Il y a des traditions qui se perdent

François CASALIS

Et c’est bien regrettable ! Je suis tombé par hasard sur le récit d’un repas de fin d’année du CNC . La chose se passe dans les années 20 chez Laurent aux Champs-Élysées.

« Éblouissement de toilettes élégantes dans un cadre fleuri pavoisé aux couleurs de Chatou ».Cent cinquante membres du Cercle et leurs invités prennent place pour déguster un « potage Porc-Épic » suivi d’un « barbue Tribord amure » et autres « poulardes Cyclône », et encore « La salade Cafouillage » avec ses « dérives de Foie gras » et enfin arrivent les « délices de Rueil », les « Glaces Snow-boot » et les fantaisies « Bilitis ». Tous ces noms sont empruntés aux Monotypes et aux 6.50 m en vue à l’époque.
Avant que le Jazz-band du CNC se fasse entendre, car le Cercle a son orchestre, le président Messager porte un toast, au champagne bien entendu, à ces « dames, charmantes équipières qui viennent toujours plus nombreuses au yachting, sans doute à cause de leur facilités naturelles qui leur permettent de mener les pauvres hommes en bateau ».
N’est-ce pas délicieux ? Quel farceur ce président et avec quel esprit… on n’en peut plus.
Mais le président se reprend et un vibrant hommage est rendu « à l’harmonie qui a toujours régné sur la Seine de Chatou jusqu’à Triel et à la super (sic) entente qui vient d’être signée de Triel jusqu’à Meulan ».
Puis il est fait lecture du palmarès des régates organisées par le CNC qui en 1924, soit cinq ans avant le départ du territoire catovien, étaient au nombre de 35 dont 17 sur le Bras-de Marly, soit sur le bassin de l’Ile Fleurie, ou celui de Rueil, ou encore celui de la Grenouillère. Sans oublier la caravane nautique qui partait de Chatou le jeudi 29 mai à 9 heures précises pour une première étape à Herblay avec pique nique après l’écluse de Bougival et thé au restaurant les Ricochets à Sartrouville. Dimanche 1erjuin on se retrouvait à Herblay pour la coupe Gaston Bickart réservée aux dames : « Les Monotypes devront être pavoisés ».
Le dimanche suivant, soit le 8 juin, on était à Villennes sans oublier d’aborder sur la plage de l’Île du Platais, histoire de s’assurer de la qualité des adeptes du naturisme qui ont trouvé refuge en ces lieux ! Lundi 9 juin on faisait la fête à Triel.
Enfin le dimanche 15 juin on se retrouvait au Cercle de la Voile de Paris pour toutes sortes de coupes et prix qui se disputaient tous les dimanches jusqu’à la mi-juillet.
En résumé, du début avril à la fin octobre, on n’arrêtait pas de naviguer !

Un meneur exemplaire !
Ces grandes réceptions ne manquaient pas d’allure mais celles qui ont ma faveur datent du début du Cercle Nautique de Chatou. Elles étaient menées par un maître en la matière, Paul Poiret qui organisait de véritables revues ; je donnerais cher pour en avoir la teneur, ou tout au moins une description.
En terme de fêtes, Poiret n’avait pas son pareil : j’ai trouvé dans sa biographie la description de l’une d’entre-elles qui est restée dans les mémoires. 
Il s’agit de la fête de Bacchus. Paul Poiret et sa femme Denise avaient jeté leur dévolu sur un rendez-vous de chasse, le Butard dans le bois de Fausses-Reposes (La Celle-St-Cloud). Pour marquer le coup ils organisaient une fête pour le Tout Paris :
- « J’avais supposé que tous les dieux, les déesses, les nymphes, les naïades, les dyades et les satyres du parc de Versailles s’étaient secrètement donné rendez-vous au Pavillon du Butard ».
Le ton était donné et on imagine l’accueil réservé à cette idée. Les invités interprétaient un ballet italien de Gastoldi, une fanfare annonçait que le souper était proche : au programme, melons, langoustes, foie gras, neuf cents bouteilles de champagne allaientt passer de vie à trépas. Isadora Duncan que les bulles avaient dû mettre en forme dansait sur une aria de Bach. La fête se poursuivait avec un concert pour violons et clarinettes composé par Lulli en 1707. Tout le monde était bien entendu costumé ; on trouvait des nymphes voilées de blanc, des soldats du Roy en compagnie de commères bacchiques qui versaient le vin nouveau. Une bacchante distribuait des cornes comme celles où buvaient les bergers d’Arcadie. Vingt maîtres d’hôtel sillonnaient la forêt éclairée par des torches. Là on avait dressé des pyramides de pastèques, de grenades et d’ananas pour ponctuer le décor…
« C’est à sept heures du matin seulement que les autobus, les Renault et les Voisin déposaient dans Paris les nymphes à demi-dévêtues et leurs dieux un peu fripés » précise le maître de cérémonie qui avait pensé à tout pour faciliter le retour de ses invités sur la capitale.
Heureuse époque, notre Comité d’Administration aurait-il l’idée de rendre hommage à ce passé glorieux ! Cela fait partie de notre patrimoine…

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