La mécanique de Suzanne

Jean Jack Gardais

Depuis mai 2006 l’équipe des vaporistes a pris le relais des charpentiers, Jim Bresson qui a dirigé le chantier de charpente passe la main à Jean Jack Gardais et Marc André Dubout. Ils vont orchestrer la mise en place de la mécanique.

 Marc André et Jean Jack Tous deux connaissent bien le chantier ils ont passé commande après d’interminables calculs de la chaudière auprès des établissements Barata. Elle doit arriver avec les jonquilles enfin en principe…le 25 avril elle fait son entrée solennelle dans le chantier ! Le système des « pintades » n’est pas adapté pour un travail de la mécanique qui fait appel à une main d’œuvre spécialisée équipée d’un outillage sophistiqué. C’est la raison pour laquelle vont intervenir un grand nombre de « mécaniciens » qu’il est difficile de qualifier de sous traitants, car bien que rémunérés pour leur travail, ils sont allés bien au-delà de la relation client fournisseur par leur disponibilité et leurs conseils.

Les copains d’abord…
Les amis vaporistes de l’ABV répondent (bénévolement !) à nos appels et n’hésitent pas à nous faire bénéficier de leurs connaissances et relations, voir fabriquer eux mêmes les pièces les plus difficiles à trouver.

 Jean Jacques Nicolas soude le réchauffeur Jean Jacques Nicolas qui va participer activement au lancement de Suzanne fabrique les raccords introuvables dans le commerce. Qui peut croire en voyant cet honorable acheteur d’une multinationale bien connue, que ce même homme possède dans son appartement entre le séjour et la salle de bain une pièce spécialement consacrée aux machines outils les plus sophistiquées qui soient ? Pour lui, tronçonner une barre de laiton et la fileter au pas « tordu » des années 70, (1870 !) est un jeu d’enfant. Il fallait qu’il rencontre un jour Marc André Dubout, également honorable homme de marketing, lui aussi dans son genre peut surprendre quelque peu.

Marc André, jamais sans sa loco Collectionneur avisé de locomotives, pas les jouets, les vraies ! Passionnés par les chaudières, il passe l’essentiel de ses moments de détente dans…une gare désaffectée dont il vient de faire l’acquisition en Provence du côté de Brignoles.

Une aide, précieuse également, vient du côté des lacs alpins. L’expérience et la connaissance quasi universelle de tout ce qui touche à la vapeur d’André Coudurier nous aide pour faire nos choix . André Coudurier
 Là à nouveau l’homme surprend, en premier lieu par sa mémoire. Vous lui parlez d’un mécanisme il vous en cite l’auteur et l’originalité en quelques secondes. Il habite une jolie maison non loin du lac d’Aix-les-Bains où son bateau « Asphodèle » l’attend pour les croisières des beaux jours.  Si vous le méritez il pousse la porte de son garage et alors là vous allez de surprises en surprises, entre les voitures et les motos de collection vous pouvez admirer des moteurs de toutes les générations.  Au hasard d’une visite il nous offre un arbre de transmission et une hélice d’une forme inhabituelle avec un presse étoupe le tout dans un bronze de première qualité qui est là depuis on ne sait combien de temps, sous un hangar dans un coin au milieu d’autres merveilles. 
 La machine d'Asphodèle Les conseils d’André nous sont très utiles car il navigue au « long cours » avec Asphodèle et sa machine compound, quand il donne un avis c’est toujours à la lumière d’expériences vécues.  Une aide internationale
En remontant vers le nord nous avons fait la connaissance de Guillaume Linder c’est l’homme de la vapeur de la Compagine Générale de Navigation sise à Ouchy le long du lac Léman en helvétie. Avec lui nous entrons dans l’univers des machines Sultzer avec des 
cylindres dans lesquels on peut rentrer presque debout pour aller voir ce qui s’y passe ! Il n’hésite pas à nous faire visiter les machines de la « Savoie » nouvellement restaurée ainsi que les autres bateaux à vapeur de la Compagnie. 
Guillaume linder et Jean Philippe Mayerat  Les suisses ont décidé de restaurer leurs bateaux à vapeur, ils seront ainsi à la tête de la flotte de genre la plus importante au monde ! On dit que l’addition s’élève à plus de 400 millions de francs suisse !!
Pour son plaisir Guillaume restaure une petite machine de son invention. Il a la gentillesse de venir nous la présenter le jour du lancement de Suzanne. Il fait le voyage spécialement pour cela ! et ainsi Suzanne va saluer Isabelle un prénom adorable qu’il partage entre son futur bateau et sa femme !

La machine e Guillaume Linder
La machine de Guillaume Linder
 

Les experts sont consultés !
L'indicateur de puissance Crosby (original patented 1905)
Dans le domaine de la recherche et des études théoriques nous avons fait la connaissance de 

Dominique Brisou. Capitaine de vaisseau il consacre son temps depuis un certain nombre d’années à l’étude de la vapeur dans son application dans les bateaux de la Marine Nationale. Il est auteur d’une thèse qui fait autorité et dont bien entendu nous avons pris connaissance. Dominique Brisou qui nous fait l’honneur d’assister au vernissage de l’exposition « A TOUTE VAPEUR » organisée par notre association avec le concours du Palais de la Découverte nous trouve quantité de documents forts utiles sur l’art et la manière de servir d’un frein de Prony et autre indicateur de Crosby
 A Paris François Malatier et Bruno Martin Neuville nous dispensent des conseils et des avis sur des fournisseurs voir sur des réglages délicats.
Comme on vient de le voir tout cela fait du monde et toute une assemblée de bonnes fées rassemblées autour du berceau de Suzanne.
 Nos deux chefs mécaniciens vont engranger toutes les informations et vont en faire une synthèse qui sera discutée en rendez vous de chantier et mise en œuvre par nos spécialistes, aidés des retraités de l’association fidèles au poste depuis le début du chantier. Ces derniers ont pris leurs habitudes et leurs rythmes  ponctués de déjeuners ou rivalisent toutes les marques imaginables de plats surgelés, des dégustations comparatives sont faites régulièrement. 
De temps à autre on voit Henri Ancelly avec son chalumeau pour venir à bout d’une soudure délicate. C’est en soi un spectacle de le voir tourner autour de la pièce à souder dans une sorte de danse initiatique le chalumeau allumé à la main, cela ne manque pas d’élégance !

La mécanique embarquée est la suivante :

 Une chaudière 
La chaudièe construction J. Barata Elle est équipée des deux soupapes de sécurité réglementaires à laquelle on va ajouter un cendrier et une 
grille (fondue sur mesure du côté de Nantes) dans le foyer. C’est de loin la masse la plus imposante du bateau, 400 kg d’acier viennent trouver place sur les carlingues de la si délicate et raffinée coque de Suzanne,  Les tubes Field les charpentiers font la moue, toute cette ferraille au milieu de l’acajou du Honduras et des caillebotis vernis…
 Une machine
La machine et la tuyauterie en cours de montage En face de la chaudière, la machine d’origine (1882) sur la quelle vient d’être 
montés d’un côté un volant d’inertie et de l’autre un manchon d’accouplement pour l’entraînement de l’arbre de transmission. La machine est équipée d’une pompe alimentaire et d’une pompe à air. Le volant d'inertie Ces deux pompes confirment le mode fonctionnement et d’alimentation. D’un côté on pompe les condensas de l’échappement et de l’autre on alimente en eau (préchauffée !) la chaudière.
Les pompes : alimentaire et à condensatCondensation et réchauffage sont les deux mamelles de Suzanne !
En toute logique Jean Jack et Marc André décident d’installer un condenseur sous forme d’un tube en cuivre de 28 mm de diamètre placé sous la coque ainsi qu’ un réchauffeur.
Le réchauffeur La nécessité de cet accessoire fait l’objet de nombreuses discussions, l’avis de José Barata pèse lourd pour prendre la décision, celui ci n’apprécie guère l’idée d’introduire de l’eau froide dans « sa » chaudière ! La bâche à eau à déshuileur intégré Tout cet ensemble impose la réalisation d’une bâche à eau qui est réalisée en acier galvanisé avec interposition de cloisons de séparation. Un compartiment « séparateur d’huile » contient une fibre artificielle destinée à retenir l’huile entraînée par la vapeur.
 Pomper ou injecter That is the question ?
Une nouvelle discussion va avoir lieu au sujet de l’injecteur en alternative de la pompe manuelle haute pression. Quel système les frères Schindler ont-ils adopté à l’époque ? Mystère, aucune indication ne peut nous aider. 
Finalement c’est l’injecteur qui est choisi ! 
Oui mais drame supplémentaire nous ne connaissons aucun fabricant d’injecteur adapté à notre Suzanne et ô comble de la disgrâce il nous faut le commander à un spécialiste de la perfide Albion. 

Ainsi Suzanne la parisienne à cent pour cent va avoir quand même un petit bijou anglo-saxon ! 

J’en connais qui cherche dans tous les documents la justification de la pompe afin d’envoyer au diable cet injecteur étranger ! Pour certains d’entre nous l’intégration en terme de vapeur n’est pas pour demain !

 Qui c’est ?...C’est l’plombier !
Soudure des raccords
L’heure est venue de relier entre eux tous ces ingrédients et commence alors la quête infernale au raccord qui va bien.
«- Tu sais pas où je pourrai trouver une vanne en L en 3/8 de pouce femelle et sortie en 3/4 mâle ? »
La prise en compte de cette demande apparemment anodine vous conduit dans tous les stocks de Brossette, 
Cedeo et autres spécialistes qui tombent des nues quand vous répondez d’un air innocent à la question
- « C’est pourquoi faire ? » 
- « C’est pour un bateau à vapeur de 1882 ! »
 L’affaire va s’avérer coriace et là encore des concours extérieurs vont bien nous aider. Une commande à destination de la Compagnie Générale de Robinet va partir sous la recommandation de la société Leu, société de plomberie, bien connue des catoviens.  Tous les grossistes de la région sont visités, les grandes surfaces de bricolage également. Il ne reste que la vanne d’admission de vapeur qui nous pose problème et il faut avoir recours à une fabrication sur mesure pour trouver notre bonheur.
L’heure est aux plombiers et au chalumeau pour souder tous les tuyaux et raccords divers.
Un palier de butée SKF est mis en place sur l’arbre de transmission, il faut s’y reprendre à trois ou quatre fois pour trouver les bonnes cales. 
Le presse étoupe dont on reste discret sur le modèle (pas vraiment d’époque, mais sûr !) est placé dans son logement et c’est l’heure de craquer la première allumette !
 La mise à feu
Cet honneur revient à Marc André qui procède à la chose dans la plus grande solennité !
Le silence pour une fois règne dans l’atelier tous les yeux sont rivés sur le 
manomètre ainsi que sur les trappes de la chaudière susceptibles de fuir (en fait elle seront parfaitement étanches et aucun resserrage ne sera nécessaire). Un quart d’heure, une demi-heure passent et l’aiguille du manomètre décolle, la cheminée fume, il fait beau, tout va bien. Intrigués les cuistots du restaurant qui se trouve au dessus de l’atelier viennent voir discrètement ce qui se passe.  L’aiguille monte régulièrement, pour une première mise en chauffe il est décidé de ne pas dépasser 6 bars. Cette pression est atteinte en quarante minutes ce qui nous convient très bien. Le sifflet est vissé et pour la première fois depuis bien longtemps les rives du Bras de Marly se sont réveillées au son de la vapeur ….

Comment ça marche ?


Schéma de montage global

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