Éric Boufflers, Maître papetier, au secours des plans Schindler

Eric Boufflers dans son atelier. Ph. G. Lécuyer. 2004.

DANS LA PRÉCÉDENTE FEUILLE À L’ENVERS, NOUS VOUS AVONS RACONTÉ COMMENT GEORGES SCHINDLER AVAIT RETROUVÉ AU FOND D’UNE MALLE TOUTE UNE SÉRIE DE PLANS PROVENANT DE L’ATELIER DE SON AÏEUL. CES PLANS ONT FAIT L’OBJET D’UNE RESTAURATION DANS LES RÈGLES DE L’ART PAR UN SPÉCIALISTE, ERIC BOUFFLERS, TECHNICIEN D’ART ET MAÎTRE PAPETIER. POUR EN SAVOIR PLUS SUR CE MÉTIER MÉCONNU, NOUS L’AVONS RENCONTRÉ AUX ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU VAL D’OISE, OÙ IL OFFICIAIT EN FÉVRIER 2003.

PÈRE de trois enfants, navigateur à ses heures à bord de sa Corvette (un plan Herbulot des années 60), c’est une personnalité dynamique avec au coin de l’oeil un brin de malice qui laisse penser qu’il a plus d’un tour dans son sac !

Eric suit une formation aux Archives Nationales pour devenir Technicien D’Art, d’où il sort, premier dans sa catégorie s’il vous plaît ! Puis il est diplômé Maître Papetier, major de sa promotion !

Il se souvient avec émotion de son professeur Alain Petiot pour lequel il garde une profonde admiration – “un ancien de Beghin au Maroc” - précise-t’il.

   
 

FAL - A l’époque, quand tu as examiné les plans de Suzanne quel était ton diagnostic ?

E.B.- Les plans étaient cassants du fait de leur acidité, il était donc impossible de les dérouler sans risquer de les détruire.

FAL - La solution ?

E.B.-Agir avec prudence… il faut humidifier les documents sans pour autant altérer l’encre ou les encres utilisées, ensuite les stabiliser, puis sécher les documents. Procéder à un nettoyage en milieu sec, puis de nouveau en milieu humide, en douceur. Les plans étaient trop grands pour utiliser des bacs, j’ai adopté la technique du tamponnage…on emmène la crasse progressivement !

FAL - Je suppose que tu n’utilisais pas seulement que de l’eau pure pour ces nettoyages.

E.B.- Pas seulement… [avec un sourire]

   

Découverte des plans Schindler en cours de traitement.
Ph. F. Casalis. 2003.

FAL - Je vois, c’est plus clair pour moi…Il faut maintenant procéder à la restauration proprement dite des plans.

E.B.- Tu m’avais demandé une restauration permettant des consultations plus ou moins fréquentes pour votre futur projet de reconstruction de Suzanne. C’est par ailleurs tout l’intérêt d’une restauration que de révéler le contenu d’un document! Il a

FALlu que je réalise des châssis à la dimension des plans pour tendre le tissu de lin, ou de coton tissé destiné à recevoir les documents, mais comme les variations dimensionnelles du papier et du tissu sont différentes, il faut interposer un papier de doublage (Bolloré 30g/m2) qui va servir d’amortisseur des contraintes.
Comme tu peux l’imaginer sur des surfaces pareilles [2m par 1,50m en moyenne ! NDLR] la manip. est relativement délicate surtout avec des lambeaux de plans.

Heureusement j’habite près d’une salle réservée aux associations et gentiment ils m’ont fait une place suffisante pour “opérer” dans de bonnes conditions.

FAL - Je me souviens t’avoir rendu visite dans ce local, c’était bien sympathique de leur part, on les remercie au passage. Mais l’affaire ne s’arrête pas là ?

E.B.- Non, dans certains cas je dois doubler la face de lecture, particulièrement quand elle est très abîmée, avec un papier du Japon qui est pratiquement invisible quand il est en place.

FAL - Il doit être fin !

E.B.- Six grammes au m2 !

FAL - C’est plus que fin ! Gare au courant d’air lors de la manipulation !

E.B.- Un souffle et tout est à refaire ! L’encollage doit se faire en une opération, c’est sportif !

FAL - Un coup de fil de ta part nous avait angoissés ! Tu nous annonçais que Suzanne était atteinte…d’ une maladie honteuse…

E.B.- On peut dire ça comme cela ! En effet, intrigué par des traces suspectes sur le plan, j’ai procédé à un examen minutieux à la loupe binoculaire qui m’a permis de déceler la présence de champignons, certainement la conséquence d’un stockage prolongé dans un local très humide. J’ai stoppé toute velléité de développement par un traitement anti-fongique.

FAL - Ta loupe binoculaire est un instrument révélateur ! Je me souviens t’avoir entendu décrire, alors que tu examinais un échantillon de papier, avec une précision remarquable, la nature de l’arbre qui avait servi pour la fabrication de la pâte à papier. J’avoue Éric BOUFFLERS, Maître Papetier, Eric Boufflers dans son atelier. Ph. G. Lécuyer. 2004. Découverte des plans Schindler en cours de traitement. Ph. F. Casalis. 2003. 12 au secours des plans SCHINDLER avoir été très impressionné !

   

Eric Boufflers dans son atelier. Ph. G. Lécuyer. 2004

E.B.- C’est un instrument qui m’est très utile, avec l’expérience, j’arrive à découvrir la vie du document, déceler ses maladies, les traitements qu’il a subi, l’origine de la pâte à papier qui a servi pour le confectionner, son histoire en quelque sorte…
C’est parfois assez contradictoire avec ce que l’on m’en dit !

FAL - Une fois la restauration terminée, il n’est plus question de rouler les plans, tu nous a recommandé de les stocker à plat dans des poches en plastique Mylar, quelles sont les vertus de ce plastique, par ailleurs fort cher !

E.B.-Il est antistatique et anti UV, il est indispensable à une bonne conservation.

FAL- Nous sommes très souvent confrontés à la conservation de documents papier. Quelles seraient tes recommandations, les premiers secours en quelque sorte ?

E.B.- Avant tout, pour vos documents actuels, utilisez du papier au pH neutre. Ne roulez pas vos plans et si vous les roulez évitez comme la peste l’élastique et encore plus la ficelle qui les maintient. Même chose pour les documents plus petits, stockez les dans des chemises en papier à pH neutre, c’est facile à faire soi-même dans du Canson gamme permanente ou du Filmolux ou Atlantis ou autres fabricants qui proposent des papiers neutres.

FAL - Et pour les restaurer ?

E.B.- C’est un métier !
Malheureusement parfois isolé de l’industrie papetière, ce qui est à mon avis une grave erreur. Les restaurateurs doivent connaître les techniques utilisées par l’industrie et leurs évolutions.

FAL - Concrètement peux tu nous recommander des adresses ?
--« Il y a de nombreuses sociétés spécialisées sur le marché, comme par exemple :
- La Reliure du Limousin
- Société Quillet qui se trouve dans l’Ile de Ré
- Reliural à Paris
- Filmolux à Paris 20°

Par ailleurs il existe un cahier des charges, que vous pouvez consulter aux Archives de France, qui fixe les règles de l’art pour restaurer un document papier. »
Depuis cette restauration, qui a trouvé (il était temps !) son financement grâce à la Fondation d’Entreprise du Groupe Banque Populaire, Eric a rejoint le Musée de la Batellerie où il a installé un atelier de restauration lié au musée.
Je tiens à le remercier d’avoir accepté, à l’époque, de restaurer nos documents dans des conditions exceptionnelles à tout point de vue ! Il a sans aucun doute une bonne “ part” de Suzanne à son actif !

E.B. Eric Bouflers
FAL (feuille à l’envers) Interview F.C.

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