Le chemin de fer et la littérature

 

Henry Winterfeld

 

Les enfants de Timpelbach

Les parents sont partis et la ville est déserte. Avec un peu d'organisation, de l'astuce et de la bonne humeur, un groupe de jeunes fait face à la situation et remet en marche la vie de la ville tout en luttant contre la bande des pirates dirigée par Oscar.

Dans cette remise en route deux scènes ferroviaires sont à l'honneur :

Retrouvé dans une brocante, quarante après la première lecture, ce livre de mon enfance a refait le délice d'une soirée au coin du feu.

Chapitre 7 - Thomas joue au chef de gare. Page 64

Je jetais un coup d'oeil à ma montre.
    - Il est exactement sept heures moins le quart.
    - Et bien écoutez ! dit Thomas. Nous sommes à deux pas de la gare. Le train qui vient de Kollersheim passe à sept heures. Nous allons voir si les parents sont dedans. Si oui, Robert filera comme un zèbre jusqu'au marché aux Chèvres pour avertir les enfants qui tâcheront de réparer un peu les dégâts. Nous retiendrons les parents le plus longtemps possible .

Nous approuvâmes son idée. Quelques minutes plus tard, quand Marianne et Rosette nous eurent rejoints, nous nous dirigeâmes vers la gare en suivant les rails du tramway.
Car il faut vous dire que Timpelbach possède même un tramway, le n°1. Il n'y a pas d'autre numéro. La petite motrice et sa remorque desservent une seule ligne, avec onze arrêts, qui part de la gare, suit la rue de Kollersheim dans toute sa longueur, puis remonte la grand-Rue jusqu'au coin du marché aux Chèvres. Bien que l'exploitation soit déficitaire depuis plusieurs années, la municipalité n'a pas le coeur de condamner au chômage le conducteur et le receveur. D'ailleurs les habitants de la ville en particulier les enfants sont très fiers de ce beau petit tram peint en rouge vif. Chaque fois que je l'utilise, je me place à côté du wattman pour observer attentivement la manoeuvre. Ce jour-là, bien sûr, le tramway ne circulait pas et était rangé dans son dépôt, face à la gare.
Nous étions encore sur la place quand nous entendîmes le train arriver. Aussitôt, nous nous précipitâmes vers le petit bâtiment désert, mais redoutant un peu le premier contact avec nos parents, nous restâmes prudemment dans la salle d'attente, tandis que Thomas jetait un coup d'oeil dehors.
Puis il  se retourna vers nous.
    - Ils n'y sont pas !
Nous passâmes alors sur le quai. Le contrôleur, debout auprès de la locomotive, bavardait avec le mécanicien. Sans doute attendait-il que le chef de gare de Timpelbach donnât le signal du départ. Quelques voyageurs se penchaient aux portières. Personne n'était descendu.
 en nous apercevant, le contrôleur nous fit signe d'approcher.
    - Et alors, quoi ? grommela-t-il. Où est donc le chef de gare ?
    - Il est dans son bureau, mais il ne peut pas sortir pour l'instant, répondit Thomas. Il m'a chargé  de vous dire que vous pouviez repartir.
    - Quoi ? quoi ? quoi ? fit le gros contrôleur, tout surpris Il ne peut pas sortir de son bureau ? Qu'est-ce qu-il a donc ?
    - Il a très mal à la tête.
    - Très mal à la tête !"
Le contrôleur resta debout tout interdit, puis il éclata de rire.
"Mal à la tête ! répéta-t-il encore en se tapotant le front du bout des doigts. Ma parole ! Il doit travailler trop ce pauvre Werner ! Mettez-lui des compresses !"
Le mécanicien lui aussi riait de bon coeur tant la chose lui semblait drôle. Intrigués, les voyageurs apparaissaient plus nombreux aux portières.
Enfin le contrôleur donna un coup de sifflet. La locomotive cracha des jets de vapeur, le train se remit lentement en mouvement. Le contrôleur sauta sur le marchepied du dernier wagon et nous fit des signes d'adieu. Nous le vîmes s'éloigner, toujours secoué par un rire énorme qui faisait tressauter sa bedaine. Le train passa sur le pont qui franchit la petite rivière, puis il disparut à nos yeux.

Chapitre 18 - Sur la ligne N°1. Page 150. 

    J'ouvrais le dépôt et pénétrais à l'intérieur. C'était un simple hangar, assez mal éclairé. Le coquet petit tramway rouge était rangé juste devant la grande porte à deux battants Au fond, j'entrevis la remorque, dont on se servait assez rarement.
    "Il faut d'abord brancher le courant !" me rappela Henri, alors que je montais déjà sur la plate-forme.
    Je me mis alors en quête de l'interrupteur qui permettait d'envoyer le courant dans les fils, et je découvris une sorte de petit placard métallique sur lequel on avait peint un éclair et  inscrits ces mots : "Danger de mort. - Haute tension." Après l'avoir ouvert j'aperçus au fond trois gros leviers sur une plaque de marbre.
    Dans le doute, je les enclenchai tous les trois. puis je revins au tramway et relevai la perche. Lorsque la roulette entra en contact avec le fil, il se produisit quelques étincelles, mais cela cessa quand j'eus lâché la corde et que la perche fut solidement appuyée contre le fil par son ressort. Après quoi je cherchai la manette qui permet de mettre le contact. J'avais bien souvent observé la manoeuvre et connaissais l'ordre dans lequel on devait faire ces opérations. Je découvris la manette dans un coffre à outils. Alors je montai sur la plate-forme, enfonçai la manette sur son axe, et lui fis faire un quart de tour vers la droite jusqu'à ce qu'elle s'enclenchât. Le contact était mis. Sur le tableau couvert de chiffres, la manivelle occupait la position 0. A gauche du cadran, il y a des chiffres arabes de 1 à 5. C'est pour freiner en inversant le courant - je le savais. Au milieu des chiffres romains de I à V. Puis en ordre inverse de V à I. Pour finir, un zéro, le point mort.
- Dans cette sorte de grosse boîte, il y a des résistances, lui expliquai-je. En tournant cette manivelle, on supprime progressivement les résistances, ce qui permet d'envoyer plus de courant au moteur. C'est ainsi qu'on peut régler la vitesse.
...
Du pied, j'actionnai plusieurs fois le timbre,  je m'assurai que le grand frein à main était desserré, puis je mis la manivelle sur I. Le tram s'ébranla lentement et sortit du hangar. Je passai sur II. L'allure s'accéléra. Alors je revins à 0 et serai légèrement le frein à main. La voiture s'arrêta.
...
Je desserrai le frein à main, mis la manivelle sur I, et la voiture s'avança lentement. Puis je passai sur II, III et IV. Avec d'affreux grincements de roues, le tram vira dans la rue de Kollersheim. Je ramenai la manivelle sur 0 et laissai le tram descendre la pente, entraîné par son propre poids. Lorsqu'il commença à rouler un peu trop vite, je serrai légèrement le frein.
...
 Maintenant, la rue remontait, et, pour la première fois, je mis la manivelle sur V. Arrivé au sommet de la pente,  je ramenai rapidement la manivelle jusqu’au zéro. Je freinai un peu. Puis m’engageai lentement dans la nouvelle descente. Soudain la sonnette retentit au-dessus de ma tête : Max donnait le signal d'arrêt. J'inversais le courant et serrai le frein à main. La voiture s'immobilisa. Après avoir placé la manivelle sur zéro, je me retournai...
...
- À toute vitesse ! cria Thomas.
Je mis la manivelle sur le V, et, à fond de train je descendis la rue de Kollersheim jusqu'à l'endroit où elle tourne pour déboucher dans la Grande-Rue. Je donnai alors un bon coup de frein, puis je repartis à toute allure. Un peu avant le terminus, à l'angle de la Grande-Rue et du marché aux Chèvres, j'inversai le courant et freinai si violemment que les roues patinèrent sur les rails.
...
Je coupai le courant, enlevai la manette et la glissai dans ma poche. Pour plus de sûreté, j'abaissai même la perche.

Dans l'édition  du livre de poche page 91, le dessin est au trait et moins poétique.
Toujours dans l'édition du livre de poche 1980, le tramway est plus moderne, certainement semblables à ceux qui circulaient encore à cette époque.

Source

  • Les enfants de Timpelbach - Henry Winterfeld - Ed. Hachette 1957
    Titre original Timpetill

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