirent en commun leurs études et c'est à Plombières que Fulton fit naviguer un bateau mu par une chaîne sans fin, munie de palettes sur les flans de l'embarcation. L'expérience n'était pas concluante et apprenant que d'autres s'étaient lancés dans cette voie avec la même infortune, il abandonna le principe pour celui des roues à aubes et le 9 août 1803, sur la Seine, il lança un bateau de 33 m de long sur 2,50 m de large. Bossut, Carnot, Prony, Volney entourés d'un public nombreux assistèrent à cet essai au cours duquel, le courant fut remonté à la vitesse environ d'une lieue par demi-heure. Le succès était complet et incontestable.
Malheureusement Bonaparte à qui Fulton avait déjà présenté des projets de sous-marins explosibles sans succès ne s'intéressa pas à son invention et déçu l'ingénieur américain abandonna la France.
De retour en Amérique Fulton retrouva son ami Livingstone qui commanda à Watt une machine à vapeur et un bateau de 50 m de long sur 5 de large, jaugeant 150 tonneaux fut construit à New York et équipé de cette machine. Hélas, bien vite le Clermont fut nommé la Folie-Fulton par ses compatriotes aussi peu enclins à encourager ses tentatives. Le jour de l'inauguration Fulton invita nombre de ses amis qui vinrent plus par sympathie pour l'ingénieur, que par foi en son invention. 
Lors de la "mise en mouvement" l'anxiété pris le pas sur la surprise, la tristesse sur la joie. Infortunément la première marche ne fut pas satisfaisante et les chuchotements s'élevèrent dans l'assemblée. À la deuxième tentative le bateau s'élança lentement : "Nous quittâmes la belle cité de New York ; nous traversâmes les sites  romantiques et continuellement pittoresques des hautes terres ; nous découvrîmes les maisons groupées d'Albany, nous touchâmes les rivages". Malgré ce succès l'assistance se demandait si l'expérience pouvait être renouvelée et avait quelque doute à ce sujet.
Après quelques mises au point, le Clermont commença un service régulier entre New York et Albany mais au premier départ aucun voyageur ne se présenta et au retour, un seul qui paya son passage : six dollars. Ce fut le premier salaire de l'inventeur.

En 1804, Evans utilisa une de ses machines pour transporter un grand bateau à fond plat, construit par ordre sanitaire de Philadelphie, pour le nettoyage des bassins le long des quais de la ville. Il adjoint des roues au bateau, y plaça une machine à vapeur de 5 chevaux de force et nomma cet étrange véhicule "Oruktor Amphibolis".
Evans travailla également à la construction d'un steamer ainsi qu'à l'élaboration de la chaudière à carneaux. Il ne parvint jamais à obtenir en Amérique le succès que Watt connu en Angleterre.

La navigation à vapeur était pour la première fois réellement praticable d'abord sur les lacs et les rivières puis plus audacieusement sur les mers pour lesquelles les formes des navires s'adaptèrent pour les affronter.

La première traversée eut lieu en 1817 à Holyhead à Dublin. En 1825 l'Entreprise, un navire anglais accomplit le voyage des Indes, aidé de quelque voilure.
Si les roues à aubes furent reconnues pratiques pour la marine de commerce, pour la marine de guerre elles furent trop exposées à l'artillerie et il fallut attendre l'apparition de l'hélice pour palier cet inconvénient.
La première expérience remonte à 1776 où Mr Bounre ingénieur anglais fit propulser un bateau destiné à un service sous-marin à l'aide d'une vis d'Archimède. Antérieurement, le savant Paucton qui fit des recherches sur la vis d'Archimède a publié à Paris en 1768 un traité dans lequel il proposait de munir les navires d'un ptérophore
(qui porte la plume), sorte de cylindre portant des ailes en hélices et placé sur les flancs du navire. De cette époque à 1835 de nombreux essais d'hélices ont été tentés en Europe.
En 1823, le capitaine du Génie Delisle présenta au ministère de la marine un projet de propulseur hélicoïdal composé de cinq aubes hélicoïdales dont il donnait le tracé. Delisle ne fut peut-être pas soutenu comme il aurait fallu pour que son système, assez proche de celui d'Ericson, soit reconnu et encouragé.
L'hélice telle qu'on la connaît à simple révolution fut proposée et essayée par Frédéric Sauvage 2 constructeur de bateaux à  Boulogne. Il pris un brevet pour son invention, Malheureusement, le manque d'argent ne lui permit pas de la réaliser à une échelle suffisante et ses créanciers le firent emprisonner à Boulogne d'où il voyait de sa cellule les expériences faites avec le Ruttler, navire anglais qui testait l'hélice semblable à celle qu'il avait imaginée.

En 1836, Smith 3 fit breveter à Londres son hélice semblable à celle de Sauvage et devint riche. Aidé financièrement par un banquier, il construisit un petit bateau propulsé par une hélice en bois. Les résultats positifs lui donnèrent l'envie de construire un bateau de 6 tonneaux, qu'il essaya sur le canal de Poddington, le 1er novembre 1836. Le bateau continua de naviguer sur la Tamise jusqu'en septembre 1837. Afin de briser l'idée que l'hélice était un moyen de propulsion réservé aux fleuves et rivières, il entrepris un périple de Blackwall à Gravesend puis fit cap sur Ramsgate. Il partit ensuite sur Douvres et Folkstone obtenant des vitesses de 6 à 7 nœuds. Une société "The ship propeller Company" fut constituée, au sein de laquelle Smith continua ses expériences dont l'aboutissement fut l'Archimède, un bateau de 200 tonneaux armé d'une machine de 90 chevaux qui permit d'atteindre une vitesse de 10 nœuds et de faire une économie remarquable. L'Archimède fit ensuite le tour de la Grande-Bretagne, visitant les ports dans le but de vendre son hélice 4 aux constructeurs et armateurs de navires.

En 1836, le capitaine suédois Ericsson établi en Grande Bretagne prit une patente pour un système d'hélice composé d'un cercle en métal de six ailes hélicoïdales et réuni à un axe central par trois bras également de forme hélicoïdale.
Après un essai concluant en modèle réduit mu par la vapeur, Ericsson fit construire un bateau de 13,72 m de long sur 2,40 m de large qui fut essayé en 1837.
L'hélice d'Ericsson fut largement adoptée tant en Angleterre, qu'en Amérique et en France et grâce à elle la navigation à la vapeur s'est largement répandue même si les roues à aubes ont continué de subsister sur les fleuves et rivières.

Les machines à vapeur marines
Avant d'aborder les machines il faut connaître les deux modes de propulsion des bateaux que sont la roue à aubes et l'hélice.

La roue à aubes
La toute première locomotion sur l'eau indépendant du moteur fut la roue à aubes ou à palettes.
Les roues à palettes sont garnies à leur circonférence d'un certain nombre de bordés en bois appelés pales ou aubes.  Ces pales ou aubes sont fixées solidement aux rayons des roues, leur surface étant dirigée suivant ces rayons. Elles ne plongent dans l'eau que d'une dizaine de centimètres pour ne pas rencontrer de résistance nuisible au moment de la pénétration dans le fluide. On comprendra que la vitesse de pénétration doit être relativement faible ce qui deviendra un frein à son développement.
Pour palier cet inconvénient de la pénétration dans l'eau, Cavé a imaginé des aubes mobiles autour d'un axe horizontal de manière à ce qu'elles puissent prendre la direction verticale 10 à l'entrée et à la sortie de l'eau.
En Angleterre, Morgan fit une découverte similaire plus compliquée mais offrant moins de frottements.

L'hélice
L'hélice est un fragment de vis d'Archimède. En tournant dans l'eau qui fait office d'écrou, la vis et le bateau qui lui est solidaire avancent en s'appuyant sur la masse liquide.
En fait c'est un peu plus compliqué en ce sens que l'eau cède sous le mouvement de l'hélice et une partie de la force est par conséquent perdue. Quel que soit le type d'hélice, ces dernières doivent être placées parallèlement à l'axe de la quille à l'arrière dans un espace aménagé entre la coque et le gouvernail.
Il y a avantage à rendre très grande la vitesse de rotation, l'inertie de l'eau fournissant un point d'appui  dont la résistance croît avec la vitesse.

On voit donc que la problématique de la roue à aubes et de l'hélice sont bien différentes en terme de vitesse de rotation. Si pour la première la vitesse doit être faible, au contraire pour la seconde elle doit être élevée. En conséquence les machines devront satisfaire au besoin de chacun de ces  modes de propulsion : 

Les machines
Les machines à vapeur marines ne diffèrent pas dans leur principe par rapport aux machines fixes et les mêmes règles d'établissement leur sont applicables. Les seules dispositions particulières sont dues aux contraintes de place, de poids et d'économie ce qui n'est pas une limite pour une machine industrielle, excepté pour la consommation de combustible.

Les machines à balancier
Les machines à balancier employées sur les bateaux ne diffèrent pas de celle de Watt à basse pression 5 à l'exception de la position du balancier placé dans la partie inférieure de la machine pour abaisser le centre de gravité et en diminuer la hauteur. On s'est rendu compte cependant que leur poids et leur volume étaient un inconvénient. Ce sont les machines verticales avec attache directe de la tige du piston à la manivelle par l'intermédiaire d'une bielle qui ont permis cette évolution au détriment de la perte de longueur de la course des pistons. 
Pour palier la faible longueur de la course de ce type de machine, on a imaginé le système dit à bielle renversée 6. Cette disposition qui a reçu le nom de machine à clocher est due à David Napier.
Toujours dans cette recherche d'un gain de place, l'anglais Maudslay a imaginé la machine à cylindres inclinés. Les deux cylindres sont fixés symétriquement sur un bâti triangulaire et les bielles agissent sur deux manivelles calées à angle droit sur l'arbre des roues motrices.
Ce système ne remporta pas non plus un grand succès et c'est le système de cylindres oscillants utilisés en Angleterre et en France par Cavé. Cette disposition permet de supprimer la bielle en conséquence de quoi le volume et le poids de la machine s'en trouvent réduits. Il a fallu repenser le système d'admission de la vapeur dans un cylindre mobile.
Tant que les bateaux étaient mus par des roues à aubes, la vitesse de rotation des machines était faible et cela convenait parfaitement. Avec l'apparition de l'hélice au contraire, pour obtenir une bonne efficacité, la vitesse de rotation devait être plus importante, l'inertie de l'eau fournissant alors un point d'appui dont la résistance croît avec la vitesse. Il fallut par conséquent modifier les machines pour l'entraînement à grande vitesse de l'hélice. Sur ce sujet un nom est à retenir, celui des frère Mazeline 7 qui équipèrent pour la première fois (en France) trois navires de l'État la Biche, la Sentinelle et le Rolland avec des machines allant de 120 à 400 chevaux de puissance nominale.
La machine est placée intégralement en-dessous de la ligne de flottaison. les cylindres horizontaux placés bout à bout en opposition sont à deux tiges de piston et à bielle renversée.
En 1847 le Napoléon, un autre navire de l'État, sorti des ateliers d'Indret en était pourvu, la machine avait 900 chevaux nominaux. Ce type de propulsion était déjà éloigné de celui des bateaux à roues mais d'autres améliorations suivirent comme la disparition des engrenages, la bielle attaquant directement l'arbre de couche. cette disposition fut adoptée par Gâche aîné de Nantes pour les petites embarcations à faible puissance. Il s'agit de deux cylindres inclinés la tête en bas qui actionnent directement l'arbre d'hélice.
Les petites embarcations de faible puissance ont été équipées de "machine à fourreau" 8 inventée par l'anglais Penn.
Il existe aussi des machines à fourreau horizontales employées pour de plus grandes forces. La bielle est directement articulée au piston. Les machines à bielles renversées leur ont été préférées.
Mazeline a été le premier à appliquer le système de machine à vapeur horizontale à piston à deux tiges et bielle en retour. Ce type de machine équipa la Biche en 1843. La suppression des engrenages a permis d'actionner directement l'arbre d'hélice au moyen de la bielle en retour. Ces machines sont en général à deux ou trois cylindres pouvant développer jusqu'à mille chevaux nominaux. Le condenseur est placé en face du cylindre à vapeur et la tige du piston entraîne directement celle de la pompe à air.
Ces machines constituent un progrès important regroupant quelques mécanismes bien étudiés comme : 

le tout dans un espace le plus réduit possible et bien équilibré de manière à ne pas charger inégalement le navire.
l'ingénieur en chef Coty, directeur des ateliers a contribué pour une large part à ces résultats.

Les chaudières
Les chaudières des bateaux sont, en revanche, différentes dans leur conception à celles des machines fixes industrielles. et leur déperdition en calorique ne peut être comme celles enfermées dans de massives constructions en briques.
En Angleterre, on utilise de grandes chaudières carrées dans lesquelles la flamme et la fumée circulent dans de grandes galeries verticales placées à l'intérieur. Elles présentent une surface de chauffe importante mais leur nettoyage est réputé difficile et ont tendance à se déformer ce qui est un inconvénient majeur.
Lorsqu'on veut obtenir des moyennes pressions, on est obligé d'employer des chaudières tubulaires qui ont une grande surface de chauffe et dont la vaporisation est relativement rapide. L'inconvénient de ces chaudières est la difficulté de les nettoyer et l'incrustation due à l'eau de mer 9.
Sur les grands navires il y a une batterie de chaudières : 6, 10 parfois plus, toutes rangées en ligne au fond du navire.

"C'est un triste métier, que d'être chauffeur à bord d'un grand navire, que de vivre dans cette fournaise ardente et mal aérée ! Aussi ce sont des nègres qui remplissent cet emploi ; comme ils sont nés et ils ont vécu sous un climat très chaud, ils souffrent moins de cette situation que des Européens. Néanmoins ils sont encore fort à plaindre.
Complètement nus, leur peau noire ruisselle de sueur, activant les foyers et les chargeant de charbon, gesticulant, criant des mots étranges dans une langue inconnue, ils font penser aux noirs démons qui entretiennent les fournaises et tiennent les queues des poêles de messire Satanas
".
La vapeur et ses merveilles  - Edouard Lockert - Paris - Librairie de l'Éducation - page 137

Comment pourrais-je encore mettre un morceau de bois dans la chaudière de Suzanne ou de la Vigie sans penser à tous ces infortunés méprisés, oubliés qui ont contribué au développement des bateaux à vapeur.

Bateaux à vapeur
C'est certainement le Clermont  de Fulton qui démontra que la navigation à vapeur fut possible. La fiabilité et la rapidité de son bateau ouvrirent à l'Europe et à l'Amérique cette nouvelle voie qui transforma la navigation tant sur les fleuves et rivières que sur les mers.
Le premier bateau qui fonctionna en Europe fut la Comète qui navigua sur la Clyde en 1812. Ce bateau fut construit par Henry Bell, sa puissance n'était que de trois chevaux. Quelques temps plus tard, il en construisit un autre de trente chevaux le Rob-Roy.
En 1816 Le marquis de Jouffroy d'Abban obtint un privilège pour établir un service de bateaux à vapeur sur la Seine, mais il fallut attendre 1820 pour voir cette nouveauté en usage. En 1822, MM. Marestier et le capitaine de frégate Montgerry furent envoyés par l'État français en Amérique pour étudier la construction des bateaux à vapeur. À leur retour les grands chantiers de construction virent le jour dans notre pays : machine à balancier, bielle renversée, etc.
En 1825-27 fut fondée l'usine d'Indret  pour la construction des machines pour la marine militaire sous le commandement de m. Gemgembre puis de la Morinière et Dupuy de Lôme

Avec l'apparition de l'hélice, le plus grand bateau construit fut le Napoléon doté d'une machine de 120 chevaux entraînant une hélice à quatre pales. Devisé ensuite le Corse, il atteignit avec la conjugaison de la vapeur et de la voile une vitesse de 12 nœuds à l'heure. Malgré ces résultats la marine qui possédait un grand nombre de navires à voile ne sembla pas privilégier ce nouveau mode de propulsion et plutôt que de construire de nouveaux bâtiments, elle préféra doter les bateaux à voile de machines à vapeur.
La Pomone frégate de quarante-quatre canons subit cette première transformation en recevant une machine à vapeur de 120 chevaux. D'autres bateaux suivirent ce type de transformation  dans l'état d'esprit d'utiliser l'hélice comme un auxiliaire de la voile alors qu'en Angleterre et en Amérique elle était considérée comme propulseur de premier ordre.
Il fallut attendre que le contre-amiral Labrousse publia en 1844 une brochure sur les propulseurs sous-marins et la marche à suivre pour la construction d'un vaisseau de 100 canons muni d'une machine de 1000 chevaux à hélice pour que le pas fut définitivement franchi. Le fait que l'hélice fut complètement immergée à l'abri du boulet constitua un argumentaire de poids. L'esprit visionnaire de Labrousse  qui révolutionna le monde marin ne fut pas pour autant immédiatement mis à exécution. En 1847 Dupuy de Lôme proposa la construction du Napoléon 11 navire à voile et à vapeur terminé en 1850 et armé en 52. Pour la première fois les voiles devinrent l'auxiliaire de l'hélice et les essais magnifiques au cours desquels les 13,5 nœuds furent atteints convainquirent l'ensemble du corps de la marine. Ce navire eut à plusieurs reprises l'occasion de montrer de quoi il était capable. C'était alors le plus beau et le meilleurs bâtiment français. Sa machine originelle à engrenages fut remplacée par une machine à action directe et bielle en retour de 900 chevaux. L'hélice comme mode de propulsion fut définitivement adoptée pour la flotte cuirassée par rapport aux roues à aubes trop exposées à l'artillerie.
Fulton construisit le Démologos un navire cuirassé avec une roue à aubes située au milieu du navire, mais les roues à aubes ne pouvaient atteindre des vitesses supérieures à 4 ou 5 nœuds.
Ericsson fut l'un des promoteurs des cuirassés avec la construction du Monitor  dont la coque capable de résister à l'attaque des projectiles est restée un modèle de construction pour les générations à venir. Les coques en fer allaient de ce pas se substituer à celle en bois même doublée de lames de plomb.
L'on construisit à Vincennes des cuirassés (non motorisés) sortes de batteries flottantes cuirassées sur le plan de l'ingénieur Guieyesse : la Dévastation, la Lave, et la Tonnante. Malheureusement, ce n'étaient pas là des navires, aussi se remit-on en étude pour construire la Gloire sortie des chantiers de Toulon sous la direction de Dorian. Construite en 1858-59, elle fut armée en 1860. Sa coque était revêtue d'une cuirasse entièrement en fer d'un bout à l'autre jusqu'à une hauteur de 2 mètres sous la ligne de flottaison. Sa machine avait une puissance de 900 chevaux.
Ont suivi le Magenta, le Soférino, la Couronne, la Normandie, l'Héroïne, la Flandre, la Magnanime, la Gauloise des frégates cuirassées de 900 et 1000 chevaux construites par les ateliers de Mazeline au Havre qui livrèrent des machines à la marine italienne, prussienne montrant ainsi la supériorité du système Mazeline reconnu dans le monde entier.

Dans la marine civile, le yacht du prince Napoléon  Jérôme-Napoléon fut également équipé d'une machine de ce type de 450 chevaux de puissance nominale. De 80 m de long pour 16 m de large, aucun navire de cette époque ne fut égalé.
Avec le développement de la vapeur, la marine commerciale et de passagers prend un essor considérable. Les bateaux assurant les moyens de transports pour passagers ont reçu le nom de paquebots et c'est en Amérique qu'ils se développèrent le plus tôt grâce aux progrès de la vapeur et à la grandeur des territoires. Très vite ils sont équipés de tous les services : restaurant, café, coiffeur, bains, etc. En Europe rien de tel, si ce n'est qu'on entend parler des embarcations lors d'incidents ou accidents souvent dus à la témérité (ou l'inconscience) des capitaines qui font exploser leur chaudière pour dépasser un concurrent.

Ce furent les anglais qui les premiers traversèrent l'Atlantique pour des services commerciaux qui furent réglementés dès 1840. C'est aussi en 1840 que le service régulier Liverpool—New York pour le transport des lettres et des passagers fut instauré.
En France le premier service de ce type eut lieu en Méditerranée et en 1857 une concession fut accordée à MM. Marziou et Mazeline pour la traversée de l'Atlantique. En fait Marziou se démit au profit de Péreire. C'est à cette époque que furent construits le Péreire et le Saint-Laurent qui curieusement étaient des bateaux à roues.
La Compagnie des chantiers et ateliers de l'Océan construisit des bateaux à hélice.

Une tentative mixte : roues, hélice, voile fut tentée par l'ingénieur Brunel qui a construit le Great Eastern, ce vaisseau géant, le "roi des paquebots" qui connut une tempête effroyable et au cours de laquelle rien ne bougea à bord. Pour mémoire c'est le Great Eastern qui posa le câble transatlantique grâce à ses dimensions généreuses : 211 m de long sur 21 m de largeur, jaugeant 22,5 tonneaux et possédant deux machines, une de 1600 chevaux pour entraîner l'hélice et une de 1000 chevaux pour les roues, le tout supplémenté d'une voilure comprenant six mâts. Sa vitesse était de 14 à 15 nœuds. 


Voilà en gros l'épopée de la vapeur sur l'eau douce et l'eau salée depuis les tentatives de Denis Papin jusqu'au milieu du XIXème siècle où le bateau à vapeur à machine alternative était au point. Les constructions plus récentes sont connues et leur histoire plus proche de nous, nous est familière.

L'ignorance des découvertes passées est plus grave que celle des découvertes à venir, c'est pourquoi ont été écrites ces quelques lignes pour comprendre pourquoi nos bateaux avancent quand nous craquons l'allumette.

Quand nous éclairons nos chaudières, ce geste simple et familier nous semble tellement naturel, on en connaît d'avance le résultat à quelques réglages près mais il y a trois siècles quand Papin, D'Abban, Fulton éclairaient les leurs, dans quel état d'esprit étaient-ils ? Si la technique d'aujourd'hui leur semblait impensable à l'époque voire hors de pensée, l'état d'esprit dans lequel ces grands savants étaient nous semble à nous inimaginable. On ne peut se mettre dans leur état d'esprit.
Chacun de son côté, accroupi devant le gueulard, les anciens avaient-ils le sentiment de sentir le poids des choses à découvrir et nous, celles déjà découvertes ? Ce même geste ne fut pas engendré avec le même savoir et pourtant n'étaient-ils pas plus savants que nous malgré l'ignorance qu'ils avaient de nos connaissances ? Alors que nous, nous savons ce qui va se passer quand l'eau se met à bouillir, eux l'ignoraient et c'est ce qui les a incités à continuer les recherches dont nous profitons aujourd'hui... ou parfois à y renoncer. La quête de la découverte peut- être à la fois heureuse mais peut aussi créer l'infortune de celui qui ne découvre pas. Parfois il suffit de peu de chose pour "passer à côté" sans voir. C'est ainsi que Murdoch 12 abandonna son projet lorsque sa locomotive (routière) se mit en branle toute seule une fois que la lampe à esprit de vin fut allumée et effraya les habitants . C'est alors que l'idée de la vapeur considérée comme moyen de traction s'empara des esprits dans les bassins houillers du Nord de la Grande-Bretagne et l'idée reprise par d'autres (en l'occurrence Trevithick) déboucha sur la création de la locomotive à vapeur (sur rail).

C'est aussi en cherchant ailleurs que l'on trouve un autre élément qui va former un tout cohérent et pertinent. Un atome seul ne constitue pas une molécule. C'est en allant chercher une machine de Watt que Fulton et Livingston construisirent le Clermont, le premier bateau à vapeur reconnu comme tel. L'invention de l'un contribua largement à la recherche de l'autre tout comme la mise au point de l'un profite à celui qui la met en œuvre à son tour. 
Les vaporistes terrestres n'avaient-ils pas eux- mêmes eu recours aux forgerons, charretiers, mécaniciens pour mener à bien leur invention ? Ce n'est pas tant parce que l'herbe est plus verte dans le pré du voisin que parce que les champs d'observation et d'investigation étaient plus vastes avant l'ère industrielle. Ce n'est que plus tard qu'est apparue la spécialisation. D'ailleurs nos inventeurs n'étaient-ils pas eux-mêmes pluridisciplinaires. Papin était médecin, Evans s'intéressait aux techniques de la minoterie, Fulton à celles canaux et des sous-marins.

Que de chemin parcouru entre la propulsion translative de Jouffroy d'Abban et celle rotative de Fulton. L'un tire l'autre roule. Ce phénomène se retrouve dans l'histoire. On a tiré les objets avant de les faire rouler. Dans l'histoire des machines à vapeur, il en est de même entre la machine de Papin et cette de Watt, il a fallu attendre presque un siècle.

Tout comme la machine à vapeur fut amenée à rencontrer la traction sur route, elle rencontra tout naturellement la navigation. L'idée remonte à Newton dont la machine rudimentaire est décrite dans "l'explication de la philosophie newtonnienne". Elle se compose d'une chaudière sphérique montée sur une voiture dont la vapeur s'échappant par un tube vers l'arrière pousse le véhicule en avant par un effet de réaction. Inutile de dire que cela n'a pas fonctionné mais la voie était tracée.

 

Notes : 
  • 1 Blasco de Garray (1500 - 1552), marin et inventeur espagnol, qui fut Capitaine de l'Armée espagnole sous le règne de Charles V.
    C'est Tomás González Hernández directeur de la communication des Archives de Simancas qui a pour la première fois révélé l'expérience de Blasco de Garay dans le port de Barcelone qui fait avancer un bateau "sans voiles ni rames, qui contenait une grande marmite d'eau bouillante" le 17 Juillet 1543. 
    L'expérience a été effectuée avec un navire de 200 tonneaux devant une assemblée de notables dont Charles V mais les projets d'expédition firent ombrage à Blasco de Garray.
  • 2 Frédéric Sauvage (1786-1857) privé de liberté et observant les essais du Ruttler sous les fenêtres de sa cellule perdit la raison et devint fou. Enfermé à Paris, il mourut en 1857.
    Le 15 janvier 1832, à Honfleur, dans le vieux bassin et à l'aide d'un petit bateau, Frédéric Sauvage démontra que la propulsion par hélice est trois fois plus rapide que celle par roues à aubes. 
    Avec un canot à hélice de 15 pieds, sur le canal de l'Ourcq, il ne parvient pas à convaincre la commission nommée par le ministre de la Marine. Il renouvelle l’expérience sur le canal de la Villette avec un bateau chargé de neuf personnes et muni à l’arrière d’une hélice actionnée à bras d’homme. La rapidité de son bateau fait l’admiration de tous les passagers. Il se ruine cependant dans son projet.

  • 3 Francis Pettit Smith habita Boulogne. Se serait-il inspiré des expériences de Sauvage ? Les français répondront "oui", les anglais penseront le contraire.
    En 1840, l’anglais Francis Pettit Smith construit l’Archimedes, un steamer de grande dimension (237 tonneaux) muni d’une machine à vapeur de 90 cv et d’une hélice arrière d'un pas complet. L’Archimedes prend la mer le 15 mai 1839 et se rendit de Gravesend à Portsmouth en vingt heures, pour une vitesse de près de 10 nœuds contre des circonstances de vent et de marée défavorables. Le résultat donna aussitôt une haute opinion de l'hélice.

  • 4 L'hélice de l'Archimèdes était différente de celle qu'avait inventée Smith. Elle était en métal et faisait un tour complet autour de son arbre. Plus tard on divisa le pas en deux et on construisit des vis à deux filets n'ayant qu'une étendue d'un demi pas.
     
  • 5 Les premières machines à vapeur fonctionnaient à faible vitesse et à basse pression c'est à dire 3 ou 4 atmosphères. Ces machines avaient une longue course de piston. Il a fallu attendre Oliver Evans (1755-1819) en Amérique et Henri Giffard en France pour passer des basses aux moyennes pressions : 12-15 bars.
  • 6 Le système dit à bielle renversée a permis d'allonger la longueur du cylindre en faisant agir la tige du piston sur la bielle bien au-dessus de la manivelle.
    C'est Trevithick qui fut certainement le premier à inventer la machine à bielle renversée (return connecting-rod engine)
  • 7 Mazeline était directeur des ateliers et chantiers de l'Océan à Nantes.
    Mazeline-père exploite un atelier de forge et serrurerie. Ses deux fils lui succèdent, développent l’activité et transfèrent les ateliers place Ste Cécile, puis acquièrent des terrains le long du canal Vauban.
    Vers 1844, les frères Mazeline commencent la fabrication de machines marines (médaille d’or à l’exposition universelle de 1844). En 1847, l'effectif est de 360 salariés.
    En 1856, les Ateliers Mazeline deviennent “Chantiers et Ateliers du Canal Vauban, Mazeline et Cie”. En 1863, à la suite d’une fusion avec Monsieur Armand de Bordeaux, ils prennent le nom de “Cie Anonyme des Chantiers de l’Océan”.
    En 1871, les “Forges et Chantiers de la Méditerranée”, installés à la Seyne rachètent les chantiers Mazeline et achètent également des terrains qui formeront les “Chantiers de Graville”. L’effectif de Mazeline est à cette époque de 920 salariés.
    (Nota : l'Ondée a été construite en 1935 par les “Forges et Chantiers de la Méditerranée”).
  • 8 Ces machines sont plus connues sous le vocable de "machine pilon".
  • 9 Il semble que d'entrée de jeu les navires marins ont utilisé l'eau de mer. D'ailleurs il est mentionné "qu'elles (les chaudières) sont rapidement hors service".
  • 10 position offrant la moindre résistance.
  • 11 Il ne s'agit pas du bateau de même nom précédemment évoqué dans le texte.  Il n'est pas toujours facile de se retrouver dans les noms des bateaux, la même devise pouvant être attribuée à plusieurs bâtiments mais pas dans le même temps.
  • 12 William Murdoch (1754-1839)

Sources :

  • La vapeur et ses merveilles  - Edouard Lockert - Paris - Librairie de l'Éducation
  • Histoire de la machine à vapeur - Tome 1 - R.-H. Thurston - Librairie Germer Baillières et Cie - Bibliothèque Scientifique Internationale - 1880 - Traduction J. Hirsch 
  • Le fil rouge

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