Les mystères du siège à roulettes… 
ou l’histoire du « sliding-seat » !

François Casalis 

Cet accessoire, qui va changer radicalement la façon de ramer, ne fait pas l’objet d’une terminologie bien précise. Tour à tour on parle de coulisse ou de sellette… Pour faire chic je vous propose d’adopter le terme très britannique de « sliding-seat » !
On pourrait croire que l’invention nous vient de la perfide Albion !
Que nenni !

 

L’histoire remonte aux sources de la civilisation, pour être plus précis, il faut aller se faire voir chez les grecs pour trouver les origines de notre siège à roulettes ! 

Les archéologues confirment que l’examen attentif d’un certain nombre de bas-reliefs, en particulier celui découvert en 1859 par le sieur Lenormant dans les ruines d’Erechteion, ne laisse aucun doute sur le fait que les rameurs grecs poussent sur leurs jambes pour avoir un coup d’aviron plus efficace. C’est une question de survie nous allons voir pourquoi ! 


(Building the Trireme par Frank Welsh – Constable London 1988- Photo du haut : Les renforts fessiers sont visibles sur les shorts des rameurs en attente d’embarquement –Photo du Bas- Cela fait 170 rameurs !)

Du suif et rien que du suif, ça peut vous sauver la peau !
Le « sliding seat » n’étant pas encore à la mode, il faut se « graisser l’arrière-train » pour en assurer le déplacement du corps du rameur et ainsi augmenter l’angle de balayage de l’aviron, donc son efficacité. Les anglais qui n’ont pas hésité à reconstruire une trirème en 1987, équipent leurs rameurs d’un « cushion grease » afin d’éviter les échauffements intempestifs !
A l’époque le but des promenades nautiques de nos charmants hellènes est de couler l’adversaire grâce à un puissant rostre solidaire de l’étrave, placé au ras de la flottaison. Ces bateaux sont rapides donc relativement légers et fragiles. 

La tactique de combat est grosso modo la suivante, (pour plus de détails consultez votre archéologue favori)

Il faut donc pouvoir virer très vite et relancer la machine à fond la caisse au plus tôt, d’où l’avantage de se servir des jambes qui représentent une masse musculaire bien supérieure à celle des bras et ainsi augmenter ses chances de survie !

Mais revenons-en à des jeux plus pacifiques !

En 1857 un américain nommé Babcok, rameur du très sélect Boat Club de Nassau, fait un premier essai peu convaincant. 
Il faut attendre 1870 pour que Walter Brown dépose un brevet d’un « sliding seat » constitué d’un siège en bois coulissant sur deux rails cylindriques en métal de 25cm de long. La course du siège est de 6 pouces! (soit un peu plus de 15 cm !)
Il équipe avec ce système un gig à six rameurs du Boat Club de New York.

En Europe c’est un anglais nommé Scarle qui équipe un bateau destiné au célèbre match Oxford-Cambridge d’un banc en bois en forme de selle doté à chaque angle d’un « bouton » en os qui glisse sur des baguettes cylindriques en verre plein ! La « glisse » est meilleure mais les baguettes de verre sont fragiles. On imagine le danger que représente une baguette de verre plein qui casse en plein effort, un véritable poignard !

Les croquis publiés dans la revue du yacht illustrent le modèle de siège coulissant adopté par le célèbre constructeur parisien Tellier.

 

 

 

Le commentaire ne manque pas de saveur saveur : « Pour éviter les taches de suif ou de graisse on recouvre depuis quelque temps, le tube d’une bande de cuivre qui préserve le pantalon du rameur. » 

En 1871 le Catalogue illustré propose un équipement nettement plus élaboré qui consiste à interposer entre le fessier du rameur et le bateau une fine lame de bois dur, droit de fil dans le sens du bateau, poncée finement, puis suiffée à refus. Cette installation plus la peau de chamois cousue au fond du pantalon donne, parait il, satisfaction aux utilisateurs. 

De nos jours cela nous fait sourire, mais soyons prudents et gardons nous de nous moquer ! 
Il m’est arrivé en maraudant le long du lac Majeur de découvrir un petit club d’aviron doté d’embarcations à deux rameurs en couple (pas forcément mari et femme mais plus sûrement avec deux avirons chacun !) équipées d’un banc de nage parfaitement lisse soigneusement verni. Les rameurs enfilent deux ou trois shorts l’un sur l’autre qu’ils humidifient. L’eau est suffisante pour assurer le glissement sur la surface de bois vernie. Nous avons fait connaissance et bien entendu nous avons fini par ramer ensemble. Force est de constater que dans le clapot rageur du lac, ce qui était le cas ce jour là, cette technique est particulièrement efficace et bien supérieure à un siège à roulettes ! 
On se sent beaucoup plus stable que sur un siège mobile, mieux assis, c’est un avantage primordial pour donner de la puissance quand on rame dans la vague. Il n’en reste pas moins vrai que sur un plan d’eau calme le « sliding-seat » va démontrer son efficacité. 
Mais de la peau de chamois au siège à roulettes nous allons voir que le chemin a été laborieux !

Au début le « rolling seat » (appellation non contrôlée). 
Je n’ai pas encore pu trouver la date de l’apparition des roulettes qui vont équiper les sièges mobiles. En un premier temps elles sont solidaires du siège vissées à poste fixe comme dans un chariot.

Le siège mobile va faire l’objet de brevets déposés par les constructeurs de l’époque. Chacun développe une originalité comme Palan avec « L’IDEAL » et ses rails coniques sur lesquels se déplace une sellette munie de roulettes taillées en forme de cône…impressionnant ! 

 

 

 

Tous ces brevets peuvent se justifier par le fait que de nombreux constructeurs d’embarcations proposent à leur clientèle des boîtes à ramer, c'est-à-dire un ensemble homogène comportant un siège mobile, la barre de pieds et les deux portants (outriggers) que l’on peut fixer sur des canoës ou sur certains bateaux à bancs fixes. C’est vrai encore de nos jours ou tel constructeur n’hésite pas à proposer une boite à ramer à fixer sur… une planche à voile ! Galère garantie !

Puis le « trans rolling seat » (appellation toujours non contrôlée !)
Qui eut l’idée d’abandonner les roulettes fixes pour les rendre mobiles ? Je fais confiance aux historiens du sport pour éclairer ma lanterne ! Toujours est-il qu’en permettant la translation du siège sur les roulettes on en augmente l’amplitude pour une même course sur les rails. Le châssis coulissant n’est pas loin, la roulette et son axe sont d’un seul bloc, plus besoin de montage sur billes, elle va rouler sur elle-même sur un parcours limité par deux glissières. Mais comme tout mécanisme cela présente des inconvénients, les roulettes indépendantes ont une fâcheuse tendance à coincer en se mettant en travers du rail ! 

C’est alors qu’un esprit inventif propose Le sliding seat la double roulette à bandage plat qui roule sur deux rails plats fixés de part et d’autre d’un guide ! L’équipage mobile devient respectable ! Un véritable train d’atterrissage ! Toujours pas de coulisse mais huit roulettes pour un seul homme, c’est beaucoup ! Je n’ai pas trouvé beaucoup de modèles du genre qui a du être rapidement abandonné. 
Les rails sur lesquels se déplace le siège mobile vont faire eux aussi l’objet de tentatives originales. On en trouve en bois dur ou en acier, de forme demi cylindrique, ou conique comme « l’Idéal » de Palan ou encore tout simplement plats, puis viennent les alliages d’alu qui sont encore d’actualité de nos jours .

Enfin le sliding seat 
Qui a eu l’idée de rendre solidaires les roulettes en les reliant à un châssis « coulissant » sur le siège mobile, là encore je fais appel aux historiens pour m’aider ? 
Toujours est-il que ce montage résout les coincements à répétition des roulettes indépendantes, on ne semble pas avoir  trouvé mieux depuis et il est toujours le montage utilisé par nos sportifs contemporains. Les améliorations à venir vont porter essentiellement sur les matériaux, tant pour les roulettes que pour la coulisse et le siège lui-même, avec une recherche de solidité et de résistance à l’oxydation. Les sellettes modernes équipées de roulettes en plastique se contentent d’un simple nettoyage à l’eau. 
Jusqu’à un temps récent il fallait porter une attention particulière à l’usure provoquée par les axes des roulettes sur le bois dans les glissières de débattement. 
Je connais un fameux rameur qui a passé son temps à blinder les parties en friction avec de petites cornières en inox. Cette précaution n’est plus nécessaire avec les portées en matériaux composites. Les sliding seats modernes sont ergonomiques et présentent deux trous pour ménager les ischions de nos rowingmen. Ils coulissent sur des rails en alliage d’aluminium, eux-mêmes réglables dans le sens latéral pour permettre d’affiner la position du rameur dont l’aviron balaie l’eau suivant un angle de 90 à 100° ! De quoi faire pâlir les Thranites, Zygians et autres Thalamians de l’époque ! . 
Le « sliding-seat » n’a pas été le seul accessoire du rameur à faire l’objet dans le temps de nombreux essais plus ou moins 
cocasses.
La dame de nage digne héritière de la «dam» (digue en batave !) indispensable pour nager a elle aussi fait l’objet d’inventions diverses. Rendez vous dans une prochaine Feuille à l’Envers.

Sources
  • La revue le Yacht septembre 1878 
  • Building the Trireme par Frank Welsh – Constable London 1988 
  • Stroke ! par Bruce C Brown International Marine Publishing Company 
    Pour la science juillet 1996 
  • Fonds associatif Sequana 

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