Quatre toiles du Canotage à Fournaise

Anne Galloyer, 
Conservateur du Musée Fournaise 

Chaque année, le musée Fournaise reçoit en don les tableaux acquis par l’Association des Amis de la Maison Fournaise et ses adhérents. Les actions de cette Association sont essentielles pour mener à bien cette politique d’achat au profit du patrimoine culturel de la ville de Chatou qui en garantit la pérennité. On ne remerciera jamais assez la disponibilité et la générosité des bénévoles. Sequana le sait bien.
Le canotage est l’un des thèmes de prédilection de la collection du musée Fournaise. Les quatre dernières acquisitions enrichissent la collection en répondant à la fois aux attentes de peinture et à la passion dévorante des canotiers.

Quatre toiles, quatre visages du canotage, au rythme du fleuve.

Gustave Maincent ( 1850-1897)
L’inondation de l’île et le garage à bateaux

Cette formidable toile, de grand format, représente l’évacuation d’un couple en norvégienne, manœuvrée à la perche. On reconnaît le garage à bateau construit à l’arrière de la Maison Fournaise sur l’Ile des Impressionnistes, malheureusement aujourd’hui disparu. Il s’agissait d’un long bâtiment en bois blanc dans lequel était entreposée la flottille du Père Fournaise. Ce garage à bateaux était construit sur pilotis, le long de la digue reliant l’Ile du Chiard à la Grande Île de Chatou. Au tournant du siècle, on apercevait ce hangar à sec et inondé à nouveau en 1910 sur les premières cartes postales. 

À bord du bateau, trois personnages sont peints. Peut-être s’agit-il de Monsieur et Madame Fournaise ? Le visage du personnage à la casquette ressemble fort au portrait du Père Fournaise peint en 1875 par Pierre Auguste Renoir.

Comme l’indiquent les registres de recensement conservés aux archives de la ville de Chatou, le peintre Gustave Maincent était domicilié chez Monsieur et Madame Fournaise. Il décéda dans le train entre Rueil et Chatou le 3 octobre 1897.

Alexandre Jacob 
(Paris1876 - Asnières 1972)
Régates à Asnières

Ces dernières années, les héritiers du peintre asniérois ont vendu le fonds d’atelier du peintre Alexandre Jacob, et de nombreuses œuvres délicates circulent sur le marché de l’art. Cependant, les œuvres se rapportant à la vie de la Seine sont plus rares que les paysages de notre région.
Cette esquisse est particulière, vive et dynamique grâce à l’utilisation d’une touche nerveuse et empâtée. Le ciel orageux et menaçant souligne la tension saisissable de la régate des quatre huit barrés. Devant une tente ou un stand éphémère, une foule se tient sur la berge et encourage les nageurs tirant leurs avirons. Cette rencontre sportive pourrait être organisée par le Rowing Club de Paris. La scène semble se situer entre le pont de Levallois et le pont d’Asnières au vu de l’observation du coude du fleuve sur les photos satellites (provenance du site Internet «Google Earth»). La perspective du paysage est close par le pont de Courbevoie puis par la silhouette du Mont-Valérien.

Léon Comerre 1850-1916
Jeune élégante en yole

Léon Comerre est contemporain des peintres impressionnistes mais son art «orientalisant» parfois est de facture académique. Prix de Rome en 1875, il réalise de grands décors pour la mairie du 4ème arrondissement à Paris. 
Ce petit tableau acheté au Salon des Antiquaires de Bastille à Paris est très éloigné des grandes compositions officielles. Il s’agit peut-être d’une étude ou d’une œuvre plus intime.

Élegante à la yole par Lomerre

Cette petite toile représente une jeune femme ramant sur une yole de promenade. La composition est inhabituelle : le châssis est de format rectangulaire, de 33 cm de haut sur 26 de large. Le cadrage est resserré et tronque les avirons dont les pelles se trouvent hors champ. Il en résulte une impression étrange de mouvement, la yole s’apprête à sortir de la toile en passant devant le chevalet du peintre placé légèrement plus haut que la surface de la rivière. Cela permet d’observer les différentes pièces en bois du canot.
Mais après un temps d’observation, le modèle semble plus simplement posé, et suggère simplement l’action de ramer. Cette jeune élégante vêtue d’une toilette de ville dont la taille si fine est enserrée par un corset ne peut peut-être pas fournir l’effort nécessaire au maniement des rames.
Cette scène a peut-être été peinte au Vésinet où le peintre choisit d’y installer son atelier en 1884 et y amène ses modèles. Il quitte définitivement son hôtel particulier parisien pour y vivre avec sa famille jusqu’à sa disparition en 1916. De 1904 à 1908, il fut conseiller municipal du Vésinet. 

Charles Camoin 1879-1965
Scène de canotage à Chatou devant le pont du chemin de fer vers 1930

Charles Camoin est né à Marseille. C’est à Paris dans l’atelier de Gustave Moreau en 1897 que Camoin rencontre les futurs peintres fauves.
Bonnard, Matisse et Marquet sont ses amis. Il eut la chance de rencontrer Cézanne et de profiter des réflexions du vieux maître provençal. S’il participe à l’aventure du scandale de la Cage aux Fauves au Salon d’Automne en 1905, c’est bien malgré lui et déclara : «Si j’ai été fauve, c’est parce qu’il se trouvait que je peignais de cette façon-là, que j’avais pour la couleur le même amour exclusif que pour mes amis. Mais je ne me suis jamais préoccupé de théories et de principes. J’étais fauve sans le faire exprès… je me laisse guider par mon instinct. Je peins comme l’oiseau fait son nid». Pour le critique admiratif Louis Vauxcelles, Camoin n’est pas un Fauve, mais bien une “fauvette”.

La peinture de Camoin est douce, calme et nuancée. Le peintre nourrissait une grande admiration pour les impressionnistes, même s’il peignait régulièrement dans le midi.
En se rendant à Chatou pour planter son chevalet sur l’île en direction du Pont de Chemin de fer, Camoin suivait les traces de Pierre-Auguste Renoir et des deux fauves de Chatou.

Son art est une passerelle entre la délicatesse lumineuse de Renoir et son goût pour une palette plus rehaussée dans les tons. 
Cette toile acquise à la salle des ventes de Lille affirme l’attachement du peintre qui venant à Chatou, s’installe sur les rives de la Seine et à poursuivre une tradition bien ancrée depuis un siècle : peinture et canotage.

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