Les plaisirs sur l'eau
Isabelle Outin
La Seine à Paris
À la Râpée vivaient le marinier pur sang et sa commère, la blanchisseuse. Toute la semaine se passait dans de rudes travaux : la conduite de toues chargées de vin, de fruits, de bois, de pierres ou d'énormes convois de charbon.
Les blanchisseuses, sur le bateau-lavoir où régnait la gaieté, les « poules d'eau » comme les appelaient les mariniers, ont bon pied et bon œil, les chants retentissaient avec l'accompagnement des battoires.
Sur les bords de Seine on trouvait aussi le pêcheur, qui, le dimanche et les jours de fêtes, pêche en famille, avec femme et enfants, la bonne et le chien !
La Seine a aussi ses canotiers, personnages turbulents et pleins de fantaisie.
Intéressons nous particulièrement aux Sequaniens dont le premier plaisir est de s'essayer à la nage.
La Seine avait beaucoup de « bains à quatre sous » qui étaient repoussants ! On y fournissait le caleçon à ceux qui pouvaient payer. La serviette était un luxe.
Le plus célèbre de ces bains à quatre sous était le bain Tronchon, à la pointe de l'île Louviers, lieu de rendez-vous de tous les lycéens et étudiants du quartier Latin. Pendant longtemps la clôture des bains était de planches et de toile, suffisant pour la pudeur.
Un sieur Poitevin fut le premier à établir en 1765 un vaste établissement de bains sur bateau. Le sieur Vigier qui lui succéda, développa cette idée et fit flotter quatre bains sur la Seine : au Pont Marie, au Pont Neuf, au quai des Tuileries et au Quai d'Orsay.
Les cours de natation étaient donnés par le Maître de Nage, enfant de Paris, marinier. Il portait un pantalon et une veste blanche, une chemise rose et une large ceinture rouge.
Monsieur Deligny eut le premier l'idée de fonder une école de natation en 1800 près du quai d'Orsay. Une autre école vit le jour à la pointe de l'île Saint Louis, tenue par monsieur Petit. Leur aspect et leur destination différaient notablement. Les deux établissements se composaient d'un espace refermé par quatre galeries, dans la longueur, les galeries formaient un portique, dont le fond était garni de cabinets pour les baigneurs. Au sommet, une rotonde amphithéâtre, pont jeté au milieu de l'école, la partageait en deux bassins, des échelles plongeaient dans l'eau.
L'école de monsieur Petit était supérieure à celle de monsieur Deligny, l'eau y était plus pure et claire. Quai d'Orsay, l'eau était chargée d'immondices après avoir traversé Paris.
Bientôt, sur les rives de la Seine, on vit se dresser de nombreux établissements de bains. Les frères Burgh, entrepreneurs en bois de construction, devinrent propriétaires de l'école du quai d'Orsay. Ils avaient construit le vaisseau "cénotaphe1 ", selon le plan des beaux-arts, destiné à ramener les cendres de l'empereur. Ce bateau devint école de natation ! Plusieurs embarcations y furent ajoutées : bateau d'entrée qui contient le bureau de recettes, la lingerie, le logement du gérant. Un bateau rotonde abrite le café, sa cuisine et son divan, aire de repos, et un autre bateau rotonde contient le bateau séchoir avec gardien, buanderie, salon de coiffure, pédicure, etc... Le fond du bassin a été dragué, il y a 4m d'eau. Les maîtres de nages, chemise et pantalon blanc, et ceintures rouge, portent un chapeau de marin en paille, les garçons de cabines ont eux une ceinture bleue et un chapeau de paille à lisière bleue.
Les premiers nageurs arrivent de bonne heure. Vers dix heures ces messieurs prennent un repas, saucisses, petit pain, verre d'eau de vie...
Vers midi le bain est désert... On se restaure ! Champagne, omelette, cigares que l'on fume partout, puis sieste...
Les nageurs arrivent jusqu'à 16 h et ces bains sont réservés aux hommes
Les établissements pour les femmes avoisinent le Carrousel ou le pont des Arts. Les baigneuses vêtues de laine de couleur foncée, noire ou marron, pantalon-caleçon, très large. La " cantine "est pourvue de pâtisseries, de vins fins, on y fume comme les hommes.
Les leçons de natation sont quelquefois des « leçons à sec », on suspend en l'air par des sangles celles que l'eau effraie trop. Dans certains bains, ce sont les jardiniers d'un couvent qui donnent les cours... et les femmes de mariniers qui s'occupent des cabines.
" La Pleine Eau"
Les nageurs expérimentés se placent sur un
bateau, puis remontent la Seine jusqu'au Pont Royal. Ils rencontrent
souvent des canotiers, vêtus de leurs salopettes jamais lavées (chaque tâche
étant un honneur ! ), puis d’une vareuse et d’un toquet bordé de couleurs
écossaises. Ces excentriques se prennent pour de vrais loups de mer et les
plaisanteries fusent bruyamment des deux côtés.
Le bateau des nageurs arrivé au Pont Royal se met en travers pour descendre
lentement, les baigneurs se jettent à l'eau et se font admirer par les curieux
sur les ponts. Le bateau s'éloigne, il faut penser à revenir, le maître de
nage les rappelle et l'on remonte à bord jusqu'à Deligny.
Les interdictions par la préfecture de police sont nombreuses. Avant le 19ème
siècle, on pouvait se baigner librement dans la Seine mais hors des
habitations. Les gamins de Paris, près de l'île Louviers, du pont d'Austerlitz, de l'île des cygnes ou du pont d'Iéna, nageaient dans le
fleuve en simple appareil et se faisaient pourchasser par la maréchaussée au
risque de se faire confisquer leurs vêtements.
Tout ceci prouve que la Seine était un espace de grandes activités : bachots,
bateaux à vapeur, coches d'eau, bateaux de blanchisserie, écoles de natation,
bateaux de pêcheurs, constructeurs de canots, "déchireurs" de
bateaux … C'était un monde à part entière qui faisait vivre la ville de
Paris pour le travail et aussi pour le plaisir.
Bains flottants au Pont de la Tournelle au XVIIIème Siècle. |
Bains flottants au Pont Royal au XVIIIème Siècle. |
Bains flottants au Pont Henri IV. |
Bains flottants de Samaritaine. |
Bains d'hommes |
Bains du Nouveau Cirque |
Bains Odessa
Notes :
Références :
Paris dans l'eau - |