LA VOILE DANS LES BOUCLES DE LA MARNE
une petite étude historique

Louis Pillon

Si le canotage, l’aviron et la voile naissent au centre de Paris au tout début du XIXème siècle, nos canotiers de la première heure vont rapidement élargir leurs champs d’action.
Pour profiter du guinguet détaxé au delà les barrières, ils découvrent de nouveaux bassins. Avec l’arrivée du chemin de fer, les garages à bateaux vont s’implanter en périphérie. Ainsi Asnières et Bougival deviennent les centres du nautisme (et des plaisirs associés...) en Basse-Seine, c’est bien connu chez Sequana. De la même façon et avec la même importance, Nogentsur- Marne, Joinville-le-Pont et Saint-Maur attirent les amateurs de l’est de la capitale, au départ de la ligne de La Bastille. Le tracé des lignes de trains est donc responsable de l’engouement pour la Basse-Marne au détriment de la Haute-Seine !
Au départ du pont Marie, la grande croisière à faire devient le « Tour de Marne », une incursion marnaise après un bon effort contre le courant de la Seine. L’ouvrage d’Émile de La Bédollière orné des photos d’Ildefonse Rousseti nous montre à quel point toute cette région était restée champêtre, offrant aux « explorateurs » et aux « Robinsons »une aire de découvertes et de menus plaisirs. Avant les premières incursions des canotiers dans la grande boucle de la Marne, l’Écu de France était renommé pour la qualité de sa restauration, même si les produits servis provenaient tous de la Marne ou des « plaines
giboyeuses de ses rives ».
L’arrivée du chemin de fer contribua fortement à transformer les habitudes des canotiers. Ceux-ci qui étaient tous parisiens achetèrent les parcelles mises en vente par les compagnies de chemin de fer qui avaient su acheter ou exproprier de grands espaces. Car ces compagnies n’utilisèrent qu’avec parcimonie les terrains nécessaires au passage de leurs lignes, mais firent des bénéfices considérables sur la plus-value des parcelles vendues aux particuliers. Sur
ces lopins de terre s’érigèrent des pavillons de banlieue, villégiatures dominicales pour les Parisiens. Jullien, le restaurateur de Bercy aux grandes heures du canot-concert, fut le premier professionnel à suivre les nouvelles habitudes de sa clientèle. Bien des guinguettes s’ouvrirent le long des rives, ainsi que nombre de constructeurs.
Au plaisir de découvrir les lois de la physique et les nouveaux « coins perdus » par le truchement du canotage succède le jeu du défi puis de la régate. Puisque nombreux sont ceux qui découvrent un coin charmant, pourquoi ne pas en faire un îlot de sociabilité spécialisé ? Mais finissons-en avec le mythe des premières « Sociétés des Régates de... », appellation courante pour toutes sortes de ville qui laisse à croire que nous avons affaire aux premiers clubs d’aviron ou de voile. Il n’en est rien, cette désignation ne sert que d’étiquette pour des sociétés formées dans un but commercial.
Toutes n’organisent des régates qu’une ou deux fois par an pour un événement qui doit attirer la foule des curieux et des clients. À ces « régates-événements » ne participent que les embarcations du cru. Là, les professionnels de la mer ou de la rivière montrent leur habileté sur des bateaux qu’ils utilisent tous les jours. Les seules embarcations faites plus ou moins pour la course ne sont fournies que par les amateurs. Aussi, au cours de la même journée, on multiplie les courses en fonction des types de bateaux et en raison de l’état social des participants. Peut-on, dans ces conditions, parler de « clubs » lutôt que de « Sociétés de promotion commerciale par le spectacle de régates » ?
De toutes ces « Sociétés des Régates de... » qui fleurissent un peu partout en France, une seule est constituée par et pour uniquement des canotiers : La Société des Régates Parisiennes, créée en 1853 et ancêtre à la fois du Rowing Club de Paris et du Cercle de la Voile de Paris. L’étude statistique des clubs à partir de l’excellent travail de Nicolas Guichet « Tableau alphabétique des sociétés nautiques en France » montre à la fois un changement de dénomination des clubs et leur prolifération à partir de 1881. 1881 n’est pas une date anodine. Pour beaucoup d’historiens elle marque le vrai début d’une Troisième République vraiment républicaine. L’autorité ne tente plus de tout surveiller et, même si on attend la grande loi de 1905 sur les associations, l’administration ne ressent plus le besoin impérieux de tout contrôler. Surtout, les mentalités s’ouvrent à plus de confiance et d’optimisme. Les sociétés nautiques créées à cette époque par et pour les amateurs offrent une sociabilité moderne faite d’égalité entre les membres.
Les entrées ne sont pas soumises au « blackboulage » et les prises de responsabilité dépendent non des titres mais des compétences et du volontariat. oufflent alors les idées nouvelles...
Dans ces nouvelles sociétés, la part faite aux activités extra-sportives semble énorme de notre temps. A l’inverse des troisièmes mi-temps des rugbymen amateurs dont la désorganisation est proverbiale, nos rameurs et équipiers à la voile de la fin du XIXème siècle ne laissent rien au hasard. Les lieux et dates des agapes
sont soigneusement choisis et multipliés, les repas suffisamment longs pour deviser et chanter la gloire des canotiers. Dans cette perspective, les clubs de voile de la Marne n’offrent pas tous les mêmes caractéristiques : à la lecture des résultats sportifs donnés par la presse spécialisée nous pouvons analyser l’activité sportive réelle de certaines d’entre elles. Mais l’absence de tout résultat pour d’autres n’indique-t-il pas que la voile n’est qu’un prétexte à sociabilité ? Ou plutôt que l’activité de la voile correspond à notre vision moderne du loisir sportif ?
Pour des raisons hydrographiques, le canal de Saint-Maur nécessitant le barrage de Joinville-le-Pont, nous devons scinder les sociétés de voile par bassin, celui de Nogent en amont du barrage et le bassin de La Pie en aval. 

Dans le bassin de La Pie 

LA SOCIÉTÉ DES VOILIERS DE LA MARNE 
Fondée en avril 1881 à La Varenne. Elle donne durant quelques années des courses d’océans dans le bassin de La Pie durantl’été. Semble disparue vers 1890.

LE CERCLE DES SPORTS DE LA MARNE
fondé en 1903 à La Varenne, omnisport au départ, avec une section voile. Dès 1903, création du Monotype du Cercle des Sports de la Marne, aussi appelé « Monotype de la Marne ». Les courses restent estivales. Cette section « voile » ne perdure pas longtemps puisqu’en 1913, à la création de l’Union des Sociétés de Rivière, elle n’en fait pas partie. Ce cercle continue toujours de vivre sous la seule activité tennistique.

LE YACHT CLUB DE LA PIE
De cette société nous n’avons aucune autre preuve d’existence que le jeton de nécessité où est gravée cette appellation à côté de celle de Saint-Maur. Sans date, nous ne pouvons en déduire que les dates extrêmes de l’utilisation courante de ces jetons de nécessité, 1914 – 1927.

LA SOCIÉTÉ NAUTIQUE DU TOUR DE MARNE
fondée en 1935 à Saint-Maur, nous n’avons pas d’autres informations que celles données par l’historique du Cercle de la Voile de Basse-Marne (cf. infra). Cette Société Nautique du Tour de Marne aurait eu plusieurs sections dont une de voile dont la plupart des membres se tournent vers le canoëisme à la fin de la guerre 1940-1945. Quelques membres ne prenant pas cette voie décident de fonder le CVBM.

LE CERCLE DE LA VOILE DE LA BASSE-MARNE
fondé à Créteil en 1947. Les quelques membres « dissidents-voileux » de la Société Nautique du Tour de Marne trouvent refuge et mouillage pour leurs bateaux à « L’Arche de Noël » une guinguette connue depuis le début du XIXème siècle. Lorsqu’en 1950 la guinguette est mise en vente, certains membres du cercle s’unirent pour l’acheter et créer la SCI de l’Île Saint-Julien. Depuis, tous les membres du cercle sont aussi membres de cette société civile immobilière. La flotte constituée au départ était assez hétérogène puisqu’en 1948 elle accueillait des unités comme les Star, Chat, Aile, Bulb-Keel, Dinghy Dervin. Mais on trouvait surtout des flottes constituées de Sharpie 9 m² (5), Caneton (7), Pélican (7) et Snipe (11). Il faut noter qu’ainsi le club se démarquait nettement des autres clubs de voile de la région parisienne en accueillant la série des Pélican (seul avec le CV Tours), et surtout en étant le seul club à recevoir les Snipe non seulement en Île de France, mais aussi sur tous les plans d’eau intérieurs. Aujourd’hui encore, le CVBM reste un pôle actif de la série des Snipe.

LA VIE AU GRAND AIR SAINT-MAUR ou LA VGA SAINT-MAUR
fondée en 1919 à Saint-Maur, n’a créé sa section « voile » qu’en 1976. Existe toujours.

Dans le bassin de Nogent-Joinville

LA SOCIÉTÉ DU SÉMAPHORE
De cette société, consacrée à la voile d’après l’historien local Michel Riousset, nous ne possédons que l’image du sémaphore lui-même érigé à la limite entre Nogent-sur-Marne et Joinville-le-Pont.

LA SOCIÉTÉ DE LA VOILE DE NOGENT-JOINVILLE
fondée en 1888, prend le nom de CERCLE DE LA VOILE DE NOGENT-JOINVILLE en 1903. Contrairement aux sociétés du bassin de La Pie, elle n’organise que des courses de bateaux réglementaires, jamais de régates avec des « Océan ». L’organisation du cercle, le règlement intérieur et le code des courses prennent une forme comparable ou similaire à ceux du Cercle de la Voile de Paris, le plus important club de France. La saison des courses est répartie entre le printemps et l’automne avec vacances durant l’été, tout comme au CVP. Les régates sont hebdomadaires et, à la lecture des résultats, les entrées en lices sont comparables. Tout ceci nous fait dire que le CVN-J a été le second plus important club de la région parisienne et peut-être de France durant la période 1890–1914. Il faut noter aussi que le vice-président-fondateur n’est autre qu’Albert Glandaz (à 18 ans) au tout début d’une carrière d’animateur et de dirigeant des Sports Nautiques qui le mènera à la vice-présidence du Yacht Club de France, à la présidence de la Fédération Française des Sociétés d’Aviron, à celle de l’Union des Sociétés Nautiques Françaises (première Fédération Française de Voile), créateur du Canoë Club de France et membre du Comité Olympique International. En 1925, le bassin de Nogent-Joinville devenant impraticable par suite des constructions élevées sur les berges de la Marne, les fondateurs ont décidé le transfert de la société à Vaires-sur-Marne. Tout naturellement le club prend le nom de Yacht Club de la Marne.

LE YACHT CLUB DE LA MARNE
Suite logique du CVN-J après son déménagement à Vaires-sur-Marne en 1925. La vocation sportive du club ne se dément pas avec ces changements. Le Caneton, le monotype à succès des années 1931-1953, fut rapidement adopté en 1935. Des personnages comme Hervé (dit « Tonton Hervé » à la fin des années 1950) y ont fait leurs premières armes, ainsi qu’Alain Cettier futur commodore des Caneton puis des 505. En 1948 le club comprenait 4 Sharpie de 9 m², 6 Alouette, et 30 Caneton. Cette société continue toujours malgré un ralentissement notable de son activité.

LE YACHT CLUB DE NOGENT-JOINVILLE
Fondé sous l’Occupation, ce club avait l’avantage de sa proximité avec la capitale. Mais avec la Libération les défauts du bassin trop petit lui font perdre nombre de ses adhérents. En 1948, le club comptait 39 bateaux dont 13 Caneton, mais la flotte était trop disparate avec 9 séries différentes. On ignore la date de disparition de cette société.

 

Pour Conclure 

De tous les clubs de voile de la Basse-Marne, seul le Cercle de la Voile de Nogent-Joinville pouvait se comparer, modestement, au grand club parisien qu’était et reste le Cercle de la Voile de Paris. 

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