À LA RECHERCHE DE GASTON BRUELLE

Sylvie David-Rivérieulx, 
chargée de mission Plaisance 
au musée national de la Marine 

 

Celle-ci débute voici quelques mois, face à une superbe scène de régate. Sur la toile, une signature peu connue : GASTON BRUELLE ; puis un lieu et une date : ARGENTEUIL, 1883. Mais surtout un pavillon prestigieux que nous identifions immédiatement : celui du Cercle de la Voile de Paris (CVP), flottant au vent.
Il n’en fallait pas davantage pour s’émouvoir. Comment ne pas reconnaître ici un haut lieu de la pratique nautique de la fin du XIXe siècle ? Nous sommes sur le bassin d’Argenteuil « terrain de plaisance » du CVP, que le chemin de fer a mis à quelque vingt minutes de la capitale.
Ici la Seine est large, profonde et les berges conviviales. Alors, les guinguettes se multiplient et les Parisiens s’évadent, s’encanaillent, mais naviguent et régatent aussi, avec la même énergie. Un site privilégié qui attire sur le motif de nombreux artistes tels Monet, Sisley, Renoir, Manet ou Caillebotte également régatier fervent.
Mais que fait ici ce Gaston Bruelle ? Un peintre que les dictionnaires spécialisés ne mentionnent que bien succinctement ! Pour retrouver trace de l’artiste, la consultation des annuaires du CVP est notre premier fil d’Ariane. 

Ce fil d’Ariane se poursuit par une lecture attentive du journal Le Yacht qui dévoile que Gaston Bruelle collabore, en 1883, à la bible de «la navigation de plaisance paraissant le samedi » par l’envoi de huit dessins illustrant des régates à Argenteuil, Rouen, Le Havre et Trouville. Dans son numéro du 29 juin 1884, Le Yacht nous apprend aussi le décès de cet « artiste qui s’était presque exclusivement consacré à la peinture de marine… au talent très réel et très consciencieux… de ce collaborateur précieux que la maladie est venue frapper » ; disparition confirmée dans l’annuaire 1884 du CVP. Puis, un début de recherche généalogique permet de préciser la date de naissance du peintre le 2 juillet 1849 à Paris et celle de son décès à Asnières le 24 juin 1884. Une disparition à 35 ans qui explique certainement le petit nombre d’œuvres actuellement répertoriées: à peine une cinquantaine. 
Mais notre enquête ne fait que débuter. Ainsi, retrouvons-nous face à la toile que Gaston Bruelle a composée en ce printemps 1883. 
Sur la berge, un mât de pavillon arbore fièrement la marque du Cercle de la Voile de Paris, mais aussi d’autres flammes et pavillons (qui restent à identifier) ; tout à côté, on distingue des membres du Comité de Course, et l’auvent de la tribune. Sur le chemin bordé de trois maisons hautes qui longe la Seine, on aperçoit une calèche attelée à un cheval blanc. C’est sur ce même bord de Seine, coté Gennevilliers, que Gaston Bruelle a planté son chevalet ; en aval du pont, devant le ponton qui abrite le loueur de canots et, à l’étage, les salons du CVP. Une dizaine de yachts sont au mouillage, dont une yole garnie de moelleux coussins au premier plan. Au centre du tableau, en point focal, l’œil est attiré par une grande bâtisse rose, style Louis XIII : le « château Michelet », résidence secondaire d’un membre actif du CVP.

Mais ce qui capte et retient l’attention est le « ballet » de trois voiliers extrêmement toilés louvoyant sur des bords opposés. L’artiste a choisi d’illustrer l’approche intense d’un virement à la bouée par trois « clippers » de Seine, côté Nord vers la berge d’Argenteuil. Soufflant d’Est, la brise est légère. On peut admirer le reflet sur l’eau calme de l’immense voilure immaculée sur laquelle, le peintre, observateur averti de la pratique nautique, a pris soin de détailler laizes et ris. Tribord amures, le yacht en tête s’apprête à abattre pour passer la bouée rouge. À son bord, quatre hommes attentifs à la manœuvre ; le barreur concentré sur le cap, un équipier appuyant sur la bôme pour aider au virement ; deux autres aux écoutes dans la baignoire, bordée d’un hiloire protecteur.
Mais qui sont ces trois bateaux exceptionnels, manifestement de la même série ? Et quels sont leurs armateurs ? Ici nos recherches se poursuivent. (
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Cette remarquable scène nautique, précieux témoignage de « l’âge d’or de la plaisance sur la Seine », vient d’entrer dans les collections du musée national de la Marine et est présentée dans l’espace consacré à la peinture à Paris, palais de Chaillot. Elle enrichit la thématique Plaisance que le musée a à cœur de développer. Elle a permis aussi de documenter le parcours d’un jeune peintre de talent, élève de Jules Noël (1810-1881), visiblement grand voyageur et amateur de yachting, dont l’œuvre demeure mal connue. 

(*) Toute information relative à l’identification de ces yachts en régate serait bienvenue ; par avance, merci aux lecteurs de cet article.

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