Les Fauves de la Seine

L'exposition du Musée d'Art Moderne "LE FAUVISME À 'ÉPREUVE DU FEU" nous permet de voir ou revoir les peintures de Vlaminck, Derain, Matisse, Marquet, Dufy, Braque et beaucoup d'autres... Bravo !

Elle nous montre aussi la force de ce mouvement et sa résonance à travers la peinture européenne, allemande, hollandaise, tchèque, russe, écossaise, finlandaise, belge, suisse... Tous ces peintres étrangers, Van Dongen, Munch, Mondrian... entretenaient des relations avec la France ou y ont séjourné. Au début de ce siècle, l'influence parisienne du fauvisme a rapidement gagné toute l'Europe.

C'est Derain et Vlaminck, "l'École de Chatou", qui en sont les premiers et principaux instigateurs. Habitant Chatou, les bords de Seine leurs étaient familiers. Le charme du fleuve a sans doute contribué au choix de leur atelier, dans la Maison Levanneur. Comme leurs aînés impressionnistes, ils aimaient se promener sur les berges et peindre sur le motif.

"Argenteuil nous faisait évoquer Claude Monet, Renoir, Sisley, et sans cesse dans ces discussions où toujours nous finissions par être d'accord, nous nous appliquions à réviser nos goûts, à nous expliquer nos admirations, nos sympathies pour les artistes ou les écrivains qui nous avaient précédés."

"D'autres fois nous partions pour faire en explorateur une ballade à pied de vingt à trente kilomètres. Nous remontions la Seine jusqu'à Saint-Ouen en suivant les berges."

"Nous nous retrouvions le soir après dîner, et parfois, en fumant une pipe, nous déambulions jusqu'à deux heures du matin le long des berges de la Seine. Nous entrions chez La Mère Lefranc, un restaurant où les servantes étaient jolies."

Nous savons qu'ils fréquentaient les différents établissements des bords de Seine, l'Ile Fleurie, La Grenouillère... où ils côtoyaient des canotiers et y canotaient eux-mêmes. Champenois, un ami commun, habitait chez Fournaise, la chambre de Maupassant :

"Il possédait un franc bord, et les beaux jours, nous gagnons à force de rames Asnières ou Maisons-Lafitte"

Champenois et Vlaminck allaient souvent à l'Ile Fleurie.

"Je me rappelle qu'un jour il (Vlaminck) voulait absolument manger un canard ; avec un aviron il s'efforçait de lui rompre le cou, mais il ne put réussir, et nous continuâmes notre promenade vers l'Ile. Il y avait à peu près une heure que nous étions débarqués que les canards du père Lemaire rentrèrent au logis, et j'entends encore Ernest Lemaire dire à son fils Auguste : "Regarde donc ce canard, il a dû avoir un accident." L'auteur de l'accident n'était pas loin."

Un autre jour Vlaminck emprunta un canot à Fournaise pour participer à une régate organisée par Maurice Berteaux, ministre de la guerre. Il la gagna devant douze concurrents : c'était bien un canotier, et même un solide rameur.

"Je gagnai la course, et quelques instants plus tard j'escaladai la tribune des notables bougivalais aux accents de la Marseillaise ; on me mit dans les bras un prix offert par le ministre, une superbe victoire de Samothrace en zinc repoussé. Avec ma victoire au fond du bateau je repris les avirons, le canot remisé et Alphonse Fournaise remercié, j'allai tout droit chez le brocanteur du pont. Il me donna trente francs et c'est ainsi que la victoire de Samothrace fut sur-le-champ transformée en entrecôte de quatre livres."

Plus tard Vlaminck et son ami le marchand de tableaux Daniel Kahnweiler ont acheté en copropriété un voilier baptisé "Saint Matorel", en hommage au premier livre de Max Jacob, puis un canot automobile "L'Enchanteur Pourrissant", en souvenir du livre d'Apollinaire illustré par Derain. Selon Edmonde-Charles Rousse

"La Seine était restée pour lui (Derain) une voie ouverte sur le rêve dont, plus il avançait en âge, plus il en appréciait l'attrait."

Les paysages et l'ambiance de notre fleuve ont donc beaucoup compté pour nos deux peintres de l'"Ecole de Chatou". Ils admiraient la Seine, ses rives, sa lumière qu'ils transposaient avec l'enthousiasme et la fougue de leur jeunesse, par des couleurs vives sortant du tube.

Ne serait-ce pas la déesse SEQUANA, qui, après avoir inspiré les peintres, de Turner aux Impressionnistes, aurait une nouvelle fois créé l'étincelle de l'"ÉPREUVE DU FEU" qui a fait exploser la peinture en 1904 ?

Gilles OUTIN

Bibliographie : Catalogue de l'Exposition "Le Fauvisme ou l'Épreuve du Feu" magnifique exposition

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