Le carnet du CFC

Petite histoire de la locomotion à vapeur terrestre

MAD

Et dans les autres pays

Les Stephenson laissèrent derrière eux une locomotive tout à fait au point comme James Watt avait œuvré pour la machine à vapeur un siècle plus tôt. Ce fut dans toute l'Europe le point de départ de la révolution industrielle qui allait marquer tout le XIXème siècle. 

La puissance et le poids toujours croissant allèrent influer sur l'augmentation de nombre de roues, et le type de service requis mais le principe allait rester le même. Les cylindres sont reportés à l'avant de la chaudière, les roues motrices sont attaquées directement  par la bielle de la machine et accouplées l'une avec l'autre. Un tampon se trouve à l'avant et à l'arrière de la machine. L'arrière de la chaudière forme une boîte à feu rectangulaire, qui continue le corps cylindrique. La flamme et les gaz se rendent dans la boîte à fumée et la cheminée en traversant un grand nombre de petits tubes. La vapeur est conduite aux cylindres par un tuyau d'admission dans lequel elle pénètre par la soupape régulateur. Le dôme a pour objet d'augmenter le réservoir de vapeur, et d'éloigner la prise de vapeur du liquide agité de manière à éviter les entraînements d'eau. La vapeur qui vient d'agir s'élance avec une grande vitesse de la cheminée en donnant un tirage intense. Le conducteur de la machine se tient sur la plate-forme ayant sous la main tous les leviers et robinets. Les pompes d'alimentation fournissent à la chaudière l'eau qu'elles puisent dans le tender par des tuyaux.

Voilà la machine à perfectionner par les constructeurs contemporains et postérieurs aux Stephenson.

Dans son exposé l'auteur semble ignorer, ou en tout cas ne mentionne pas, que la chaudière tubulaire a été inventée par Marc Seguin en 1827, à moins que cette découverte fusse également apparue en Grande Bretagne, ce qui est probablement le cas avec l'idée de Booth reprise plus tard par Marc Seguin.

Le mécanisme de la distribution était dès lors connu. Aujourd'hui, c'est "la coulisse de Stephenson". Sur l'axe moteur sont calés deux excentriques disposés de telle sorte que l'un correspond à la marche avant, et l'autre à la marche arrière. Le premier est relié par son collier et sa bielle à l'extrémité supérieure d'une coulisse tandis que le second est relié de même à l'extrémité inférieure. Au moyen du levier de changement de marche, on peut élever ou abaisser la coulisse, de manière à mettre la tige du tiroir en communication avec l'un ou l'autre excentrique. La coulisse étant placée dans sa position moyenne, le tiroir couvre à la fois les deux lumières du cylindre, et la machine ne peut se mouvoir ni dans un sens, ni dans l'autre. Une série de crans, dans lesquels peut mordre un verrou, permettent au conducteur de modifier la coulisse dans la position voulue. Dans les positions intermédiaires, entre le cran du milieu et les deux crans extrêmes, le mouvement du tiroir est dirigé de façon à produire une certaine détente, ce qui procure une économie de vapeur, mais en réduisant la puissance de la machine.

Voilà bien la locomotive complète qui vit le jour en Europe dans le premier tiers du XIXème siècle (1833).

En France, en 1823 Monsieur Beaunier fut autorisé à construire une voie ferrée entre les mines de charbon de Saint Etienne et la Loire, puis en 1826 Marc Seguin commença une ligne semblable entre St Etienne et Lyon. Ces chemins de fer furent à traction hippomobile. 
En 1832 on remplaça les chevaux par des machines locomotives.
C'est en France que Marc Seguin inventa la chaudière tubulaire
. Invention qui augmenta de manière importante la surface de chauffe des chaudières et par conséquent la production de vapeur et permis l'implantation de cylindrées plus volumineuses. 

En Belgique, Pierre Simon, un jeune ingénieur instruit et entreprenant proposa un système de chemin de fer très complet pour le royaume en 1834. Le 6 mai 1837, la première ligne entre Bruxelles et Mechlin fut ouverte, suivie de bien d'autres. La Belgique fut le premier pays du continent à avoir un réseau ferré.

En Allemagne, la première ligne fut celle de Nüremberg à Fürth, construite sous la direction de Monsieur D. Denis.

Les autres contrées de l'Europe suivirent bientôt ce développement qui ne cessa pas.

En Amérique, malgré les succès remportés par Evans, il fallut attendre 1825 et l'intervention du colonel Stevens pour construire des chemins de fer, bien que l'attention était tournée vers la mère patrie. Le colonel Stevens avait construit un petit chemin de fer circulaire devant sa maison à Hoboken pour prouver l'intérêt de ce nouveau mode de transport. En 1826-27, on assista à la construction, à Quincy dans le Massachusets, d'une ligne de trois milles entre une carrière de granit et le Neponset-River. 
Dès lors une série de lignes furent ouvertes au trafic de marchandises : 

C'est bien le concours de Rainhill qui attira des ingénieurs de toute l'Europe pour assister à cette épreuve solennelle. Monsieur Allen de la Compagnie du canal Delaware avait acheté trois locomotives et des rails. Le tout arriva à New-York en mai 1829 et l'essai fut entrepris au mois d'août suivant. Malheureusement la Lion de Stourbridge était trop lourde pour la voie et la machine fut mise de côté. Cette machine avait été construite par Foster, Rastrick & Co de Stourbridge en Angleterre.
Une autre machine construite en 1929 par Peter Cooper de New-York  fut éprouvée avec succès à Baltimore sur la ligne qui rejoint cette ville à l'Ohio soit 13 milles qu'elle parcourut en moins d'une heure en tractant une voiture contenant 36 voyageurs.
Cette machine avait une chaudière à tubes verticaux et le tirage était obtenu mécaniquement par un ventilateur rotatif. L'unique cylindre avait trois pouces 1/4 de diamètre et la course du piston était de 14 pouces 1/2. Les roues avaient 30 pouces de diamètre, et elles étaient reliées à l'arbre à manivelle par un engrenage. La machine dans ses essais développa une force de 4,3 chevaux et remorqua un poids brut de 4 tonnes et 1/2. L'ensemble de la machine pesait moins d'une tonne.
Pour sa chaudière, Monsieur Cooper, n'ayant pas pu trouver des tubes convenables, avait employé une série de canons de fusil à la place.
Peu de temps après MM. Davis et Gartner construisirent pour cette ligne le York, une locomotive à chaudière verticale. Elle avait 51 pouces de diamètre et contenait 282 tubes  de 16 pouces de long, légèrement tronconiques de 1 pouce et 1/2 à la base et 1 pouce et 1/4 au sommet. Cette machine pesait 3 tonnes.

Les ingénieurs construisirent des machines en forme de "sauterelles" dont l'Atlantique mise en service en septembre 1832. Elle tira 50 tonnes sur une distance de 40 milles de Baltimore sur des pentes de 37 pieds au mille et des courbes inférieures à 400 pieds de rayon. La vitesse était de 12 à 15 milles à l'heure. Elle pesait 6 tonnes et 1/2 et la pression était de 50 livres au pouce carré et consommait une tonne de charbon anthracite pour le voyage. Le voyage revenait à 16 dollars et elle remplaçait 42 chevaux, c'est dire l'économie apportée par la traction vapeur à l'époque.

A son retour des essais de la ligne Manchester - Liverpool, M. Miller commanda une machine à la fonderie de Westpoint pour la ligne Charlerston - Hamburg. Cette locomotive (Best Friend) avait une chaudière tubulaire verticale. Les gaz s'élevaient à travers une boîte à feu très haute, dans laquelle de nombreuses tiges faisaient saillies du sommet et des parois; puis sortaient par des tubes qui les conduisaient latéralement dans une chemise extérieure, à travers laquelle ils montaient dans la cheminée. Il y avait deux cylindres de 8 pouces de diamètre et de 16 pouces de course, inclinés et attaquant l'essieu moteur. Les quatre roues avaient toutes le même diamètre, 4 pieds 1/2 et étaient accouplées par des bielles. La machine pesait 4 tonnes 1/2.
Elle fonctionna jusqu'en
1831, mais une négligence du chauffeur entraîna l'explosion de la chaudière et elle ne fut jamais reconstruite.

Une seconde machine la Westpoint fut construite toujours aux fonderies de Westpoint pour la même ligne et pris du service en 1831. Elle ressemblait à la Best Friend à l'exception de sa chaudière qui était horizontale. Elle rendit de bons services.

Le chemin de fer de Mohawk à l'Hudson commanda vers cette même époque une locomotive toujours à Westpoint : la De Witt ClintonElle avait deux cylindres à vapeur, chacun de 5 pouces 1/2 de diamètre et de 16 pouces de course. Les bielles étaient directement reliées à un arbre coudé et faisaient tourner deux paires de roues accouplées de 4 pouces 1/2 de diamètre. Ces roues avaient des moyeux en fonte, des rais et des cercles en fer forgé. Les tubes étaient en cuivre de 2 pouces 1/2 de diamètre et de 6 pieds de long. La machine pesait 3 tonnes 1/2 et traînait 5 voitures à la vitesse de 30 milles à l'heure.

Une autre machine, la Caroline du Sud  pour le chemin de fer du même nom fut construite par Horatio Allen en 1831. Ce fut la première locomotives à huit roues. 
Dans l'été 1832 une autre machine construite par MM. Davis et Gartner fut mise en service sur la ligne de Baltimore à l'Ohio, elle pesait 3 tonnes et atteignit 31 milles haut le pied. Elle remorquait habituellement 14 tonnes sur une distance de 13 milles.

Vers cette même époque apparut le bogie. Une machine en fut équipée, ce bogie portant la partie antérieure de la chaudière. C'était l'Américaine n°1 construite à Westpoint sur les plans de John B. Jervis, ingénieur en chef de la ligne de Mohawk à Hudson. Winans avait déjà, en 1831, équipé une voiture de trucks pivotants ce qui deviendra le "bogie".
L'Américaine n°1 avait une marche rapide et douce. Elle atteignit la vitesse de 80 milles à l'heure. Elle avait des cylindres de 9 pouces 1/2 de diamètre, 16 pouces de course de piston et deux paires de roues motrices accouplées de 2 pieds de diamètre. Le truck avait des roues de 35 pouces. La chaudière contenait des tubes de 3 pouces de diamètre et la boîte à feu avait 5 pieds de longueur 2 pieds 10 pouces de large. Stephenson & Co construisit plus tard une machine semblable pour la même ligne à partir des plans de M. Jervis.
Toutes ces machines américaines étaient faites pour brûler de l'anthracite, alors que les machines anglaises brûlaient de la houille bitumeuse.
Robert Stevens acheta une locomotive aux Stephenson après les essais de Rainhill. La John Bull fut installée à Bordentown. Cette machine avait deux cylindres de 9 pouces de diamètre, de 2 pieds de course de piston avec une seule paire de roues motrices de 4 pieds et 1/2 de diamètre. Elle pesait 10 tonnes. Cette machine fut exposée à l'exposition du centenaire de Philadelphie en 1876.
Les machines de cette époque étaient construites par M. Stevens à Hoboken, d'autres aux établissements Mathias W. Baldwin qui n'étaient alors qu'un petit atelier.
La première locomotive Baldwin fut The Old Ironsides construite en 1831 pour le Pearle's Museum afin de promouvoir ce nouveau mode de traction. Elle fut à l'origine de nombreuses commandes. Celle exploitée sur la ligne Cambden-Amboy dura plus de vingt ans. Elle avait deux roues motrices de 4 pieds 1/2 et deux roues libres comme les types "Planets" de Stephenson. Les cylindres avaient 9 pouces 1/2 de diamètre, 18 pouces de course de piston. La chaudière avait 2 pieds 1/2 de diamètre et contenait 72 tubes de cuivre de 1 pouce 1/2 de diamètre et 7 pieds de long. La machine coûta 3500 dollars. Aux essais, elle fut mise en pression en vingt minutes et sa vitesse atteignit 28 milles à l'heure.

En 1834 Baldwin construisit pour E. L. Miller de Charleston une locomotive à 6 roues dont les cylindres avaient 10 pouces de diamètre et le piston 16 pouces de course. Il donna à la chaudière un dôme élevé qui surmontait la boîte à feu. Cette forme restera typique pendant de longues années.
En 1834 il en livra cinq autres dont la Lancastre. Ce fut le début de l'industrialisation de la construction des locomotives et l'importance des établissements Baldwin.
Alors que les britanniques adoptèrent la pression usuelle de 60 livres au pouce carré, les américains optèrent pour celles de 120 à 130 au pouce carré.
En 1837 Baldwin avait déjà construit 80 machines réparties en trois classes :

Les roues motrices avaient habituellement 4 pieds 1/2 et les bielles étaient placées intérieurement agissant sur un essieu coudé.

A partir de cette époque, les États-Unis se fournissèrent chez eux. Les droits sur le brevet de Stevens furent acquis par William Norris et ce dernier construisit des locomotives de son invention dont la George Washington qui pesait 14,4 tonnes et remorquait 19,2 t à la vitesse de 15,5 milles à l'heure en rampe de 2,8 pieds au mille. L'adhérence était à peu près égale au tiers de la charge des roues motrices. Cette performance invita les britanniques à commander des machines construites sur le modèle de la George Washington.

Toujours en Amérique, en 1840 de nombreux constructeurs avaient fait leur apparition et l'on commença à monter des machines à cylindres extérieurs.

La forme 220, qui reste typique des machines américaines, est apparue à cause du mauvais établissement de la voie, caractéristique des États-Unis. Pose grossière, ballastage défectueux, présentant souvent des courbes très serrées, la voie américaine entraîna l'adoption des doubles roues motrices accouplées supportant les deux tiers du poids de la machine avec un truck avant et le système de balancier de suspension grâce auquel le poids total de la machine est également réparti entre les roues quelles que soient la position de la machine et les irrégularités de la voie.

En 1836 fut introduit la roue en fonte trempée et l'excentrique simple fut remplacé par le double excentrique avec pied de biche au lieu de la coulisse et en 1837, on abandonna le châssis bois pour le châssis en fer.

Après la crise industrielle qui dura de 1837 à 1840, l'industrie du chemin de fer repris de plus belle et dans une lettre que Robert Stephenson adressa à Stevens en 1833 il déplorait : "Je regrette de voir que les railways légèrement construits soient si généralement en faveur aux États-Unis. En Angleterre, nous faisons nos lignes de plus en plus solides et massives. Les petites machines perdent du terrain, et chaque jour aussi nous fournit la preuve que les puissantes sont les plus économiques. Aujourd'hui, nous avons des machines qui pèsent 70 tonnes, pouvant traîner 2000 tonnes sur une ligne horizontale".

Voilà le résultat de l'évolution de la machine à vapeur et du chemin de fer en général tel on le découvrait à la fin du premier tiers du XIXéme Siècle. Un chemin de fer qui a continué d'évoluer mais dont les principes généraux étaient lancés et pour de longues années.

  S. Duclau Puffing Billy

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