Courrier des lecteurs

Dominique BRISOU, 
Saint-Jacut de la Mer
Courrier envoyé le 14 janvier 2008

SUITE À L’ARTICLE SUR DENIS PAPIN DU N° 31
J’ai bien reçu en temps utile votre courrier du 17 décembre 2007. J’ai apprécié votre très belle revue La Feuille à l’Envers. Voici un commentaire et une réponse.
1- Je suis en désaccord avec Marc-André Dubout quand il laisse penser dans son article que Denis Papin a fait construire en 1707 un bateau mû par la force de la vapeur. C’est une tradition tenace mais erronée, qui a été initiée et entretenue par les vulgarisations scientifiques du XIXème siècle. Elle provient d’une mauvaise lecture de la correspondance du savant. Nulle part il n’y est écrit que le bateau était équipé de sa nouvelle invention fonctionnant par le moyen du feu, puisque justement il n’y avait qu’à Londres qu’on pouvait la construire !
Si Denis Papin n’a jamais fait circuler de bateau à vapeur, il a bien sûr conçu le projet d’essayer ce moyen de propulsion - le premier du monde - car les moyens techniques étaient hors de sa portée.
Il serait trop long de rapporter ici de quelle manière cette invention... se pourrait appliquer à tirer de l’eau de mer, à jeter des bombes, à ramer contre le vent, avait-il écrit. [...]Je ne puis pourtant m’empêcher de remarquer combien cette force serait préférable à celle des galériens pour aller vite en mer.[...] Nos tubes (les cylindres à vapeur), au contraire, ne chargeraient le vaisseau que d’un poids très faible : ils occuperaient peu de place ; on pourrait se les procurer en quantité suffisante s’il existait une fois une fabrique pour les confectionner. Mais comme ils ne pourraient pas commodément faire tourner des rames ordinaires, Il faudrait employer des rames tournantes. [...] Il faudrait que les pistons fussent dentés pour tourner de petites roues dentées affermies sur les essieux des rames.
La confusion vient du fait qu’il avait au moins réussi à adapter à un bateau son système de rames à pales, qui était actionné, non pas par une machine à vapeur mais au moyen d’une manivelle tournée à bras d’hommes. C’est ce bateau qui descendit la rivière allemande Fulda. S’il fût mis en pièces par les bateliers, c’est que Papin avait négligé de demander les autorisations nécessaires à la guilde qui détenait le privilège pour la navigation sur les rivières de ce pays. La gravure qui représente le soi-disant bateau à vapeur de Papin est une œuvre tardive de pure imagination.
Papin revint en Angleterre et le 11 février 1708 il confirma devant la Royal Society de Londres, ses idées concernant les bateaux à vapeur. Et selon le mot de François Arago, on peut dire que Papin doit être considéré comme le véritable inventeur des bateaux à vapeur. Mais il n’avait en fait pas trouvé le soutien qu’il escomptait de la «Royal Society» pour construire un prototype. Il n’eut de la France qu’une mince reconnaissance, car il fut nommé membre correspondant de l’Académie des Sciences qu’en 1709. De retour à Cassel en 1712, il s’éteignit en 1714 dans la misère. Il n’avait à aucun moment su monnayer ses inventions par des applications industrielles.

2- La machine du bateau de Jouffroy d’Abbans (1783)
Il y a une grande confusion dans les diverses descriptions du pyroscaphe de 1783. Jacques Payen a donné dans Capital et machine à vapeur au XVIIIème siècle la description figurant sur un manuscrit déposé à la bibliothèque municipale de Besançon. La machine comprenait deux cylindres de bronze où la vapeur était alternativement distribuée par une boîte à tiroirs, le mouvement étant transmis aux roues par une chaîne fixée aux pistons et s’enroulant autour de l’axe. Voici ce qu’écrit Jouffroy : Les pistons sont réglés de manière qu’ils agissent l’un après l’autre, c’est-à-dire que quand l’un monte l’autre descend : ces deux mouvements se font en temps presque égaux, et l’interruption de la force agissante doit être comptée pour nulle puisque dans ces courts instants la machine agit par le mouvement acquis [...]. Il y aurait de très grands inconvénients à placer les pompes à feu verticales[...]. Elles ont été placées en une direction inclinée de 20° au dessous de l’horizontale[...]. Chaque piston agit sur une roue placée sous un arbre qui traverse le bateau suivant toute sa longueur. Cet arbre porte à son extrémité semblable en tout à celles des moulins. dont les vannes ne sont à proprement parler que des rames perpendiculaires. Le piston en redescendant imprime un mouvement de rotation à cet arbre, ce qui ne peut arriver sans que les vannes ne frappent l’eau et ne tendent à faire marcher le bateau... Ces 2 cylindres de vapeur ont chacun 23 pouces de diamètre, ce qui donne une force de 6361 livres et 11 onces1/2, dont nous ôterons les 2/5 pour les frottements et les contrepoids (diminution mise ici plus forte qu’elle n’est en effet) : il restera malgré cela 3 717 livres de force employée à faire tourner l’arbre de roues assorti de vannes[...]. 

Une autre source parle d’un moteur monocylindre à double effet avec une transmission de mouvement à double crémaillère à rochets. La représentation ci-dessous est tirée de l’Histoire de la marine de l’Illustration.
Quel que soit le système global adopté, la machine à vapeur utilisée par Jouffroy était du type de Newcomen, la seule alors connue en France. Et quel que soit le choix du système adopté pour transformer le mouvement alternatif du ou des pistons, en mouvement circulaire, j’avance l’hypothèse que les systèmes plus simples étaient protégés par des brevets ; celui de la bielle-manivelle appartenait depuis 1779 à Matthew Washbrough et depuis 1780 à James Pickard, celui du planétaire avec engrenage épicycloïdal appartenait depuis 1781 à James Watt.
Il faut encore ajouter qu’une équivoque est toujours entretenue par le modèle du Musée de la Marine qui comporte une machine à condenseur et à double effet. Jacques Payen pense que ce modèle fut fabriqué par Jouffroy lui-même vers 1801-1802 quand, de retour en France, il tenta de reprendre un brevet pour bateau à vapeur. Cette maquette devait être présentée à l’appui de la demande, accompagnée de 900 francs. Ne trouvant pas la somme d’argent, l’affaire ne se fit pas. Le modèle put alors ultérieurement être donné à la famille royale en 1816 à l’époque où se construisait à Bercy le Charles-Philippe, dont le futur Charles X était le parrain. Devenu roi, il créa en 1827 le Musée Dauphin, plus tard le Musée de la Marine !

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