Les installations de transbordement et les câbles aériens

La gare de Tourves était, un centre important de transbordement de la bauxite acheminée depuis Mazaugues par un chemin de fer électrique à voie étroite dès 1909 puis par deux télébennes.
Le choix de la gare de Tourves pour le transbordement de la bauxite a changé l'implantation initiale des voies P.L.M. de 1880 pour en créer de nouvelles, réservées à cette activité et le site initialement rural est devenu industriel.
Sur le plan de 1880, la gare dans sa conception est comme toutes les gares de la ligne et de la région, avec sa voie principale, une voie d'évitement et deux voies de débord raccordées à la principale côté Carnoules.
Les deux voies de marchandises étaient reliées à une plaque tournante donnant accès à une courte voie perpendiculaire au quai ouvert côté Sud.

L'activité de transbordement de la Bauxite à Tourves allait, dès le début du siècle, modifier profondément la physionomie du site entre le tunnel et le PN 26. 

On distingue dans la première moitié du 20ème Siècle trois grandes installations de transport du minerai : 
  • le petit train de Mazaugues (en violet)
  • le câble aérien de la SEMF puis Péchiney (en bleu)
  • le câble aérien de la société Bauxite de France, puis Alusuisse (en vert).

Il ne s'agit pas ici de retracer l'histoire des compagnies et l'évolution des sociétés qui ont exploité la bauxite sur le carreau de Mazaugues mais de garder à l'esprit le souvenir des installations qui se sont implantées sur le site de la gare pendant la première moitié du 20ème siècle.


Le petit train de Mazaugues (en violet)

En 1910 avec la construction du chemin de fer de Mazaugues, deux voies ont été posées derrière l'abri de quai, côté Ouest en contre bas de la voie de 70 où les wagonnets de deux tonnes versaient directement dans les wagons P.L.M. de 10 tonnes.

La gare de Tourves, déchargement de la bauxite dans les wagons P.L.M. (collection MAD). 

Les câbles aériens

Le principe du câble aérien est de fonctionner selon la loi de la gravité. Le système se compose de deux câbles  : 

L'entraînement du câble de traction est assuré par la différence des poids entre les bennes pleines qui en descendant le minerai font remonter les bennes vides. Un système de frein régule la vitesse du câble et un autre, de débrayage, permet d'arrêter la benne à chaque station. Dans les stations de départ et d'arrivée, des rails métalliques agrémentés d'un système d'aiguillages donne accès à différentes voies de garages ou d'entretien.
Un moteur électrique sert, cependant, au lancement des premières bennes, qui ensuite par leur propre poids entraînent le câble.
Le châssis des bennes est muni de deux poulies articulées, autour d'un axe, qui roulent sur le câble porteur. Quelques centimètres plus bas une mâchoire, fixée sur le châssis et reliée à un contrepoids, serre le câble de traction. A son arrivée dans une station un rail soulève le contrepoids et libère la mâchoire, la benne roule alors sur son aire et est arrêtée par un ouvrier.

Gros plan d'une benne. On voit la paire de poulies, le châssis et la mâchoire qui serre le câble de traction. La benne vient de franchir le pont de protection au dessus des voies P.L.M. et s'apprête à entrer dans la station d'arrivée de la société Péchiney.
Sur cette photo, on voit bien le contrepoids et la mâchoire qui serre le câble de traction. 
Noter la poignée en bas de la benne n°60 qui servait à la verse. Le châssis est en fer plat forgé et riveté. Un système de verrouillage empêchait la benne de verser intempestivement.
Sur certaines bennes un dispositif empêchait à la paire de poulie de quitter le câble de traction

Chaque benne pleine pesait environ 200 kilos. Après la guerre un essai de benne en aluminium ne donna pas satisfaction, les bennes vides, trop légères déraillaient fréquemment à cause des vents violents et entravaient l'exploitation. En effet sur certaines portions du parcours, le câble atteignait entre 30 et 50 m de hauteur et les gens d'ici connaissent bien la force du vent.

En 1950, essai d'une nouvelle benne en aluminium plus légère et de capacité supérieure, ici à gauche sur la photo (collection Eugène Mulos).

Le câble porteur

Le câble porteur n'était pas toujours d'un seul tenant. Dans ce cas, il assurait le portage d'une station à l'autre. Fixé solidement dans un bloc de maçonnerie à une extrémité, il était à l'autre bout muni d'un gros contrepoids qui en fonction du nombre de bennes le tendait plus ou moins. Il existait des stations d'ancrage dédiées à cet effet. La tension du câble était réglable grâce à un contre-poids et c'était un ouvrier spécialisé extérieur à la Société qui en avait la charge.

ts) Station Péchiney. On voit très nettement le contrepoids du câble porteur sous la station d'arrivée. Une benne vide prend son départ pour la station de Réconflu (collection Eugène Mulos).

Le câble de traction

Le câble de traction faisait le tour complet du circuit. Pour obtenir la longueur utile plusieurs câbles étaient réunis bout à bout, par des épissures faites par des ouvriers spécialisés. A chaque extrémité une poulie assurait le renvoi du câble. A Mazaugues un contrepoids relié à une poulie assurait la tension correcte du câble afin que celui-ci adhère aux poulies de renvoi.

Station de départ à Mazaugues de Bauxite de France. En bas, à gauche de la photo des bennes pleines en attente de départ. Derrières elles des bennes sur des voies de garage (photo J.M. Brémond).
Télébenne Alusuisse. Sur cette photo, on voit bien le câble porteur sur lequel les deux poulies en ligne roulent et le câble tracteur plus fin sur lequel une mâchoire assure l'accrochage du châssis au câble (photo J.M. Brémond).

Les installations étaient montées à la fois par des ouvriers en chômage technique, car les mines travaillaient à la demande, et des entrepreneurs locaux qui prêtaient ponctuellement la main. Les câbles ne fonctionnaient pas tous les jours mais selon les expéditions à traiter. Quand ce n'était pas pour expédier, les câbles acheminaient la bauxite vers les stocks.
Seul Péchiney alimentait en continu son usine d'alumine de Gardanne. En 1946, le télébenne d'Alusuisse était capable de transporter 200 tonnes/jour, soit 1000 bennes/jour.

A la croisée des routes et chemins, un pont abri était exigé par la commune et une redevance lui était versée. En général, les compagnies achetaient les terrains ou louaient les parcelles aux propriétaires.

Pont abri au-dessus de la route de Mazaugues à Tourves (E). Ce pont était situé près du départ du petit train de Mazaugues.
Les compagnies payaient une redevance à la commune pour la traversée aérienne des voies de communication. 

L'apparition des scappers et des camions modernes rendirent désuets les câbles aériens qui ne survécurent que quelques années à la seconde guerre.


Le transbordeur aérien de la Société d'Electro-Métallurgie Française

En 1903, la SEMF est autorisée à installer un câble aérien de la Caïre du Sarrazin, à la gare de Tourves en passant par le plateau de Cassède (B).
Passée en Décembre 1903, la convention fut établie pour une durée de douze ans.
Le  câble transbordeur fut construit en 1904 et fonctionna jusqu'en 1949. Son alimentation électrique était produite par une turbine installée dans les gorges du Caramy.
En 1912 une convention passée avec la commune de Mazaugues prévoyait l'électrification du village. Ce contrat s'étend aussi à la société Union des Bauxites. A cette occasion, il fut prolongé (
C) de la mine de la Caïre jusqu'à la Baume St Michel et une deuxième turbine fut installée.
En 1930 lors de sa modernisation, le télébenne reçu des pylônes métalliques et les stations des changements d'angle furent reconstruites en maçonnerie. c'est vers cette époque que la station de Cassède fut détruite par un incendie puis reconstruite en dur.

Le tracé du transbordeur aérien de la SEMF n'était pas linéaire, deux changements de direction ont nécessité la construction de stations intermédiaires :

  • Cassède (B) au bord du Caramy

  • Réconflu (A) (quartier du Bosquet) au sud du château de Valbelle.

Dans ces stations un ouvrier surveillait la réception (débrayage automatique des bennes) et expédiait les bennes.
A ces stations il fallait ajouter des stations d'ancrage des câbles porteurs dont la longueur était limitée. Le câble était ancré à une extrémité et à l'autre un contrepoids en assurait la tension.

Par ailleurs, la déclivité était très inégale. Entre la station du Réconflu et la station de Tourves la pente était beaucoup plus raide qu'en d'autres endroits. Le jeu de la gravité n'étant pas suffisant, il a fallu construire un barrage pour alimenter le moteur de traction du câble.

transb_01.jpg (32276 octets) Tourves. Vue générale de la gare marchandises avec le pont du télébenne qui passe au-dessus des voies P.L.M. On distingue derrière le pigeonnier, la station d'arrivée de la bauxite de la SEMF rachetée plus tard par Péchiney (collection J.M. Brémond).
 Une autre vue prise du château de Valbelle.(collection J.M. Brémond).
 La gare et le pont du transporteur aérien. Carte postale colorisée. (collection J.M. Brémond).

Sur cette carte postale on distingue une benne au dessus de pont protecteur des voies P.L.M. et la halle marchandise. Noter la protection au dessus de la rue, protection qui avait été exigée par la commune suite au décrochement de trois bennes dans la propriété d'un tourvain en 1905. (collection MAD). 

Vue générale de la station d'arrivée avec une benne qui vient de franchir un portique en bois de première génération. Noter les wagons de Bauxite garés sur la voie à droite de la station d'arrivée. Ces voies ont été implantées bien après la construction de la gare en 1880. (collection J.M. Brémond).
 Une benne s'apprête à franchir un portique en bois. (collection J.M. Brémond).
On distingue bien la station d'arrivée à droite du pigeonnier.  (collection J.M. Brémond).
Vue en direction du sud. Au fond le tunnel et les ruines du château de Valbelle. (collection J.M. Brémond).
Station Péchney en bois construite en 1903. Vielle trémie de chargement des wagons Péchiney. Elle fut reconstruite en 1930. Avant la création des trémies, les wagons étaient chargés à la pelle, le soir. Le chef de gare autorisaient les ouvriers à faire ces heures supplémentaires dans l'enceinte de la gare marchandises. 

Les stations du Reconflu et de Cassède.

La station du Reconflu comme celle de Cassède était une station de changement d'angle. Il y avait interruption du câble porteur avec débrayage des bennes (système de contrepoids soulevé par un rail et libérant la mâchoire de la benne). Un ouvrier lançait les bennes vers l'aval, selon une cadence donnée.

La station de Cassède avant sa reconstruction en maçonnerie. C'est Yvon Barbier, le dernier à y avoir travaillé, qui lançait les bennes pleines en aval, vers la station de Réconflu. 
Il y avait un seul ouvrier dans les stations de changement d'angle.
La station de Reconflu en construction.
La station de Reconflu dont le soubassement a été reconstruit en maçonnerie. C'est Arnaud Marcel qui y a oeuvré en dernier avant l'arrêt du transbordeur (photo J.M. Brémond).
Station du Réconflu qui servait à changer l'orientation du câble aérien. Le soubassement en maçonnerie de cet ouvrage est toujours visible à Tourves.  (collection J.M. Brémond).

Les turbines

Les turbines assuraient l'alimentation électrique des moteurs qui faisaient démarrer les premières bennes. Les turbines étaient alimentées par des eaux du Caramy sur lequel un barrage avait été construit pour la retenue d'eau.  

Le barrage dit du "Saut des Cabris" (Alt 430m) construit en vue de retenir l'eau qui alimente la turbine par une conduite forcée
La première turbine construite en 1903-1905 au début de l'exploitation.
Aujourd'hui, il reste dans les gorges du Caramy des coupons de voie de 50 qui par endroits ont servi de support à la conduite forcée.
La deuxième turbine construite à l'occasion du prolongement du câble de la SEMF en 1913.

La modernisation en 1930

Péchiney à partir de 1930, vue côté Nord de la station d'arrivée du télébenne de la société Péchiney en gare de Tourves.
Fin d'exploitation mars 1949, démolition en 1953 (photo collection Eugène Mulos).
Péchiney à partir de 1930, vue côté Sud de la même station. (photo collection Eugène Mulos).
Péchiney à partir de 1930, vue prise du haut de la station côté Nord sur le faisceau de voies où sont garés des wagons Péchiney. Noter la voie de 60 servant à la déverse du minerai sur le stock. Sur cette photo, on voit bien l'importance du stock et le tapis roulant qui servait occasionnellement au chargement des wagons à partir au stock (photo collection Eugène Mulos).

 


Le transbordeur aérien de la société des Bauxite de France (en vert)

Ce télébenne a été construit de 1930 et mis en service en 1933 par la Société Bauxite de France pour acheminer le minerai de la Caïre de Piourian (D)jusqu'à la gare de Tourves. Plus moderne que le précédent, les pylônes étaient en fer. Son parcours était rectiligne de la mine à la station d'arrivée située à l'Ouest de la gare de Tourves et de déclivité pratiquement constante..
Il fut exploité jusqu'en 1953.

Bauxite de France, Mazaugues, station de départ du télébenne
Pont abri au-dessus de la route de Mazaugues à Tourves (E). Ce pont était situé près du départ du petit train de Mazaugues.
Construction métallique de la station d'arrivée de Bauxite de France en 1930. On profitait du chômage des mineurs pour les employer à la construction des stations et câble aériens. Des entreprises locales y participaient également (photo collection Eugène Mulos).
Bauxite de France, voie des vides à gauche et voie des pleines à droite. Devant la station on voit la bascule où un ouvrier attend le pesage d'un wagon (photo J.M. Brémond).
Trémie de Bauxite de France à partir de 1930 (photo J.M. Brémond).

Le site de la gare avec les installations maximales

Photo prise en direction du sud. On voit les deux stations d'arrivée en gare de Tourves.
A gauche au premier plan, celle d'Alusuisse et à sa droite au fond, de l'autre côté de la voie ferrée, celle de Péchiney reconstruite en maçonnerie avec son pont abri. (photo
Eugène Mulos).

D'autres câbles aériens ont existé à Tourves, mais n'aboutissant pas à la gare, ils ne sont pas traités dans ce chapître. On peut citer celui de Bauxite de France qui reliait la carrière de la Brasque à Maquan au bord de la RN7 sur la commune de Tourves.
Ce télébenne cessa son activité dans les années 50.


Sources :
  • Les Gueules Rouges du Var - Un siècle de bauxite dans le Var Claude Arnaud et Jean-Marie Guillon Association des Gueules Rouges du Var 2003
  • Documentation photographique Gillet
  • Collection d'Eugène Mulos et de Jean-Marc Brémond
  • Différents témoignages oraux d'Eugène Mulos