Un bateau de "sauvages" !

Après les restaurations réussies des périssoires Judy et Punch, le musée national de la Marine a confié à notre charpentier francocanadien un bateau qualifié de "petit canot d'écorce de bouleau des sauvages" par les scientifiques du XVIIIe siècle.

C'est bien connu, Jim n'a jamais eu peur du boulot (je sais c'est facile, mais je devais la faire !). Par contre, nous avons eu des frissons quand il a commencé à opérer ce vénérable bateau ! Nous sommes allés le chercher à Rochefort où il avait été remisé en attendant des jours meilleurs. Il était en très mauvais état et le premier examen peu encourageant : nombreuses cassures dans l'écorce, la structure brisée en son milieu, les coutures ouvertes sur les étraves, etc.... J'ai regardé Jim avec un air inquiet mais son sourire ravi m'a rassuré.

Nous ne savons pas grand chose sur ce bateau : Anne de Thoisy Dallem conservateur du musée national de la Marine chargée de suivre les travaux nous a confirmé qu'il s'agissait d'un bateau venu du Canada donné au musée par M. Samson le 20 novembre 1879. C'est peu pour identifier le navire !

Aussitôt rentré, Jim empoigne son ordinateur et prend contact avec musées, associations et ethnologues canadiens qui ne tardent pas à répondre en lui donnant, entre autres, des adresses pour trouver les matériaux nécessaires à une restauration authentique. -Un coup de chapeau au passage à toutes ces institutions canadiennes qui ont été particulièrement réactives. Un exemple à méditer...-

Ce canoë a été identifié comme ayant été construit par les indiens Malécites appelés par les premiers explorateurs français Etchimins ou Tarratines. Le nom de Malécites leur a été donné par les indiens Micmac, ce nom signifie "paroles cassées" et Jim d'ajouter : "- en fait, ils ne se comprenaient pas !" Les Malécites ont migré depuis le Maine dans la retraite des indiens de la Nouvelle Angleterre. On les trouve depuis au nouveau Brunswick et sur le rivage de la baie de Passamaquody. Ce sont des chasseurs et des guerriers, ennemis des anglais ils étaient les alliés des français pendant la période coloniale.

UN BATEAU VÉRITABLEMENT CURIEUX !

 


Les outils de restauration. Ph. G. Lécuyer

Jim a tourné autour du bateau un bon bout de temps avant d'entreprendre les premiers travaux. Il fallait découvrir les techniques utilisées par nos indiens avant de toucher à quoi que se soit ! Première découverte l'écorce est montée la face extérieure à l'intérieur du bateau, en conséquence c'est la face au contact du tronc (Betula papyrifera) qui est la face extérieure du bateau d'où son aspect lisse et relativement régulier. La description de la mise en œuvre ne manque pas d'intérêt !
Les coutures sont réalisées avec de l'Epinette noire (Picéa Mariana) délignée en longues lanières, il faut les maintenir humides en permanence pour pouvoir les travailler.
Ce bateau n'a pas de charpente, la structure consiste en une double rangée de fines planches de Cèdre blanc ( Thuja iccidentalis). La première est disposée longitudinalement ; les planches sont simplement posées côte à côte sans aucun assemblage ni collage. La seconde rangée est ployée, c'est elle qui va donner sa forme au bateau, également posées côte à côte les extrémités supérieures de ces "couples" sont engagées à force dans le plat bord qui est fait de plusieurs pièces travaillées et clouées.

Les étraves sont formées à partir de fines lattes de bois liées entre elles servant de support pour ajuster et coudre l'écorce. C'est à l'évidence l'endroit le plus éprouvé par les chocs. Quand Jim ouvrira les pointes pour restaurer les étraves il aura la surprise de constater qu'elles étaient bourrées de copeaux d'où le nom de baptême qu'il leur donnera : "crash box" ! En effet il est fort à parier que ces copeaux n'étaient pas là par hasard et qu'ils servaient d'amortisseurs aux contacts un peu brutaux sur les étraves.


La restauration.
Ph. G. Lécuyer.

Nous cherchions à détecter un "produit" de traitement de surface sur l'écorce. Après un nettoyage prudent et méticuleux nous avons retrouvé des traces de graisse d'origine animale, très probablement de la graisse d'ours utilisée par ailleurs sur les coutures.

En effet les ethnologues canadiens confirment que les coutures réalisées en épinette qui servent à assembler les morceaux d'écorce de bouleau sont enduites de gomme issue de la résine d'épinette blanche (Pinéa glauca) mélangée à de la graisse d'ours et à du charbon de bois ! N'ayant pas de graisse d'ours sous la main nous avons immédiatement contacté le Jardin des Plantes pour savoir si une liposuccion d'un pensionnaire de cette honorable institution était envisageable...

 

 


Une fois l'état des lieux établi, Jim prend la décision de ne pas toucher à la première structure longitudinale pour se consacrer à la remise en état du bordage en écorce, puis des étraves et enfin de la structure transversale.
Un pont aérien est établi avec les canadiens qui nous fourniront tous les ingrédients nécessaires y compris des morceaux suffisamment grands d'écorce pour remplacer les plus durement touchés et la fameuse graisse d'ours, le plantigrade du Jardin des Plantes ayant décliné notre offre. Je ne peux pas m'empêcher de féliciter les douaniers qui ont l'air d'avoir autant le sens de la mesure que cela soit au Canada ou en France. Ils sont arrivés à taxer de la racine d'épinette ! Bravo, messieurs nous vous adressons toutes nos félicitations !

Ce chantier nous a donné l'occasion de découvrir un livre publié par la Smithsonian institution press intitulé "Birch canoe and skin boats of North America". C'est un ouvrage particulièrement bien documenté, les croquis sont bien faits, simples, lisibles. En le parcourant je me suis mis à rêver qu'un jour nous ayons la volonté et le talent (?) de faire la même chose pour nos bateaux du Canotage. Ils n'ont fait l'objet d'aucune monographie ni d'étude descriptive sérieuse, ils le mériteraient pourtant ! On a le yolomètre c'est un bon début ! Nous avons livré le canoë malécite juste à temps pour l'inauguration de l'exposition "Canoës et Kayaks la découverte d'un monde nouveau", qui se tient au musée national de la Marine à Paris sous la direction d'Anne de Thoisy Dallem et de Patrice de Ravel. Il est exposé à l'entrée vous ne pouvez pas le rater !

ATTENTION ! UN CANOË PEUT EN CACHER UN AUTRE !

Dès le "Malécite canoë" livré, la place était aussitôt prise par une petite périssoire due au constructeur Tellier, un vrai petit bijou que nous aurions bien voulu restaurer en même temps que Judy et Punch. Cela n'avait pas été possible à l'époque pour des raisons budgétaires. Dépêche-toi Jim tu as juste le temps avant que Suzanne prenne la place !

François Casalis

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