Histoire de chaudières
Choisir une bonne chaudière est une opération délicate, de nombreux paramètres sont à prendre en compte : volume, pression, surface de chauffe, surface de grille…La littérature technique de l’époque décrit un nombre impressionnant d’inventions et de brevets, tous plus astucieux les uns que les autres avec ici et là de grands noms qui sont passés à la postérité comme Belleville, Babcock, de Dion,
Serpollet…..
Nous allons essayer de situer la chaudière de Suzanne parmi tout ce monde là !
Je laisse le soin à Jean Jack Gardais notre ingénieur-mécanicien-maison de vous donner tous les détails et caractéristiques techniques de notre engin !
Pour nos arrières grands-parents, le but est (et il l’est toujours pour nous !) d’obtenir la plus grande quantité de vapeur, le plus vite possible, avec le minimum de combustible.
Pour simplifier on va classer les chaudières en deux grandes familles. Les chaudières horizontales et les chaudières verticales ! Ce sont les verticales qui nous intéressent !
Réservées aux faibles puissances, et d’une façon générale partout où il faut gagner de la place, elles se présentent sous trois formes différentes:
Les chaudières à bouilleurs.
L’idée est de faire traverser le foyer par des tubes remplis d’eau, dits bouilleurs, on en fait varier le nombre et la section suivant la quantité de vapeur souhaitée. Monsieur Cochot fervent canotier, heureux propriétaire du Corsaire Noir, est détenteur d’un brevet d’une chaudière qui porte son
nom.
Chaudières Cochot
Les chaudières
tubulaires.
A l’inverse des précédentes on va faire circuler les gaz chauds émis par le foyer dans un nombre variable de tubes qui eux, traversent la masse d’eau. Ces tubes sont reliés à une boite à fumée, support de la cheminée proprement dite. Ces chaudières n’ont pas bonne réputation car sujettes à « entraînement d’eau », cause de désordre au niveau de la machine. Il faut alors ruser pour débarrasser la vapeur de l’eau qu’elle contient, en la faisant circuler dans des chicanes. Par ailleurs l’entretien des tubes de fumées n’est pas une partie de plaisir et les incrustations proches du foyer sont délicates à traiter.
Les chaudières à éléments multiples et à vaporisation rapide.
Elles se présentent sous quatre formes différentes
1) Les chaudières à tubes à simple
circulation.
Il faut examiner avec attention le modèle de Messieurs de Dion, Bouton et Trépardoux pour comprendre l’originalité de ce type de chaudière. Elle est composée de deux cylindres verticaux communiquant entre eux par l’intermédiaire d’une série de tubes inclinés. La vapeur produite est obligée de passer par les tubes supérieurs, elle traverse alors le bouilleur en se débarrassant de son eau avant de se diriger vers la prise de vapeur. L’inconvénient majeur des chaudières à bouilleurs se trouve ainsi écarté. La chaudière Durenne mérite d’être citée. Elle est l’invention d’un célèbre constructeur de yachts à vapeur établi à Courbevoie, dont malheureusement nous ne savons pas grandchose, et c’est bien dommage, car Durenne est concurrent des Frères Schindler avec un matériel différent. (Nous serions très reconnaissants à un lecteur qui pourrait nous en dire plus. Les archives municipales de Courbevoie sont à priori muettes sur le sujet).
Les chaudières Durenne sont très semblables aux chaudières Thirion, à cette différence près que les tubes en U sont remplacés par des tubes bouilleurs coudés en cuivre rouge de 30 mm de diamètre et servent à relier le ciel du foyer à la partie médiane de la chambre annulaire, ce qui a pour conséquence une mise en pression encore plus
rapide
2) Les chaudières à
serpentins
Les tubes bouilleurs des modèles précédents sont remplacés par des serpentins de diamètres différents. L’eau entre liquide par une extrémité et ressort à l’état de vapeur par l’autre. La jonction des serpentins sur l’enveloppe cylindrique comporte un joint fusible, histoire que l’engin ne pète pas au nez de l’utilisateur en cas de surchauffe
!
3) Les
chaudières à tubes pendants à double circulation
C'est la nôtre !
L’astuce est dans le tube !
Il est constitué de deux tubes concentriques dans lesquels l’eau et la vapeur circulent en sens contraire. La vapeur remonte le long de la paroi du tube exposé à la chaleur pendant que l’eau froide (disons moins chaude) descend de haut en bas par le tube intérieur. Pour augmenter la surface de chauffe, c’est-à-dire la puissance de la chaudière, on augmente le nombre et /ou la dimension des tubes. (plan de la chaudière Schindler)
Celle de Suzanne présente une surface de chauffe de 2,6 m2. Le plan que nous avons retrouvé signé des Frères Schindler est celui d’une chaudière de
6,40m2 de chauffe donc destinée à un bateau plus important. Par chance nous avons pu retrouvé un carnet de timbrage des chaudières construites par les Frères Schindler, en particulier le compte rendu d’un test d’épreuve d’une chaudière d’une puissance très proche de celle de Suzanne. Ce carnet est une véritable mine d’or !
Tous les composants des chaudières sont décrits avec précision, les caractéristiques sont notées soigneusement, nombre, dimensions, épaisseurs des tubes, sont consignés, l’épaisseur des tôles de la chaudière de l’autoclave de la plaque supportant les tubes etc. Toutes ces données ont servi à Jean Jack pour établir le cahier des charges de la chaudière de Suzanne.
Mais au fait qui était Monsieur Field ?
Grâce à l’amabilité du Capitaine de Vaisseau Dominique Brisou dont la thèse sur l’Application de l’Energie Vapeur dans la Marine Militaire fait autorité, nous avons pu en savoir plus sur Joshua Field inventeur du tube du même nom. Joshua Field est associé à John Maudslay (1771 – 1831) lequel est un honorable sujet de sa Gracieuse Majesté, mécanicien de grand talent, inventeur de nombreuses machines-outils, (il eut pour élève Joseph Whiworth (1803 – 1887) un nom qui est bien connu des mécaniciens.
L’extrait de « La Revue Maritime » (décembre 1928) que Dominique Brisou a eu la gentillesse de nous envoyer a été rédigé par Paul Augustin Normand. Augustin Normand note : «
… qu’en 1831, un américain établi en Angleterre, nommé Jacob Perkins dépose un brevet pour une chaudière comportant des tubes ouverts à une extrémité et fermés à l’autre, contenant chacun un tube concentrique ouvert aux deux extrémités….Ces tubes doubles, d’une disposition très ingénieuse que Field perfectionnera beaucoup plus tard par l’addition d’une embouchure appelée réflecteur, garderont le nom de cet inventeur et trouveront un mode nouveau d’utilisation sur la chaudière Collet et ses dérivés, les chaudières Niclausse et Dürr ».
Que veut dire beaucoup plus tard ? Nous sommes toujours à la recherche de la date du dépôt du brevet du sympathique et regretté Joshua
Field.
Les chaudières Field ont perduré un bon bout de temps, au point que la société SECAT du Mans nous a fait parvenir une publicité datée des années 1950 sur ce type de matériel couramment fabriqué par leur établissement.
4)
Les chaudières à vaporisation instantanée
Serpollet et les frères Schindler se connaissent, ont-ils travaillés ensemble ? Nous n’avons pas de preuves formelles. Ce qui est certain c’est que nos vaporistes de la rue de Châlon se sont intéressés de très près aux véhicules terrestres équipés de machines à vapeur. Nous avons pu examiner des plans de moteurs (et non plus de machines !) à vapeur horizontaux signés Schindler.
Serpollet au milieu de ses doubles Phaétons, Landaulet, Berline de voyage, Victoria, Visà-vis, Omnibus de famille, Grand landau, propose dans son catalogue (1903 ?) intitulé : « Voitures Automobiles à vapeur GARDNER – SERPOLLET chauffées au Pétrole lampant Absolument Inexplosibles » un canot de mer de 12
CV.
En avril 1902 Serpolet au volant de son « Œuf de Pâques » couvre le kilomètre lancé (sur la promenade des anglais NDLR !) en 29 secondes 4/5 soit une vitesse de 120 kilomètre 810 à l’heure. C’est un record mondial !