Histoire de Lady Maud 

Gérard d’Aboville

Pour les amateurs de patrimoine naval le nom de Lady Maud évoque plutôt l’air salé et les embruns que la brise soufflant sur la Seine. Quand son propriétaire est venu nous trouver pour évoquer la restauration de l’annexe de cette splendide centennaire (classée monument historique), nous n’avons cependant pas hésité longtemps.

Lady Maud au près

Lady Maud a été dessinée et construite en 1907 par A.R. Luke, dont le chantier était situé au bord de la rivière. Hamble Luke était à l’époque un architecte et un constructeur réputé. 
Ce bateau répondait à la jauge des « 10 tonnes Tamise ». Lady Maud était alors gréée en cotre aurique. Sa construction était classique pour l’époque ; coque en teck, quille en orme, membrures en chêne. Le pont est en kauri, un bois de nouvelle Nouvelle-Zélande, particulièrement apprécié pour cet usage au début du siècle dernier, aujourd’hui presque introuvable.
Je n’ai pas trouvé d’informations sur les premiers propriétaires de Lady Maud et à mon grand regret, je ne saurai probablement jamais qui a été la Lady (certainement pleine de charme) qui a donné son nom au bateau.
L’histoire connue de Lady Maud commence dans les années vingt, lorsqu’elle devient la propriété du fameux Capitaine Dixon, un des yachtmen les plus réputés de son temps, médaillé d’or aux jeux olympiques de 1908 et dont on dit qu’il aurait remporté près de 1000 victoires en régate ! Dixon, qui participe à toutes les grandes épreuves de 6m JI, utilise volontiers Lady Maud comme moyen de transport de l’Écosse à la Hollande pour rejoindre les sites de régates. Dixon est alors au sommet de sa popularité. Lady Maud n’est pas le bateau le plus grand qu’il ait possédé mais il y est fort attaché. 
Quand Alain Gerbault, le champion de tennis français et ancien pilote de la Grande Guerre forme le projet d’accomplir un tour du monde à la voile en solitaire, il tente de lui acheter Lady Maud. Dixon lui oppose une fin de non recevoir et Gerbault se rabattra sur Firecrest, un autre 10 tonnes Tamise.
Dixon est également un homme moderne et c’est lui qui transforme Lady Maud en cotre marconi. Une modification qui lui réussit puisque c’est avec ce gréement qu’en 1928, Lady Maud se place seconde à l’arrivée de la Channel Race, course qu’elle remportera en 1930. De là datent les plus anciennes photos que nous avons pu trouver.
Le capitaine Dixon avait-il un penchant pour le cognac français ? Une malheureuse affaire de contrebande va faire la une des gazettes de Falmouth, où il réside. Shocking ! L’héroïne involontaire du scandale sera vendue. Elle changera plusieurs fois de propriétaire, revenant dans son Solent natal.

Remarquer l'annexe sur le roof
C’est en 1970 que, mon épouse et moi descendîmes à Cowes (Cornélia, dont la mère est anglaise habitait dans le Surrey), attirés par une petite annonce. Je ne crois pas que nous avions la ferme intention d’acheter un bateau, en tous les cas nous n’en avions pas les moyens. 
Ce n’est pas sans émotion que je me souviens de ce premier contact. C’était l’automne, un temps froid et triste. Lady Maud nous attendait échouée sur la vase. C’est peu de dire que le bateau avait triste allure : le bout dehors, amputé des deux tiers de sa longueur, n’était plus qu’un moignon, les vernis étaient pour la plupart remplacés par de la peinture marron. Un abominable dog-house érigé dans les années cinquante ruinait l’aspect du pont flush-deck. Pour couronner le tout, la claire-voie du carré avait été éborgnée pour laisser passer un tuyau de poêle en zinc. L’intérieur n’avait pas été mieux traité, boiseries d’origine entaillées ici et là pour fixer des équipements disparates, ajouts rustiques en contreplaqué, et le peu que l’on pouvait voir de la cale et de ce qui restait des varangues en fer suffirait aujourd’hui à me faire prendre la fuite !
Et pourtant... Est-ce la gentillesse des vendeurs, deux frères célibataires qui devaient totaliser un siècle et demi à eux deux ? Est-ce l’inconscience de notre jeune âge ? Est-ce la beauté des formes exceptionnelles révélées le lendemain entre deux marées ? Ou est-ce plus simplement un prix qui était celui d’un pauvre vieux bateau démodé – pas encore « ancien » – et qui ne parvenait guère à cacher son mauvais état ? Probablement un peu de toutes ces raisons… Je proposai de réserver le bateau et de revenir plus tard, avec l’argent.
Marché accepté. Six mois plus tard, Lady Maud était à nous. Ayant passé des années à naviguer sur un ancien bateau pilote de Bristol, ce bateau me paraissait bien petit et je ne pensais pas alors le garder plus de deux ou trois ans… C’était il y a 37 ans !
Entre temps Lady Maud a bien changé. Une profonde réfection de la coque, des aménagements restaurés, et surtout un gréement de cotre aurique qui lui redonne une telle allure que je pense que, même le Capitaine Dixon, s’il voit son bateau de là haut, me pardonne ce retour en arrière. Lady Maud est basée dans le Golfe du Morbihan, elle navigue l’été, des Hébrides à l’Espagne. Dans les années 70 ou 80, il m’arrivait parfois d’être interpellé par des yachtmen anglais d’un certain âge, émus et ravis de revoir un bateau sur lequel ils avaient navigué vingt ou trente ans plus tôt. Aujourd’hui cela n’arrive plus, petit à petit le passé de Lady Maud se confond avec le mien.
L’année dernière, j’ai découvert un beau bateau à vendre à un prix très intéressant. Nettement plus grand que Lady Maud, c’était l’occasion d’imaginer des croisières plus lointaines et surtout plus confortables. Pourtant, je n’ai pas donné suite, il m’aurait fallu vendre Lady Maud et je n’ai pas eu le courage de me séparer de ce vieux compagnon à la veille de ses 100 ans.

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