Denis Papin inventeur du bateau à vapeur ?

Marc André Dubout

Denis Papin nous est familier pour ses travaux et expériences sur la vapeur au siècle où le dessein essentiel de la science était orienté vers les arts militaire et fontainier. En effet sous Louis XIV, les deux grandes préoccupations scientifiques étaient la guerre et les jardins pour lesquels on dépensait moult Louis d'or dans la construction de fontaines et de jets d'eau pour agrémenter les parcs.. C'est à la cour de Louis XIV que Colbert fit venir Papin où il rencontra Huygens qui effectuait des recherches sur la pompe à feu en vue d'obtenir le "Vuide".  C'est à lui qu'on doit également l'observation de la tension de la vapeur (il est le créateur de la soupape) et il observe que cette tension produit un travail, c'est à dire le déplacement d'une masse. Si cette observation, n'a pas en soi un caractère original particulier, le génie de Papin fut d'entrevoir dans ce phénomène, la voie universelle vers le moteur universel. Après la pierre philosophale et le mouvement perpétuel, le moteur universel était dans la continuité naturelle de la recherche scientifique. Ses rencontres successives avec Leibnizt, Boyle aboutiront en 1690, à la création du vide obtenu dans un cylindre par condensation.
Ne s'en tenant pas à la seule observation Papin pense déjà à ses applications et ses applications à la navigation.

En découvrant le mouvement de va et vient du piston dans le corps de pompe, Denis Papin pensait qu'il pouvait bien s'appliquer à d'autres effets et devenir le "moteur universel".
En 1690, il décrit le premier bateau à roues à aubes motorisé, tel qu’il l'imagine : quatre cylindres pneumatiques, agissant l'un après l'autre, sur l'axe transversal de deux roues à aubes, placées de chaque côté de la coque.

Dans les "Actes des érudits de Leipzig", il écrit : "je ne peux m'empêcher de remarquer, après avoir donné la description et la figure de son cylindre à piston, combien cette force serait préférable à celle des galériens, pour aller vite en mer, car 1° les galériens par leurs poids chargent beaucoup la galère et la rendent plus difficile à mouvoir ; 2° ils occupent beaucoup de place et embarrassent beaucoup le vaisseau ; 3° on ne peut pas toujours trouver autant de galériens comme on en aurait bien affaire, et enfin, en quatrième lieu, il faut toujours les nourrir, soit qu’ils travaillent en mer, soit qu’ils se reposent dans le port, ce qui n’augmente pas peu la dépense.

Mais mes tuyaux (1) ne pèseraient que fort peu, ils ne tiendraient que fort peu de place, et on pourrait aisément en avoir autant qu’on voudrait, enfin ces tuyaux ne consumeraient du bois que dans le temps de l’opération ; mais dans les ports ils ne feraient aucune dépense. Or, parce que ces tuyaux ne pourraient pas commodément faire jouer des rames ordinaires, il faudrait employer des rames tournantes comme j’en ai vu (2) autrefois à une machine que sa S.A.S Mgr le prince palatin Robert avait fait faire à Londres et que des chevaux faisaient avancer, par le moyen de rames attachées au deux bouts d’un essieu, ce qui réussissaient si bien que la barque du roi, où il y avait seize rameurs, demeurait bien loin derrière cette machine (3).
Il serait donc bien aussi facile de faire tourner par nos tuyaux des essieux, au bout desquels il y aurait des rames attachées, car il faudrait simplement que les manches des pistons fussent dentés pour tourner de petites roues dentées et affermies sur les essieux des rames ; et, pourvu qu’il y eût trois ou quatre tuyaux appliqués à un même essieu, ils pourraient lui donner un mouvement continuel et sans interruption (4) ; car lorsqu’un piston viendrait en bas de sont tuyau (cylindre), de sorte qu’il ne fût plus en état de faire tourner l’essieu jusqu’à ce que la force des vapeurs le fit remonter au haut de son tuyau, alors on pourrait promptement lâcher un autre piston qui, en descendant, continuerait le mouvement. (5)
On m’objectera peut-être que les dents des manches de piston, étant engagées dans les dents des roues, devraient en montant et en descendant donner à l’essieu des mouvements opposés… Mais cette objection est facile à résoudre, car même une chose fort ordinaire aux horlogers d’affermir des roues dentées sur des arbres ou essieux, en telle sorte qu’étant poussées vers un côté, elles font nécessairement tourner l’essieu avec elles librement sans donner aucun mouvement à l’essieu, qui peut ainsi avoir un mouvement tout opposé à celui des roues (6).

Plus tard en 1695, Papin modifia son projet de mécanisme, et ne requérait plus le recours des artifices d’horlogers. Non seulement il était un thermodynamicien, mais encore un mécanicien éclairé. Papin proposa sa machine qui ne fut jamais adoptée, elle restait trop compliquée à mettre en œuvre.
En 1707, il finit par appliquer sa machine à vapeur à la propulsion d’un modèle de bateau sur la Fulda près de Cassel. 
Dans cet essai il met en œuvre une pompe (7) qui élève l’eau nécessaire pour faire mouvoir une roue hydraulique qui à son tour entraîne les palettes. La description de son mécanisme est envoyée à G. W. Leibniz et conservée à la bibliothèque royale d’Hanovre. Papin, qui a abandonné la force vive de la vapeur pour la remplacer par l’élévation de l’eau qui ensuite par gravité fait mouvoir, écrit qu’il a fait construire cette machine pour en appliquer son principe à un bateau qui fut essayé par l’inventeur sur la Fulda. 
En proie à des dissentiments avec des notables de Marburg, il prit la résolution de quitter l’Allemagne de faire transporter son bateau en Angleterre pour l’essayer.

Cassel 7 juillet 1707
…mais je n’ai déjà fait perdre que trop de temps à son Altesse pour mes petites affaires, et il vaut mieux céder et quitter la place que d’être trop souvent obligé d’importuner un si grand prince je lui ai donc présenté une requête pour le supplier très-humblement de m’accorder la permission de me retirer en Angleterre, et son Altesse y a consenti avec des circonstances qui font voir qu’elle a encore, comme elle a toujours eu, beaucoup plus de bonté pour moi que je ne mérite.
Une des raisons que j’ai alléguées dans ma requête, c’est qu’il est important que ma nouvelle construction de bateau soit mise à l’épreuve dans un port de mer, comme Londres, où on pourra lui donner assez de profondeur pour y appliquer la nouvelle invention qui, par le moyen du feu rendra un ou deux hommes capables de faire plus d’effets que plusieurs centaines de rameurs. En effet, mon dessein est de faire le voyage dans ce même bateau, dont j’ai déjà eu l’honneur de vous parler autrefois…
Mais pour rejoindre Brême, et faire passer un bateau de la Fulda au Weser, une permission expresse est requise, c’est ce que Papin demande à Leibniz dans sa lettre.
Comme ceci est une affaire particulière et sans conséquence pour le négoce, je suis persuadé que vous aurez la bonté de me procurer ce qu’il faut pour faire passer mon bateau à Münden, vu surtout que vous avez déjà fait connaître combien vous espériez de la machine à feu pour les voitures et par eau…
Le retour de sa requête se fait attendre. Pendant ce temps il continua les essais sur son bateau.
L’expérience de mon bateau a été faite, et elle a réussi de manière que j’espérais ; la force du courant de la rivière était si peu de chose en comparaison de la force de mes rames, qu’on avait de la peine à reconnaître qu’il allât plus vite en descendant qu’en montant. Monseigneur eu la bonté de me témoigner la satisfaction d’avoir vu un si bon effet, et je suis persuadé que si Dieu me fait la grâce d’arriver heureusement à Londres, et d’y faire des vaisseaux de cette construction qui aient assez de profondeur pour appliquer la machine à feu à donner le mouvement aux rames, je suis persuadé, dis-je, que nous pourrons produire des effets incroyables à ceux qui ne les auront pas vus.
Hélas Dieu n’était pas au rendez-vous de cet espoir et le grand projet ne s’accompli nullement. En post scriptum de sa lettre Papin exprime son mécompte sur la permission requise. Ne recevant pas l’autorisation auprès de l’électeur de Hanovre, Papin cru devoir passer outre et il s’embarqua pour Cassel le 25 septembre 1707. Arrivé au confluent de la Fulda et de la Wera, qui en ce point forme le Wéser, les bateliers lui refusèrent l’entrée. Comme il insistait, ces derniers mirent à sac le bateau, qui si près de la mer pour son départ pour Londres, fut démantelé sur place.
Le bailli de Münden honteux adressa une lettre à Leibniz en essayant de se prémunir de ce qu’il advint au malheureux inventeur. Une autre lettre datée du 20 octobre, adressée à Leibniz par une certain Hattenbach confirme cette réalité.

Cette infortune porte un coup mortel aux efforts que Denis Papin a prodigué pour la navigation à vapeur. Denis Papin qui réussit «à grand peine» à sauver sa vie et s’enfuit en Angleterre, patrie, tolérante qui l’avait accueilli lors de son exil. C’en est fini pour lui de la navigation à vapeur. Je suis obligé de mettre mes machines dans le coin de ma pauvre cheminée. 
Figuier nous rapporte « qu’on ne peut préciser l’époque où il acheva de mourir. Il languit sans doute quelques années encore dans l’isolement et la pauvreté, et qu’il est douloureux de penser sue le besoin a pu abréger le terme de sa triste existence… …Ainsi, il ne nous est même pas donnée de connaître le coin de terre où reposent les cendres de cet homme infortuné».
Sa mort se situe en l’année 1774.

Illustration de Louis Figuier

 

Illustration S. Duclau

 

 

Notes :

(1) Il s’agit ici des cylindres et des pistons, car Papin avait déjà eu l’idée d’en faire fonctionner plusieurs en alternance. Il proposait d’en réunir plusieurs qu’on chaufferait et laisserait refroidir successivement. Il pensait industrialiser son principe avant même de l’avoir mis au point.

(2) l’accord du participe passé n’est pas fait, mais est-ce bien une faute à cette époque. C’est Vaugelas, le contemporain qui instaura cette règle de l’accord du participe passé en genre et en nombre avec le complément d’objet direct lorsque celui est placé avant le verbe.

(3) le principe mécanique (force animale) de la roue à aube appliqué aux bateaux est une invention de date antérieure à celle de la vapeur elle-même.

(4) Le moteur universel n’a été inventé qu’un siècle plus tard par James Watt qui a eu l’idée de remplacer le vide par l’application de la vapeur sur l’autre face du piston (double effet), A l’époque de Papin (1681), Savery (1698), puis plus tard Newcomen et Cawley (1712), c’est la pression atmosphérique s’appliquant sur le vide créé par la condensation qui faisait revenir le piston à sa position initiale. La machine de Newcomen ne donnait que 7 à 8 coup par minute.

(5) On a bien ici l’idée de temps du moteur. Les trois ou quatre pistons marquent bien chacun un temps dans la décomposition du mouvement qui tend à être continu.

(6) La disposition à laquelle Papin fait allusion dans le texte n’est autre que celle dont une très heureuse application a été faite dans les clés de montres dites « à la Bréguet » 

(7) Cette pompe est du type « pompe d’épuisement » utilisée pour l’exhaure. 


Denis Papin est né à Blois 1647. Il fit des études en médecine à Angers puis rencontra Christian Huygens, avec qui il chercha à mettre au point une pompe à l'air. Il travailla ensuite avec Boyle en Angleterre et après un séjour en Italie et à nouveau à Londres, il fut nommé professeur de mathématiques à Marburg. C’est là qu’il construisit sa première machine à vapeur pour la navigation. On perd sa trace vers 1712 et meurt à Londres dans la misère peu de temps après.

 

Sources
  • «La machine à vapeur son histoire et son rôle » - Muller - Hachette et Cie – 1885
  • «Actes des érudits de Leipzig » - Denis Papin
  • « Histoire de la machine à vapeur » - Tome 2 – R.H. Thurston – Bibliothèque scientifique Internationale - Librairie Germer Baillières et Cie – 1880
  • Les merveilles de la science ou description populaire des inventions modernes - Louis Figuier - Furne, Jouvet et Cie Editeurs – 1868
  • Les machines à vapeur – S. Duclau – Eugène Ardant. & Cie Ed. 
  • llustration de Louis Figuier
  • Illustration S. Duclau

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