Historique - La Conférence de l'inspecteur principal Læderich

 

Cette conférence sur les organes de propulsion intéresse aussi bien la Vigie que la Mouette, le principe étant le même, indépendamment de la motorisation : pétrole ou vapeur. C'est la raison pour laquelle nous en  retranscrivons ici le texte. Par ailleurs cette conférence est très instructive quant à la conduite des canots motorisés.

L'étude du moteur et de sa mise en train par la vapeur de la chaudière (ou le moteur à pétrole) se termine tout naturellement par quelques considérations sur l'organe de propulsion ou propulseur dont le rôle est de permettre au bateau d'aller de l'avant, de l'arrière, de s'arrêter.
Le propulseur prend appui sur l'eau, c'est le cas de l'hélice, de la roue à aubes ou bien il prend appui sur une chaîne, c'est le cas du toueur.
L'hélice, propulseur le plus généralement employé n'est en réalité qu'une grosse vis dont les filets très saillants ont été partiellement évidés. Cette vis s'enfonçant dans un écrou, qui ici est représenté par l'eau, chassera ce qui se trouve devant elle, c'est-à-dire le bateau. S'il s'agissait d'un écrou ordinaire la vis devrait à chaque tour avancer de la quantité égale à son pas. Il n'en est pas tout à fait ainsi pour l'hélice qui gaspille environ 1/4 du travail que lui fournit le moteur.
Ce gaspillage tient à plusieurs causes : 

  1. L'écrou dans lequel se visse l'hélice recule sous la poussée ; en outre l'eau rejetée par les ailes ne s'échappe pas assez rapidement et n'est par suite pas assez renouvelée.
  2. Au lieu de glisser progressivement comme une vis bien graissée, l'hélice frappe l'eau avec force et perd ainsi de son travail.
  3. Le frottement des ailes sur l'eau use encore du travail.
  4. L'eau projetée par les ailes qui tournent s'échappe dans le sens opposé de la marche. Elle s'écarte de plus en plus pour former le sillage qu'on voit s'écarter de plus en plus à mesure que le bateau s'éloigne. L'action de l'hélice ne s'applique donc pas dans le sens de l'axe du bateau, mais obliquement or une poussée oblique est toujours moins productive pour la marche en avant qu'une poussée parallèle à cette marche. Cette action est appelée l'action centrifuge de l'hélice.

L'hélice a aussi sur la direction du bateau une influence déviatrice très légère sur la marche avant et très accentuée sur la marche arrière.
Ainsi le bateau sans gouvernail et placé bien droit dans une direction repérée à l'avance tendra à s'en écarter : l'avant gagnera peu à peu vers la droite. Sur la marche arrière l'écart sera rapidement considérable et l'arrière du bateau se rejettera fortement vers la gauche. Les pilotes expriment ce résultat en disant que l'hélice tire à gauche. On explique cette déviation par ce fait que l'hélice étant composée de plusieurs branches, celles-ci ne travaillent pas toutes de la même façon. Celle qui se trouve à la partie supérieure refoule une masse d'eau moins considérable que celle qui se trouve à la partie inférieure. Cette dernière éprouve donc une résistance plus forte que celle éprouvée par la 1ère. Il se passe là quelque chose d'analogue à la façon dont se conduit un canot dont une rame effleure la surface de l'eau tandis que l'autre rame s'enfonce profondément. Le canot tournera du côté où la rame est plus enfoncée.
Si on combine l'action de l'hélice et celle du gouvernail il importe de savoir que le mouvement de l'hélice est sur la marche avant, favorable à l'action du gouvernail pour la direction du bateau, parce qu'en tournant elle projette de l'eau sur le safran du gouvernail. Par contre si l'hélice ne tourne pas, ses ailes masquent le gouvernail, s'opposent à l'arrivée de l'eau sur le safran et le bateau se dirige moins bien. Dans une manœuvre qui exige une certaine précision, accoster un ponton par exemple, il ne faut pas compter réussir à arriver exactement du large si l'hélice ne tourne pas. Vous avez peut-être remarqué que les capitaines de bateaux à voyageurs lorsqu'ils sont à proximité d'un ponton, mais au large font marcher le moteur afin de pouvoir se redresser, quitte à dépasser le ponton et à revenir par la marche arrière. S'ils ne prenaient pas ce soin de faire mouvoir légèrement l'hélice pour projeter un peu d'eau sur le gouvernail et lui donner de la sensibilité, ils ne pourraient se redresser à temps et ne réussiraient qu'à bronquer 1 le ponton.
Il importe enfin de ne pas ignorer que l'action de l'hélice lors de la marche arrière ralentit peu la vitesse.
La résistance nécessaire pour amortir la course d'un bateau c'est-à-dire sa lancée ou son erre dépend surtout de sa longueur, de son poids, de sa forme et de sa vitesse. On a pu constater lors des collisions que malgré la marche arrière immédiate des deux côtés il n'y avait pas moins pénétration violente.
En ce qui a trait à la longueur, un bateau stoppé parcourt encore 5 ou 6 fois sa longueur. Quant à la forme il est évident que plus le bateau est taillé finement mieux il vaincra la résistance passive de l'eau. Un bateau fin coupe l'eau, un grossier la bourre. Enfin pour apprécier l'effet de la vitesse et du poids prenons par exemple un bateau à voyageurs qui vient à vitesse normale heurte un bateau arrêté. La force de pénétration qu'en mécanique on appelle la force vive est égale à la moitié de la masse multipliée par le carré de la vitesse. Or la marche d'un bateau à voyageurs c'est-à-dire son poids est de 70 000 kilogs, s'il marche à raison de 15 kilom. à l'heure sa vitesse à la seconde est de 15000/3600 = 4 m. environ. D'après la formule sa force de pénétration sera de 70 000*4*4/2 = 560 000K appliquée sur la partie du bateau touchée. Comme les étraves des bateaux à voyageurs sont très aiguës ce poids formidable s'applique sur une toute petite surface et vous serez peut être étonnés de la facilité avec laquelle lors d'une collision un bateau à voyageurs entre dans un bateau en bois, une péniche par exemple.
Vous comprenez aussi dès lors quel faible effet peut avoir l'hélice pour amortir par la marche arrière et en quelques secondes l'action d'une pareille force. De cette difficulté d'arrêter un bateau simplement par la marche arrière découle pour un capitaine l'obligation de connaître parfaitement la façon dont se comporte son bateau et d'apprécier exactement son erre c'est-à-dire la longueur qu'il parcoura encore après le moment où la marche aura été renversée. Au point de vue de la longueur du bateau on peut admettre que l'erre est égale à 5 ou 6 fois la longueur du bateau. Il sera dès lors plus prudent de s'arrêter suffisamment à temps pour éviter les collisions et lorsqu'il sera surpris brusquement appréciera mieux s'il n'est pas préférable de continuer à marcher en manœuvrant son gouvernail pour un évitage. Il faut bien se pénétrer qu'en cas de surprise un capitaine n'est pas toujours condamnable pour l'unique raison qu'il n'a pas immédiatement commandé la marche arrière.
L'étude de l'action du gouvernail viendra encore confirmer ce principe.
Par contre tout capitaine qui prévoit un embarras ou une gêne, et qui par conséquent n'est pas surpris doit ralentir son allure et au besoin stopper. En agissant ainsi, il donne souvent à la gêne le temps de cesser et s'assure, si une collision survient, le rôle d'adversaire prudent.
conf2_04.jpg (64093 octets) Pour terminer ce qui a trait à l'hélice définissons deux expressions souvent employées. Le diamètre de l'hélice est la plus grande longueur mesurée d'une extrémité à l'autre de deux branches opposées. Autrement dit c'est le diamètre du cercle qui envelopperait exactement les ailes.
Le pas de l'hélice ne peut se définir exactement qu'à l'aide d'expressions mathématiques. Comme il est entendu que ces expressions ne seront jamais employées ici, cherchons à nous faire une idée du pas par comparaison. Les branches d'une hélice se présentent à nous comme une surface tordue. Redonnons à cette surface une forme plane comme si on avait simplement découpé les ailes dans un fond de boîte. Le pas de cette hélice sera nul.
Tordons maintenant les ailes qui se présentaient en largeur vont se présenter en épaisseur. Le pas de cette hélice sera infiniment grand. Pour passer de la première position à le seconde il a fallu tordre de plus en plus les branches. C'est la valeur de cette torsion qui exprime le pas de l'hélice.
Dans le 1er cas lorsque le pas était nul l'hélice en tournant aurait simplement coupé l'eau ; dans le 2è cas lorsque le pas était infini l'hélice en tournant aurait simplement battu l'eau ; dans les positions intermédiaires l'hélice aura pris la forme d'une vis et grâce à son pas elle se vissera dans l'eau.
conf_05.jpg (71658 octets)Afin de pouvoir opérer son mouvement de rotation dans l'eau l'hélice est fixée à l'extrémité d'une forte barre de fer cylindrique appelée arbre de couche dont l'autre extrémité porte la manivelle qui fait tourner l'arbre. Celui-ci est placé dans la cale au dessus de la quille, dans une position bien horizontale qu'on obtient en faisant la ligne d'arbre. Cet arbre est soutenu par des supports placés de distance en distance et qu'on nomme paliers. Le premier, placé près de la manivelle s'appelle grand palier. Un autre a une disposition particulière et forme le palier de butée. Si l'arbre ne faisait que tourner, l'hélice transmettrait son mouvement à cet arbre qui serait refoulé dans l'intérieur du bateau, repousserait la manivelle et détraquerait le moteur sans faire marcher le bateau. Pour obliger l'arbre à transmettre la poussée au bateau on dispose un certain nombre de collerettes sur cet arbre, et on engage ces collerettes dans les cannelures d'un pallier fixé au bateau dans des conditions particulières de solidité ; c'est le palier de butée. Les collerettes poussent sur les cannelures et comme celles-ci font corps avec le bateau c'est ce dernier qui en résumé subit l'action de cette poussée. On met plusieurs collerettes pour répartir la poussée sur un plus grand nombre de points à la fois.
L'arbre traverse ensuite le bateau par un tunnel ménagé dans l'étambot pour envahir la cale ou lui fermer la voie à l'aide d'un presse-étoupe qui assure l'étanchéité sans provoquer trop de frottement. Il filtre cependant toujours une petite quantité d'eau que l'on vide en faisant fonctionner le siphon de cale ou la pompe de cale.
Les bateaux à vapeur de fort tonnage ont souvent deux hélices placées de chaque côté de la quille et montées chacune sur un arbre parallèle à la quille. Chaque hélice est mue par un moteur indépendant et peut ainsi manœuvrer seule et à contre sens de l'autre. Dans ce cas le virage est facilité et s'effectue dans un rayon beaucoup plus court qu'avec une seule hélice car le bateau se trouve alors dans les mêmes conditions qu'un canot dont le rameur nage avec un aviron, tandis qu'il dénage avec l'autre.


 

Notes
  • 1 Bronquer : heurter

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