LES CANOTS MIXTES 1835 -1843

François Casalis

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Les premiers canotiers des années 35, 1835 ! utilisaient le canot mixte conçu pour naviguer aussi bien à la voile qu'aux avirons. D'où venaient ces bateaux ? Les spécialistes semblent unanimes à considérer qu'ils étaient très proches de ceux utilisés dans nos ports pour le lamanage. Mais pour être utilisés en Seine le Règlement imposait le chêne comme bois d'œuvre et un bau égal au tiers de la longueur avec un minimum de 1,25m.

La contrebande
Cette origine logique me semble restrictive et j'aimerai bien explorer les bateaux utilisés pour la contre bande du côté de la côte d'Opale. Je ne fais guère confiance aux élucubrations du Loup d'eau douce auteur du Manuel universel et raisonné du canotier (1846) qui fait allusion à cette origine. Son discours manque trop de crédibilité par ailleurs. Toutefois la référence à la contre bande est redondante dans le domaine du canotage. On la retrouve souvent dans le nom des bateaux Smuggler ou Smogleur. (illustration du canot concert gueldry)

Pourquoi cette hérédité ?
Sans doute pour des raisons purement fonctionnelles, en effet pour échapper au gabelous faute de vent il fallait décamper au plus vite et posséder un bateau léger et rapide aux avirons. Il me semble intéressant de travailler cette voie, malheureusement les documents sont rares et les seuls ouvrages que j'ai pu trouver sont anglais et traitent plus du phénomène économique que de la nature des bateaux
Les vénitiens qui en matière de contrebande n'ont de leçons à recevoir de personnes on mis au point un bateau original la Vipera rapide et détail important parfaitement symétrique. La Vipera était capable de fuir dans l'étroitesse d'un canal sans avoir à faire demi tour, il suffisait aux rameurs de se retourner. (illustration les canots vénitiens la Vipera)

Revenons aux canots mixtes, l'iconographie nous montre des bateaux armés en pointe par quatre ou six rameurs accueillant dans leur " chambre " aux banquettes molletonnées, les invité (e)s du moment. Gréés de toutes sortes de façon : du classique bourcet à la voile latine en passant par la livarde.

Un plan de voilure adaptée

Pour passer sous les ponts il valait mieux disposer d'un grand allongement dans le plan de voilure, le tape-cul se généralise sur tous les bateaux permettant ainsi de réduire la hauteur du mat sans perdre de surface de voilure. L'examen attentif de la maquette du " Rôdeur " (1847) qui semble bien être le canot du préfet Ernest Delessert est instructif. La charpente du canot, son bordage et bien d'autres petits détails montrent à l'évidence que la recherche de l'allégement est déjà dans les esprits. Malheureusement on ne sait rien du gréément de ce canot
Les maquettes du musée de la Marine sont également très intéressantes, certes elles concernent des canots plus aristocratiques si toutefois on peut parler d'aristocratie dans le domaine du Canotage ! En effet les coques sont bordées à franc bord calfaté (Le Rôdeur est bordé à clins) avec des décorations sur le carreau, parfois sur le tableau ou les bancs de nage. Ajoutez à tout cela un " tandeley " pour protéger ces dames des ardeurs du soleil et des coussins de la meilleure facture pour garnir les banquettes de la chambre. Les bancs de nage eux sont plus rustiques. Ayons une pensée émue pour les hommes de peine qui étaient aux avirons !


Ci-dessus, gravure montrant les différents types de gréements de canots mixtes, selon le Manuel du Canotier de 1845.

Les performances au près de ces embarcations étaient relatives, mais à tout bien considérer cela n'avait guère d'importance. En effet tous les randonneurs à l'aviron savent que le vent est soit avec soit contre. Une rivière coule généralement dans une vallée encaissée et le vent suit le lit de la rivière dans un sens ou dans l'autre. L'astuce du canotier était d'organiser sa sortie. Au matin frais et dispos on s'élevait contre le vent au avirons. Ramer donne faim et soif, une fois le déjeuner avalé il ne restait plus qu'à " cajoler " vent arrière pour retourner à la gare, si le vent n'avait pas changé d'idée ! Il valait mieux avoir un gréément performant au portant !

Une folie? C'était la mode !

Que penser de la SYRENE sensée être garée au pont de Chatou décrite dans l'ouvrage de notre fameux loup d'eau douce ?

Nous avons demandé à notre architecte naval maison Marc Ronet d'en tracer les lignes d'eau à partir des descriptions de l'auteur. A l'issue de son travail Marc est très septique sur la vraisemblance des descriptions faites par le célèbre canotier. On serait plus sûrement en présence d'une extrapolation fumeuse et une interprétation très personnelle du traité sur la construction des navires en bois de Lalande de 1793.

Il n'empêche que l'on retrouve une SYRENE dans l'iconographie parmi les canots garés à Asnières vers 1845...

En admettant qu'il s'agisse d'une interprétation folklorique cette interprétation correspond à une forme idéalisée par un canotier de l'époque. De ce point vue cela mérite d'être considéré.


Canot mixte, maquette du Musée de la Marine (MPT©)


Canot mixte armé en pointe, maquette du Musée de la Marine (MPT©)


Détail de la chambre et du poste de barre (MPT©)

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Canot mixte sous voile, la Vie à la Campagne

Mais où sont les canots mixtes de chez nous ?

Les canots mixtes qui fréquentaient le Bras de Marly et plus particulièrement la Grenouillère, venaient d'Asnières, de Saint-Ouen, d'Argenteuil. Ils portaient les jolis noms de : Diable à quatre, Meleonis, Persévérence, Capricieuse, Tintamarre, Ariel ... Hirondelle et Tambourin étaient amarrés à la gare de Bougival.

Nous n'avons aucune trace de ces bateaux, l'iconographie nous manque cruellement. Ces canots mixtes ont connu le succès. Ils ont fait l'objet de choniques et donc d'illustrations.


Maquette de canot mixte bordés à clins, Musée de la Batellerie de Conflans-Sainte-Honorine. Remarquez l'emplanture de mât très en avant.

En dehors de l'iconographie nous serions très intéressés de retrouver des descriptions administratives. Ces bateaux payant des taxes, ils étaient donc répertoriés. Par ailleurs, rien ne pouvait naviguer sur le Seine sans faire l'objet d'autorisation, donc d'enregistrement (déjà !). Où sont ces documents ?

Indications sur les mensurations des Canots mixtes.

Le canotage en France fait état de canots de cinq pieds de large pour 15 de long, parfois 18. Avec des exceptions : Baillet fils en 1840 construit Papillon, une yole à voile de 32 pieds de long !

Extrait d'un article de "La vie à la campagne" :
Tous ces bateaux mixtes dont la longueur variait entre 15 et 20 pieds se concentraient en Seine et leurs sorties à la voile étaient des régates permanentes 1835-1845 : Télémaque, Tortue, Mazaniello, l'Etincelles, l'Amphitrite, l'Actif.


Yole "bourgeoise" de promenade. Remarquer le confort de la chambre et du tendelet, maquette du Musée de la Marine (MPT©)

- "Les réunions nautiques de cette époque se tenaient dans les chantiers de construction où chacun allait chercher et apporter sa part de nouvelles....
En remplaçant le lest que l'on improvisait avec des pavés de la berge par du fer, de la fonte ou du plomb on arrivera à faire effectuer aux bateaux mixtes des manœuvres que leur faible tirant d'eau interdisait avant. Puis on leur adapta de fausses quilles, on mit des boute-dehors sur l'arrière pour porter le point d'écoute (?).
Naturellement, on ajouta un foc à la voilure et, à l'exemple de ceux qui étaient déjà passés maîtres , tous les amateurs de voile voulurent virer vent devant"

Cet article hélas non daté et non signé décrit les aptitudes des canots mixtes. Il est évident que reprendre les avirons parceque la Rivière fait un coude ou que le vent a changé d'idée n'étant pas forcément réjouissant dans des embarcations de ce genre. Plus on pouvait retarder l'échéance et mieux cela valait ! Petit à petit, on va donc vers la nécessité d'installer un plan de dérive sous la flottaison fixe ou mobile. Quant à la voilure, le tiers et le bourcet vont laisser la place au houari, la brigantine va disparaître. Le foc aidera aux virements de bord mais le cat boat aura la vie dure, et du New York au Monotype de Chatou, et plus récemment le Finn et le Laser, il a encore des adeptes.

Les canots mixtes à la mode !

Ces canots mixtes nous font sourire et pourtant ne sont ils pas les dignes ancêtres des canots voile-aviron de nos jours.

Ces bateaux dont le Chasse Marée a mis en avant l'originalité rencontrent de plus en plus d'adeptes qui naviguent de criques en criques de rivières en rivières en famille pour leur plus grand bonheur. Ce sont généralement de bons marcheurs aux allures arrivées et si il fallait faire une critique elle consisterait à regretter que dans bien des cas l'installation du rameur et encore plus souvent les avirons sont de très médiocre qualité. Il est vrai qu'une bonne paire d'aviron cela se paye et bien souvent les " clients " font l'impasse sur ce qu'il leur semble être un accessoire...

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