Le canotage à vapeur en Ile de France

Le Canotage à vapeur fait son apparition en région parisienne vers 1840. 
Auguste Cochot est un précurseur avec le Corsaire noir. Le bateau construit par le chantier parisien Baillet et fils, fait 8m de long, il est équipé d’une machine à condensation de 2 CV avec une pression de vapeur de 3 atmosphères. Auguste Cochot est un professionnel de la navigation. Inventeur d’une chaudière à bouilleurs qui porte son nom, il est le créateur de la Compagnie des Bateaux Parisiens. 
En 1858, G. Viard recommande pour les canots destinés à marcher à grande vitesse d’utiliser les roues à aubes et fait l’apologie des machines du constructeur Flaud. 
Dans notre région le Bras de Marly, et la Grenouillère en particulier, sont des lieux de rendez vous très fréquentés par les embarcations de plaisance à vapeur de l’époque. 
« ...là bas, la petite barque à vapeur nantaise (de M. Mague... ?) passe et repasse en sifflant et en soulevant autour d’elle plus de vagues que ne le ferait un gros bateau. L’ »Etincelle », à M. Grésy, bateau beaucoup plus sérieux, promène une élégante Société. Le petit vapeur de Bougival fait son service au milieu de tout ce monde, embarquant et débarquant des passagers sur les bachots du passeur. Le « Lucifer », toujours à vapeur, reste tranquillement amarré.
Mais quelle est cette périssoire à vapeur où deux hommes peuvent tenir à peine. C’est un chef-d’œuvre de mécanisme construit par deux jeunes gens qui viennent s’y promener chaque dimanche ; elle a cinq mètres de long et cinquante centimètres de large. La machine ressemble à un mouvement d’horlogerie de Genève
».
Dans notre région les premières courses de canots à vapeur dotées de prix, sont au programme des fêtes nautiques après la guerre de 1870.
La liste des bateaux garés à Paris et à Argenteuil en 1887 (relevée par François Puget dans la revue le Yacht) fait état de 89 bateaux à vapeur de plaisance naviguant sur la Seine. Vapeurs dans les eaux catoviennes
Il est intéressant de noter que les chantiers Texier (père et fils) sont à l’origine de 18 d’entre eux, soit 20% de la flotte, le parisien Wauthelet, 8, soit presque 10% et le courbevoisien Durenne, 10, soit un peu plus de 11%.
Les bateaux importés de Grande Bretagne sont au nombre de 14, soit 16% de la flotte.
Il est difficile d’avoir une idée exacte de l’importance du patrimoine fluvial de plaisance à vapeur en région parisienne durant la seconde moitié du 19° siècle. Les registres officiels des immatriculations sont a priori inexistants, aussi il est intéressant de prêter attention aux témoignages des spécialistes de l’époque. 
Au hasard de nos recherches nous avons eu la chance de tomber sur des documents originaux dont certains ne manquent pas de saveur !
La « Description des inventions scientifiques depuis 1870 - Supplément aux bateaux à vapeur » (parution supposée 1890) de l’honorable Louis Figuier (1819 – 1894) fait partie de ceux là.
La lecture de ce livre, trouvé dans la bibliothèque de l’un de nos adhérents, est intéressante car l’ouvrage a été rédigé à l’époque même où les frères Schindler s’installent rue de Châlon à Paris. 
Louis Figuier consacre un paragraphe aux inventions liées à la navigation de plaisance. Le vocabulaire utilisé pour décrire certaines manœuvres laisse à penser que notre homme n’est pas un familier du domaine maritime. Un guindeau pour « démouiller » un bateau, bof… ! 
Qu’importe, c’est la technique qui nous intéresse !
Dans son propos l’auteur classe les yachts à vapeur en trois catégories. 
   -
Les yachts de mer
   - Les yachts de rivière proprement dits
   - Les canots à vapeur, c’est bien entendu cette catégorie qui nous intéresse

   

Les yachts de mer
Nous n’insisterons pas sur ces bateaux, sauf pour deux d’entre eux. Ils sont pour la plupart très bien décrits par les historiens de la marine. Toutes les têtes couronnées de l’époque plus quelques riches industriels sont propriétaires de yachts mixtes (voiles et vapeur), luxueuses embarcations aux dimensions impressionnantes. 
La Fauvette à Mr Perignon - Vice président du yacht Club – 
Dessiné par Benjamin Normand, construit chez Nillus au Havre en 1869. Une machine compound de 240 CV lui permet de filer à 10,5 nœuds. Fauvette aura l’honneur d’être le premier bateau à franchir le jour de son inauguration (15 novembre 1869) le canal de Suez avec Cambria (bateau anglais) en… remorque !
L’histoire fait scandale, les chameaux égyptiens en rigolent encore !

 

- L’ Eros II au baron Arthur de Rothschild, aussi rapide à la voile qu’à la vapeur, construit en Angleterre en 1884 chez Shutleworth et Chapmann terminé par Nicholson de Gosport. Les machines compound à deux cylindres d’une puissance de 1500 CV sont de chez Day et Simmers à Southampton. Elles propulsent ce bateau à 14 nœuds ! 

L’Eros Longueur hors tout 74,90m Maître bau 8,10m, Tirant d’eau 4,95m, jauge 770 Tx. Le plus grand yacht français de son époque.
Grand amateur de lieux sympathiques et loin des fureurs de l’océan, le baron sollicite du préfet de la Seine-et-Oise, en juin 1882, l’autorisation « d’établir une passerelle volante » pour l’un de ses yachts, le Passe Partout, « derrière le garage Fournaise dans l’île…de la Genouillère (sic) ! » 

Les yachts de rivière
Dans l’esprit de l’auteur ils se distinguent des précédents par leur faible tirant d’eau, des dimensions adaptées ( ?), une construction qualifiée d’économique… et la recherche d’une grande simplicité de machine
Voltigeur en fer à M. Varennes à roues est un exemple
L’Etincelle, le Trois-étoiles,leColibri bien connu d’Asnières et d’Argenteuil, dont hélas nous n’avons pas pu retrouver de caractéristiques techniques.

Les canots à vapeur
On va s’intéresser à quatre canots qui sont proches de notre projet, ils illustrent bien la recherche de nouveautés de la part de leurs constructeurs.

Les canots de MM Simpson et Denison sont équipés de machines compound en tandem tout comme notre chère Suzanne. 
Voici le commentaire qu’en fait notre bon M. Figuier
-" Les cylindres à haute pression AA sont superposés aux cylindres de détente BB avec tige de piston commune T. Les deux cylindres et la boîte à tiroir sont fondus d’un seul jet, les deux cylindres sont séparés par un fond c rapporté dans l’intérieur du cylindre de détente et portant une douille d dans laquelle passe la tige du piston. Cette tige présente une disposition très originale qui supprime le presse étoupe. A cet effet la tige porte sur toute sa longueur t comprise entre les deux pistons, une série de rainures circulaires (qui nous ont intrigués un moment sur la machine de Suzanne ! NDLR). Si la vapeur pénètre dans une des rainures par suite du jeu dans la douille, en passant d’une rainure à l’autre, elle se détend, et finit par ne plus avoir une tension suffisante pour amener une perte de force appréciable. D’ailleurs cette fuite ne peut avoir d’inconvénient que lorsque la vapeur de la chaudière agit sur la face inférieure du petit piston, et que, pendant ce temps, la partie supérieure du grand cylindre est en relation avec le condenseur, c’est-à-dire pendant un demi-tour, le bas cylindre d’admission et le haut de cylindre de détente étant en communication par le tiroir, une fuite par la tige n’a aucune importance »
 -Le reste du mécanisme diffère un peu de notre machine, en particulier au niveau du tiroir, la machine de Suzanne étant équipée de deux tiroirs commandés par un axe commun, voir le croquis ci-dessous.

 

Sachant cela, revenons à la suite de la description faite par Louis Figuier.
La distribution de vapeur se fait au moyen d’un seul tiroir E, à orifices multiples ; ce qui diminue le nombre de pièces de la distribution et simplifie le réglage. De plus, la vapeur d’échappement du petit cylindre, étant en contact, à travers le dos du tiroir, avec la vapeur d’admission, elle se réchauffe, et agit, par suite, beaucoup mieux dans le grand cylindre. Le changement de marche s’opère au moyen de deux paires d’excentriques FF et d’une coulisse de Stephenson J .Le palier de butée P de l’arbre moteur fait partie du bâti de l’appareil (le palier de butée est indépendant du bâti sur la machine de Suzanne).Une autre particularité de cette machine consiste dans son condenseur à surface, qui se compose simplement d’un tube placé à l’extérieur de la coque, le long de la quille, et qui, par suite, reçoit le maximum de refroidissement. On obtient, par ce système, un excellent vide.
Les pompes à air et alimentaire ont reçu des dispositions spéciales de clapets qui leur permettent de marcher à 4 et 500 tours de façon très satisfaisante
».

- Les canots Simpson et Denison ont une chaudière tubulaire verticale, très soigneusement étudiée, mais à laquelle on fait le reproche d’avoir des tubes trop minces ; ce qui empêcherait de « forcer le feu, si besoin était. »

- Suit la description du bateau proprement dit, coque en acajou avec préceinte en teck, charpente en chêne, membrures en acacia, tout ce qu’il y a de plus classique.

Le petit Edmond d’Abel Pifre
Le Petit Edmond fait l’objet d’un brevet particulièrement Le Petit Edmond fait l'objet d'un brevet savoureux, que nous devons à Monsieur Abel Pifre ! 
Trouvant la tâche de chauffeur particulièrement ingrate et salissante, somme toute, indigne d’un yachtman digne de ce nom, Abel Pifre a eu l’idée d’emmagasiner le combustible, c’est-à-dire le charbon, dans un tuyau central fermé par un couvercle, lequel tuyau traverse le foyer de sa chaudière et son enveloppe. Il obtient ainsi un fonctionnement en continu, sans intervention « humaine » pendant deux heures ! Mais l’originalité ne s’arrête pas là ! L’habile inventeur a également l’idée de réaliser cylindre, piston et tiroir, en bronze, évitant ainsi la corvée du graissage. Ajoutez à cela un condenseur à surface et vous avez un canot remarquable par « - son absence de bruit d’échappement, de toute fumée, de toutes projections d’huile, et de mauvaises odeurs… ».

Paquerette
- Pâquerette à M. Besson du Cercle de la Voile de Paris est un canot construit par l’ingénieur M. Tatin en 1886.
Longueur 12 m. hors tout.
Maître bau 1.80m Tirant d’eau 0.75m à l’avant et 0.82m à l’arrière Creux 0.57m. Machine du type pilon à un cylindre avec détente Farcot d’une puissance de 8 CV.
Chaudière verticale tubulaire de 8m2 de surface de chauffe elle pèse 320 kg à vide. La machine pèse 80 kg Vitesse de 14 à 16.5 km /h

 

 

 


Farcot est un ingénieur français qui a mis au point un tiroir destiné à remplacer le tiroir à coquilles, par un jeu de lumières pratiquées sur une plaque rapportée sur le tiroir, il arrive à améliorer très nettement l’admission de la vapeur en permettant une obturation rapide des lumières d’admission. L’américain Corliss perfectionnera encore le système, la soupape n’est pas loin !

Yole à vapeur
-L’Eclair : Yole de Messieurs Trépardoux.
Construite en 1886 au petit Gennevilliers (Luce ? Texier ?), longue de 10m hors tout, avec un maître bau de 1.10m et un tirant d’eau de 0.65m.
LE CANOTAGE À VAPEUR ... (suite)Machine à deux cylindres inclinés de 9 CV
Régime 400 tours à pleine pression. 
Chaudière : Dion – Bouton - Trépardoux, de 2m2 de surface de chauffe timbrée à 10kg.
La yole pèse a vide avec sa chaudière et sa machine 366 kg ! La machine compte pour 50kg, la chaudière pour 200kg, cela laisse 116 kg pour une coque de 10m…. Vitesse 20,07 kmh !!!
A la même époque les Ets Schindler Frères proposent deux Yoles à vapeur.
La première : 12m de long pour 1,80m au Maître Bau, avec un Tirant d’eau de 0,90m. Elle est équipée d’une machine Compound à double détente d’une puissance de 8CV, avec 18 km/heure annoncé en vitesse de croisière. Il en coûtait 9 000 fr de l’époque à l’heureux propriétaire.
La seconde : 14m de long pour 1,80m au Maître Bau, avec un Tirant d’eau de 1,05m, elle est équipée d’une machine Compound à double détente d’une puissance de 12 CV, avec 20 km/heure annoncé en vitesse de croisière. Il fallait mettre 2 000 fr de plus pour en faire l’acquisition, la fourniture de clefs pour la machine, pelle, ringard, burette et 6 tubes de niveau de rechange est comprise !
Nous manquons, hélas, de précisions sur ces Yoles à vapeur. Nous les supposons légères construites dans le même esprit que leurs consoeurs destinées aux rameurs, c’est-à-dire à la recherche de la meilleure pénétration dans l’eau, pour une vitesse maximale !

   

  

L’huile lourde à l’horizon
Le pétrole pointe son nez et Mors fait les premiers essais dune machine à vapeur de pétrole.
Plus grave, des esprits fertiles décident de franchir une technologie et tentent de passer directement au réacteur ! Les sieurs Buisson, Ciurcu, (inventeur et roumain de son état), plus un jeune local dans le rôle de barreur, se réunissent sur le bassin d’Argenteuil le 12 décembre 1886 pour mettre le feu à un–« récipient en bronze dans lequel brûlait la composition destinée à produire les gaz moteurs ». 
Seul l’inventeur, Ciurcu, gravement brûlé, survit à l’explosion ! 
On conduit ce qui reste de Monsieur Buisson directement au cimetière. 
Quand au jeune homme, l’inventeur carbonisé, déclare sur le rapport de police, que le malheureux a été « escamoté » !

On reste dans la vapeur
Concurremment à la vapeur la machine à gaz (vapeur de pétrole) commence à faire parler d’elle. En effet très tôt les inventeurs cherchent à remédier aux inconvénients de la vapeur d’eau, les risques d’explosion, l’inertie, la fumée, les cendres, bref tout ce qui fait de nos jours le charme de la chose… mis à part l’explosion !

Une invention victime de la guerre
Dès 1860 un français, Monsieur Lenoir met au point une machine qui disparaîtra malheureusement pendant la guerre de 1870. C’est seulement vers 1882 que Lenoir reprend ses essais. Douze années de perdues qui laissent comme nous allons le voir plus loin, le temps aux inventeurs d’outre-atlantique de mettre au point une « machine à naphte » adaptée à la propulsion des bateaux. 
Mais revenons à la machine de Lenoir. Elle est constituée de deux cylindres horizontaux, superposés, actionnant un arbre moteur vertical. Cette disposition lui permet de placer le volant d’inertie horizontalement en partie basse du bateau. Si cela présente un intérêt évident pour le centre de gravité, par contre impose une transmission plus que délicate pour entraîner l’hélice. 
Pour faire démarrer la machine il faut faire tourner à la main le volant, mais vu sa disposition, Lenoir est contraint de mettre au point tout un mécanisme à base de roues à rochets et de leviers divers. Son canot est exposé à l’Exposition. Maritime du Havre en avril 1887. 
En démonstration sur le canal de Tancarvillle,sur le parcours le Havre - Tancarville, il atteint la vitesse de 14 km/heure et consomme 400 gr par cheval et par heure contre 4 à 5 kg de charbon pour une machine à vapeur dans les mêmes conditions !
Nous sommes en 1887 et de l’autre côté de l’atlantique un certain Frank Ofeldt a pris une sérieuse avance en déposant en 1883 un brevet d’une machine « which would use a working fluid in Rankine heat cycle the petroleum fraction Naphta or Gasolene ». 
L’idée consiste à élever en température un liquide combustible très proche du pétrole lampant. Le gaz produit va se détendre dans un jeu adéquat de pistons, puis être condensé pour repartir pour un nouveau cycle. Le tout se passe dans un univers clos. 
D’un fonctionnement « automatique », silencieux, l’utilisation est simple et plus rassurante que la vapeur. 
Ce type de bateau connaît un bon succès aux USA au point que les deux constructeurs spécialistes du genre, G.E et P.co, vendent (de 1885 à 1905) 1500 bateaux de 18 à 35 pieds équipés de machines allant de 2 à 16 CV. 
En Europe Escher Wyss avec ses deux usines, l’une en Suisse l’autre en Allemagne, construit sous licence ce type de bateaux. Mais le « Naphta Launch » ne résiste pas au moteur à explosion et la production s’arrête presque totalement en 1910.
Malgré l’abondance de la production il est très difficile de trouver de nos jours des « Naphta Launch » survivants. L’une des raisons tient au fait que ces machines sont construites en grande partie avec du cuivre et du bronze et représentent une proie de premier choix pour les ferrailleurs. 
La vapeur, le gaz de pétrole, le moteur à explosion n’est pas loin.
Il est difficile de savoir en toute certitude quia été le premier à utiliser le moteur à explosion dans un canot. L’ingénieur Forest est sans aucun doute l’un des pionniers avec son Volapück qui a défié la chronique en 1887.
Le moteur fonctionne grâce à de « l’air chargé de carbure d’hydrogène par son passage dans l’essence de pétrole, une étincelle produite par un système magnéto-électrique, jaillit au sein du mélange et l’enflamme ».
Le pas est franchi ! 
L’affaire n’est pas gagnée pour autant, car le moteur n’est productif d’énergie qu’un cycle sur deux. Au premier temps les deux pistons montés face à face se rapprochent l’un de l’autre et compriment le mélange qui explose grâce à la production d’une étincelle, ce qui a pour effet de les renvoyer au point de départ, c’est le temps moteur. 
Au second temps les pistons en se rapprochant vont évacuer les gaz brûlés puis sur l’inertie retourner au point de départ pour un nouveau cycle moteur ! 
On comprend la taille des deux volants visibles sur la gravure 
Il faudra attendre une bonne quinzaine d’années pour que la technique du moteur à explosion s’impose et que disparaisse petit à petit la vapeur d’eau et le naphte.
La saga des canots automobiles va commencer pour en avoir une idée reportez-vous à la Feuille à l’Envers N°22 consacrée à Swing, Runabout Dodge de 1930 restauré par l’association pour le compte du Musée de la Batellerie de Conflans Sainte Honorine.

 

 

 

 

 

 

Page précédente